« Répondre de l’appel de Dieu »
Paris Notre-Dame du 19 août 2025
« Pour trouver des personnes capables de répondre à un appel, il faut les préparer et cette préparation passe par un investissement de formation. Beaucoup de chrétiens ne manquent pas de générosité, mais ils ne se sentent pas prêts aux responsabilités qui leur sont proposées. La formation à tous les niveaux est donc un impératif absolu » (Notre mission à Paris, 3 décembre 2005). Si Mgr Vingt-Trois avait à cœur les vocations – et notamment les vocations sacerdotales –, il liait de manière étroite la capacité à répondre à l’appel et la formation. Une préoccupation qui était déjà la sienne dans les toutes premières années de son ministère sacerdotal, alors qu’il était jeune vicaire à Ste-Jeanne-de-Chantal (16e), particulièrement investi dans la formation des laïcs et des catéchistes, et qu’il n’a cessé de déployer comme vicaire général, évêque auxiliaire puis archevêque de Paris. Entretien avec Mgr Jérôme Beau, archevêque de Poitiers (Vienne), qui fut, pendant douze ans, un proche collaborateur de Mgr Vingt-Trois comme évêque auxiliaire du diocèse de Paris.

P. N.-D. – Dès ses premières missions comme jeune vicaire, le P. André Vingt-Trois travaille particulièrement à la formation des laïcs…

Mgr Jérôme Beau – C’est à Ste-Jeanne-de-Chantal (16e) que l’équipe de prêtres en place – autour du curé d’alors, le P. Jean-Marie Lustiger – a lancé ce qui allait devenir la Formation des responsables. Le cœur même de cette formation s’appuyait sur l’Écriture, la Tradition et l’Église ; il y avait donc des cours sur la Bible et les textes de la Tradition, et une expérience d’Église par la méthode, à savoir le travail en groupe. Il ne s’agissait pas de se former par l’acquisition des savoirs, mais par le dialogue entre les différents laïcs en formation. Et on voit bien comment ce triptyque Écriture-Tradition-Église sera la pierre angulaire, plus tard, de l’École Cathédrale puis du Collège des Bernardins. « Responsable », étymologiquement, c’est « répondre de l’appel de Dieu ». Parler de « Formation des responsables », c’est rappeler l’objectif d’une formation : être en capacité de répondre de l’appel de Dieu et du don de Dieu pour nous. On devient responsable de celui qui nous aime et de l’amour dont on est aimé, en ayant la capacité de le formuler avec sa raison et sa foi, dans le monde d’aujourd’hui.
P. N.-D. – C’était dans les années 1970, et déjà, cela manifeste une grande attention à la place des laïcs dans l’Église.
J. B. – Il a effectivement toujours eu cette préoccupation de travailler avec des laïcs, dès ses années à Ste-Jeanne-de-Chantal, une paroisse qui a connu, avec l’arrivée du P. Lustiger comme curé, un véritable renouveau dans sa vie paroissiale ! Les paroissiens ont très vite été impliqués dans les structures de la paroisse, notamment pour le catéchisme, sur lequel le P. Vingt-Trois s’est beaucoup investi. Il ne s’agissait pas de s’appuyer sur les laïcs par manque de main-d’œuvre, mais bien pour honorer leur vocation de baptisés à faire vivre l’Église. Cette collaboration avec tous manifestait que l’Église n’est pas la cohabitation de deux mondes séparés, l’un clérical et l’autre laïc.
P. N.-D. – Il s’est beaucoup intéressé également à la formation des séminaristes…
J. B. – Sous l’impulsion de Mgr Lustiger – devenu archevêque de Paris –, il ouvre la Maison Saint-Augustin en 1984, et le Séminaire de Paris en 1985 ; il crée ensuite le Studium, puis l’École Cathédrale et, bien plus tard, le Collège des Bernardins, toujours dans ce rapport à la formation et au lien avec la vie de la société et le diocèse et les vocations. Il portait le souci des vocations et de la formation des prêtres. Avant d’être nommé archevêque de Tours (en 1999, NDLR), c’est lui qui prêchait les retraites à la Maison Saint-Augustin. Concernant la formation, on retrouve le même triptyque Écriture-Tradition-Église, l’expérience ecclésiale étant, cette fois, liée à une ouverture pastorale. Les séminaristes sont en effet accueillis – et c’est très novateur à cette époque – au sein d’un presbytère. L’idée fondatrice, c’est d’être plongé au cœur d’une vie paroissiale – et avec des prêtres qui œuvrent pour cette vie paroissiale –, afin que cette expérience pastorale soit une vraie matrice de leur formation. Il a également, comme archevêque, investi énormément de prêtres dans la formation et dans les vocations.
P. N.-D. – Ces homélies étaient-elles aussi un vecteur de formation ?
J. B. – En tous les cas, elles étaient attendues… Il avait un regard très aiguisé – il faut dire qu’il lisait énormément ! – et, aussi, une liberté dans la manière dont il pouvait parfois parler de l’actualité. Dans ses homélies de messe chrismale, par exemple, il y avait toujours un moment où il partageait aux prêtres un regard, une méditation, un point de réflexion sur la situation du monde.
P. N.-D. – Son attachement à la formation des prêtres le rendait-il particulièrement présent, comme archevêque, auprès des séminaristes ?
J. B. – Un évêque doit garder une forme de distance avec les séminaristes, parce qu’il faut qu’ils s’y engagent avec leur liberté et que l’évêque garde sa liberté de l’appel. Et pour ça, Mgr Vingt-Trois nous faisait une grande confiance. C’est d’ailleurs ce qui marque la collaboration avec lui : la confiance qu’il avait envers les prêtres, et envers ceux qu’il mettait en responsabilité. Ce n’est pas un homme qui donnait les détails de ce qu’on devait faire, c’est quelqu’un qui donnait une mission. Mais il était proche de son clergé, qu’il connaissait très bien. Quand les prêtres avaient une vraie question et qu’ils venaient le voir, j’ai toujours senti son attention et cette grande bonté. Il était attentif aux nominations des prêtres : le discernement ne reposait pas seulement sur ce dont l’Église avait besoin, mais aussi sur ce qui était bien pour ce prêtre, en fonction de son tempérament ou de son itinéraire. C’était un homme d’une très grande sensibilité, qu’il exprimait avec pudeur, par souci et respect de la liberté de chacun. C’était une figure que les prêtres ne voyaient pas forcément tous les matins, mais qui était marquante de l’unité sacerdotale. Il faut aussi rappeler qu’il était un homme de solitude et de prière, peut-être même un ermite dans la ville. Il était vraiment un homme de Dieu, un consacré au Seigneur au cœur de la ville, et on ne peut comprendre sa pensée sans saisir son enracinement profond dans la relation au Christ.
Propos recueillis par Charlotte Reynaud