La famille comme pilier de la société
Paris Notre-Dame du 12 août 2025
Dès sa première intervention comme archevêque de Paris, lors de la Rencontre diocésaine avec les conseils pastoraux des paroisses de Paris, le 3 décembre 2005, Mgr André Vingt-Trois identifie la famille et la jeunesse comme champs prioritaires de la mission : « Avons-nous le souci de fournir aux époux et aux parents la possibilité de partager leurs expériences, de parler de leurs difficultés et de trouver des interlocuteurs attentifs et disponibles ? », interroge-t-il ; ou encore : « La jeunesse dans son ensemble est perçue comme un problème […]. Si les Français aiment beaucoup leurs enfants en particulier, ils craignent la jeunesse en général. […] Comment pratiquons-nous cette confiance envers les jeunes ? » (Notre mission à Paris). Une attention vigilante et bienveillante qui se manifestera tout au long de son épiscopat, avec notamment l’année « Famille et jeunesse », en 2010-2011, et la publication de sa lettre pastorale La famille et la jeunesse : une espérance ; mais aussi hors Paris, comme président de la Commission épiscopale de la famille de la Conférence des évêques de France de 1998 à 2005, et consulteur du Conseil pontifical pour la famille, à partir de 1995. Entretien avec le P. Denis Metzinger, actuel curé de St-Léon (15e), qui a été, de 2010 à 2020, vicaire épiscopal chargé de la pastorale Familiale du diocèse de Paris, nommé par le cardinal André Vingt-Trois.
Charlotte Reynaud

Paris Notre-Dame – Le cardinal André Vingt- Trois accordait une grande place à la famille dans son épiscopat. Comment l’expliquez-vous ?

P. Denis Metzinger – C’est quelque chose d’assez paradoxal car lui-même avait très peu de famille. Fils unique, son père est mort lorsqu’il était assez jeune. Il n’avait que sa mère. Mais pour le professeur de théologie morale qu’il était, il lui paraissait important de soutenir et d’encourager les familles et surtout, que l’Église ait une parole forte pour elles. La famille étant un pilier de la vie de notre société, l’Église a son mot à dire. Jésus lui-même est né dans une famille ! Sa formation de moraliste pouvait laisser penser qu’avec lui, on était dans l’autorisation ou dans l’interdit. Mais le cardinal Vingt-Trois pensait différemment. Il se demandait toujours : comment faire en fonction de la situation précise des personnes ? Voilà ce que vivent les gens et voilà ce à quoi Dieu nous appelle : comment essayer de rejoindre les deux moments, en acceptant de prendre le temps nécessaire et en acceptant de ne pas heurter ? Il était pétri de la Parole de Dieu. Je me rappelle d’une messe qu’il a présidée un dimanche soir à Notre-Dame. Tous les évêques de France étaient présents à la suite d’une de leurs rencontres. L’évangile du jour était celui de saint Matthieu sur le mariage (19, 3-12). Il a prêché aux évêques sur le sens du mariage chrétien et un certain nombre a été fasciné par sa manière originale de lire et de recevoir la Parole de Dieu. Son sens pastoral touchait les cœurs.
P. N.-D. – Comment cela s’est-il traduit dans sa pastorale au sein du diocèse de Paris ?
D. M. – Ce sujet a jalonné toute sa vie de prêtre. Lors¬qu’il était évêque auxiliaire du diocèse de Paris, avec la catéchèse, nous faisions de grands rassemblements de familles et d’enfants – il y en a eu plusieurs au Champ de Mars et à Notre-Dame – et de même lorsqu’il était archevêque de Tours, son souci était l’éducation religieuse. Le cardinal Jean-Marie Lustiger, alors archevêque de Paris, voulait un nouveau catéchisme pour l’an 2000, Pour grandir dans la foi. Mgr Vingt-Trois, alors archevêque de Tours, m’avait mis dans l’équipe de rédaction. Je le rejoignais tous les lundis à Tours pour créer ce parcours avec lui. L’objectif était de rendre la catéchèse audible et acceptable pour les enfants et aussi pour leur famille. Le succès fut tel que nous avons extrait de ce parcours un petit livre sur la foi catholique à destination des familles. Aujourd’hui encore, ce livret est largement utilisé. Enfin, comme cardinal et archevêque de Paris, Mgr Vingt-Trois s’est saisi pleinement du sujet. Il a donné de grandes et fortes catéchèses dans Notre-Dame. Il ne faut pas oublier que le pape François, entre 2014 et 2015, l’a nommé président délégué du Synode romain sur la famille et, à son retour, le cardinal a organisé des rassemblements d’acteurs et de soutien de la famille au sein du diocèse notamment de ceux qui participent à la préparation au mariage. Véritable pasteur, l’archevêque émérite cultivait aussi une certaine attention à toutes les paroisses et rendait visite aux groupes de jeunes qui préparaient la confirmation, par exemple.
P. N.-D. – La jeunesse, justement, était aussi un point majeur de son épiscopat…
D. M. – À ses yeux, une famille qui va bien, c’est une jeunesse qui va bien et, par ricochet, c’est une société qui va bien ! Les trois forment un ensemble. Il sentait que les jeunes avaient besoin d’espérance, en dépit des craintes, des temps difficiles, des injonctions de la société, etc. Son souci était de les encourager, avec sa grande expression et la tonalité caractéristique de sa voix : « Allez-y ! Engagez-vous ! N’ayez pas peur ! Ne restez pas au bord du chemin ! ». À la fin de chaque messe d’ordination à Notre-Dame, il terminait l’office par un appel aux jeunes : « Vous qui êtes présents aujourd’hui et qui voyez ces jeunes s’engager dans le sacerdoce, qu’attendez-vous ? » Il provoquait, bien sûr ! Je connais un certain nombre de jeunes prêtres du diocèse de Paris qui sont entrés au séminaire à la suite de ses interpellations.
P. N.-D. – Quelle image gardez-vous de lui ?
D. M. – C’était un homme libre et cela m’a profondément marqué. Libre, non pas pour donner des leçons, mais parce qu’il était lui-même, en toutes circonstances. Il était habité par la présence de Dieu et par la prière. Il était doté d’une grande humilité qu’il cachait derrière son humour.
Propos recueillis par Marie-Charlotte Noulens