La Mission Saint-Paul
Dès 1942, le cardinal Suhard demande, en vain, aux autorités françaises et allemandes l’apport des « secours religieux aux travailleurs français en Allemagne » et met alors en place, clandestinement, la « Solution saint Paul » en 1943.
Dès 1942, le cardinal Suhard demande aux autorités françaises et allemandes l’apport des « secours religieux aux travailleurs français en Allemagne » et la création d’une aumônerie. Les 2-3 mars 1943, il réunit à l’archevêché de Paris les « futurs aumôniers des travailleurs en Allemagne » en envisageant les exigences d’une éventuelle clandestinité. Il ne veut pas néanmoins ne pas avoir tout tenté pour obtenir une aumônerie officielle : le 11 mars 1943, il insiste auprès du maréchal et de Laval en leur demandant une intervention spéciale en faveur d’une aumônerie officielle : « les 600 000 Français travaillant en Allemagne sont privés de l’assistance de tout aumônier français. ». En vain.
En raison de ce refus persistant, la « solution saint Paul » – c’est ainsi qu’on appelait l’équipée des « prêtres clandestins » – est envisagée.
Le nom de « Solution saint Paul » (l’apôtre Paul avait travaillé de ses mains) est immédiatement adopté : au sujet de l’envoi de prêtres qui, pour être auprès des requis, seront si nécessaire clandestins. Cette solution a été délibérément voulue par le cardinal Suhard et explicitement assumée par le pape lui-même.
C’est dans ce contexte que le 21 mars 1943 paraît le rescrit pontifical destiné à assurer l’assistance spirituelle aux travailleurs civils en Allemagne en étendant, par l’intermédiaire du cardinal Suhard, aux aumôniers des travailleurs clandestins, toutes les autorisations canoniques requises.
Le 28 mars a lieu la consécration de la France au Cœur immaculé de Marie par l’épiscopat français réuni à Notre-Dame de Paris ; c’est l’occasion d’une déclaration sur le sort des ouvriers envoyés en Allemagne : « Nous n’épargnons aucune démarche pour que des prêtres français puissent leur apporter l’appui de la religion et le soutien de la charité en partageant le sacrifice qui leur est imposé. »
Les 30 et 31 mars 1943, le père Rodhain réunit à Paris les prêtres sélectionnés et de nouveaux volontaires et leur parle de la nécessaire clandestinité. Les 7 et 8 avril 1943, à la réunion de l’Assemblées des cardinaux et archevêques de France, le cardinal Suhard expose son souhait : se contenter de la clandestinité si l’on n’obtient pas de solution officielle.
Le 20 mars 1943, la Wehrmacht autorise la « transformation » de 250 000 prisonniers de guerre en « travailleurs-civils ». Quelque 200 prêtres français demandent cette transformation en « zivils » pour porter quelques secours spirituels aux travailleurs requis. Au 20 octobre 1943, on compte 25 prêtres-ouvriers clandestins, une soixantaine de requis et environ 200 prêtres “prisonniers-transformés” – le 13 avril 1944, ce sera 250 prêtres et plus de 1000 séminaristes et des milliers de militants qui seront recensés [1].
Le 16 mai 1943, l’abbé Rodhain célèbre la messe à la Piuskirche à Berlin devant tous les officiels allemands et français. Manifestation qui porte à l’euphorie les quelques 100 000 Français à Berlin, mais véritable opération Tarnung (camouflage) : les autorités allemandes visaient à obtenir des renseignements sur les présents et à camoufler leurs visées d’asservissement idéologique. Gaston Bruneton, responsable en Allemagne de l’action sociale auprès des requis du service du travail obligatoire, est à l’œuvre dans la collaboration en cherchant à obtenir de Rodhain les listes de l’action catholique et toutes les informations sur l’apostolat français. L’action de l’Aumônerie est, pour l’idéologie nazie, une force à abattre, d’autant plus qu’elle est soutenue par le Saint-Siège.
Le 3 décembre 1943, l’ordonnance de Kaltenbrunner, qui reste secrète sauf aux personnes chargées de l’appliquer, déclenche la persécution.
Outre les clercs, dont certains clandestinement « transformés » en « travailleurs-civils », il y a, parmi tous les requis embarqués par suite des lois de Vichy du 4 septembre 1942 et du 16 février 1943, un nombre certain de jeunes, jocistes ou scouts, aussi bien d’ailleurs que jécistes, jacistes ou autres jeunes catholiques, qui sentent plus ou moins confusément que cette réquisition à laquelle ils sont soumis, non seulement est une violation de leur citoyenneté nationale, mais aussi les expose, eux et leurs jeunes camarades, à un endoctrinement contraire à la foi chrétienne. Au sein même de l’État nazi, ils opposèrent à la nazification des esprits une ferme et constance résistance spirituelle et finirent martyrs de leur foi, victime de « l’activité de l’action catholique française auprès de leur compatriotes, travailleurs civils dans le Reich » ; épuisés par la maladie et les mauvais traitements, dans l’abjection des camps de concentration ou des « convois de la mort », ils offrirent leur vie pour l’Évangile.
On peut véritablement parler de « martyrs », pour ces prêtres, religieux et séminaristes comme pour les jeunes laïcs (jocistes, scouts ou autres « militants ») qui, « en haine de l’Évangile », « pour messes célébrées ou entendues », pour leur « fidélité au pape et au cardinal Suhard qui les avaient envoyés », « pour leur action catholique non politique », etc. sont morts de la même mort que tant d’autres, dans le camp de concentration où eux aussi ont été envoyés. Ce qui leur était propre était dissimulé leur arrestation, leur condamnation et leur passion découlaient du décret de persécution nazi porté contre l’apostolat catholique français à l’œuvre parmi les travailleurs en Allemagne ; or, dans toute leur passion ils avaient refusé de donner quelque prise à la peine qui leur était infligée : ils ont « remis l’épée au fourreau », offrant seulement leur propre vie pour tous ceux dont ils se trouvaient proches, leurs compagnons de travail, puis leurs compagnons de détention (jusqu’à leur livrer quelques grammes de leur maigre pitance), et jusqu’à leurs délateurs (dont ils ont demandé à leurs proches de ne pas livrer le nom) et leurs bourreaux eux-mêmes (pour qui ils priaient Dieu de leur ouvrir les yeux et le cœur). Que ce décret de persécution soit unique ou non, il fut explicitement porté contre l’apostolat catholique. Or, si pour la théologie catholique, selon la formule de saint Augustin reprise par saint Thomas d’Aquin « martyres discernit causa, non poena » (ce n’est pas la peine qui fait le martyr, mais la cause du châtiment accepté, désarmé, jusqu’à la mise à mort), on ne peut pas ne pas reconnaître qu’au sens propre du terme, il y a eu ici au moins 51 – en comptant Marcel Callo béatifié en 1987 – cas de martyrs très authentiques, qui ont été victimes, non pas seulement de la Seconde Guerre mondiale, mais plus précisément, à cette occasion et très officiellement, de l’athéisme nazi.
Source : Mgr Charles Mollette, La « Mission Saint-Paul », traquée par la Gestapo, François-Xavier de Guibert, 2003
[1] Charles Klein, Le Diocèse des barbelés, p. 253, d’après les statistiques de l’aumônerie Rodhain