La question du genre

Famille et Éducation - novembre 2013

Article paru dans la revue Famille & Education (novembre-décembre 2013), en partenariat avec la revue Croire (Bayard presse).

Notre corps est d’abord un corps sexué, corps d’homme ou corps de femme. Ces dernières années, la « théorie du genre » est venue bousculer la notion de différence sexuelle. Qu’en est-il au juste ?

De quoi s’agit-il ?

Le « genre » est un terme traduit de l’anglo-américain gender. Contrairement à une idée reçue, ce n’est pas un concept univoque qui se rattacherait à une « théorie » unifiée. Ce mot a plusieurs définitions et sert à de nombreux usages académiques ou militants.
Il est apparu dans les années 1970, dans le cadre d’études américaines sur les « anomalies » de la sexuation. Il existe en effet de très rares cas de personnes ayant le sentiment subjectif d’être des hommes alors qu’elles sont biologiquement des femmes et inversement. D’où l’idée de distinguer le sexe biologique, corporel, du genre qui correspond au sentiment d’appartenir à l’un ou l’autre sexe. Les psychiatres, sociologues, anthropologues qui se sont penchés sur cette question ont vite compris qu’un certain nombre d’habitudes culturelles renforçaient le genre dans le lent processus d’éducation. On connaît bien le trop fameux : « Les filles sont douces et les garçons brutaux ». Mais de façon plus subtile, on dit aussi par exemple d’un bébé qui crie qu’« il aura du caractère » si c’est un garçon, alors qu’une petite fille attirera plutôt la compassion : « Elle est malheureuse »… D’où l’idée, assez simple au fond, que le genre est construit par les idées toutes faites, les « stéréotypes » culturels du milieu ambiant. Tout, ensuite, est une question de curseur : un peu construit, beaucoup construit ou, pour les extrémistes, totalement construit.
Sur ce point, il faut bien dire que toutes les écoles ne sont pas d’accord. Ce n’est que tardivement, en 1990, qu’est apparue, avec Judith Butler, la "Queer theory" (théorie étrange) qui prône une déconnexion totale du biologique et du culturel, afin de « subvertir » la domination masculine.

Cette théorie est-elle vraiment menaçante ?

En soi, une théorie aussi vague et générale n’a rien de menaçant. Au contraire, certains apports des études de genre sont très utiles pour que les hommes et les femmes prennent conscience, ensemble, de leurs préjugés respectifs. Ceci notamment pour parvenir à une plus grande égalité et à une meilleure entente.
On songe notamment à l’apport trop méconnu de Carol Gilligan, une psychologue, qui, dans les années 1980, a ouvert les recherches sur le « care » par une étude très concrète menée avec des hommes et des femmes, à partir d’une batterie d’entretiens. Il en ressortait que les caractéristiques mêmes de la génération (une femme est issue d’un corps semblable au sien, un homme d’un corps différent du sien), induisaient des comportements différents devant la vie et les relations humaines.
Mais il faut bien avouer qu’en dehors de milieux universitaires assez pointus, c’est la théorie la plus extrémiste – que l’on a appelée, à tort, la « théorie du genre » – qui a surtout été véhiculée en France par les médias. Les promoteurs du mariage entre personnes de même sexe ont trouvé, dans cette théorie extrême, un appui idéologique ou une forme de confirmation.

Quel est le point de vue de l’Église ?

L’Église n’a pas de point de vue précis sur les études de genre en général. Mais elle a une position assez claire sur l’anthropologie elle-même. Elle affirme, elle n’est pas la seule à le faire, que l’on ne peut dissocier le corps et l’idée que l’on s’en fait. Le genre (le sentiment que nous avons de notre identité sexuée) peut bien être en grande partie construit, il repose aussi sur une réalité physique (notre sexe corporel). Cette réalité physique nous fait nous souvenir que nous sommes des êtres finis, incomplets, dépendants. Créés par Dieu « mâles et femelles », nous avons à devenir vraiment « hommes et femmes ». C’est un travail de relation fait de respect, de reconnaissance, d’amour, d’écoute. Un travail toujours inachevé, toujours à reprendre, toujours à poursuivre.

Comment initier des enfants à la sexualité ?

Il faut sur ce sujet distinguer trois questions : tout d’abord l’accès à son identité sexuée (ce qui fait que je me sens à l’aise dans mon être-homme ou mon être-femme), ensuite la relation avec des personnes de sexe différent (à l’école, à la maison, avec les amis…) et la relation sexuelle proprement dite.
Si les parents eux-mêmes sont au clair sur ces trois points et s’y sentent à leur aise, tout devient très naturel. Les relations familiales, entre parents, avec les enfants ou leurs amis permettent de structurer ces trois pôles qui sont en constante interaction, surtout à partir de la puberté, quand la relation sexuelle proprement dite – ou plutôt sa possibilité – vient perturber une vie qui, jusqu’alors, ne connaissait pas vraiment de pulsions de ce type.
Des mouvements de jeunesse comme les Scouts et Guides de France ont bien travaillé ces questions et sont conscients du travail éducatif qui est le leur à cet égard. Ils manient mixité et non-mixité avec beaucoup moins de parti-pris idéologiques que les générations précédentes ne l’ont fait. Ils ont développé des outils spécifiques à travers le concept de « coéducation » : « La coéducation est l’éducation concertée des filles et des garçons, afin de les aider à se découvrir mutuellement et à vivre leur identité sexuée au travers de relations fondées sur le respect, la reconnaissance de l’autre, la coopération et le refus des discriminations. » • Jean-Pierre Rosa

Article écrit en partenariat avec la revue Croire (Bayard Presse)

La théorie du genre

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