« On ne naît pas homme, on le devient »
Paris Notre-Dame du 20 octobre 2016
Le P. Philippe de Maistre, aumônier au collège Stanislas (6e), fait le constat d’une crise profonde de la masculinité, sujet sur lequel il intervient régulièrement et qui rencontre un véritable écho. Interview.
Paris Notre-Dame – Les hommes sont en crise ? Vraiment ?
P. Philippe de Maistre – Beaucoup d’hommes perçoivent la vie spirituelle comme quelque chose qui les étouffe, qui les coupe de la vraie vie, mais ils n’osent pas se l’avouer. Quand je parle de la crise du masculin, les hommes me disent que je viens mettre le doigt sur le fil à la patte qui les empêche d’avancer. L’écho est important, et même chez des prêtres qui ne comprenaient pas une certaine souffrance qu’ils portaient sans l’identifier.
P. N.-D. – Pourquoi se sentent-ils si étouffés ?
P. P. M. – L’homme aspire naturellement au combat, à l’aventure et à la romance [1]. Ces deux premières aspirations sont-elles suffisamment honorées et assumées ? Le message qu’entendent les hommes n’est-il pas trop souvent : « Sois gentil ! Réfrène-toi ! Mets en sourdine ta fougue ! » ? Il semble que notre société – et l’Église elle-même – ne sache plus que faire de tout cet aspect de la force, de ce désir de transgression naturel pour les garçons et les hommes. Vous seriez surpris de trouver parmi les ultras du PSG de bons pères de famille. Il y aurait aussi beaucoup à dire au sujet de la pornographie qui est une sorte d’exutoire et de drogue pour les « gentils garçons ».
P. N.-D. – Pourquoi cette virilité ne s’exprime-t-elle pas, tout simplement ?
P. P. M. – Nous connaissons tous la maxime de Simone de Beauvoir : On ne naît pas femme, on le devient. Elle avait raison… mais pour les hommes ! Pour devenir homme, le garçon a besoin d’accueillir et d’apprivoiser sa force. Ce travail ne peut se faire que par une transmission verticale face au Père. Au début de la Genèse, Adam est seul dans le jardin. Il ne devient homme que sous le regard du Père qui l’investit de son identité masculine dont il pourra ensuite faire le don à sa compagne. Il semble qu’aujourd’hui, cette donnée anthropologique évidente dans toute société ait été gommée de notre civilisation moderne. Dès lors, privé d’initiation et de confirmation de son identité, le petit d’homme confie les clés de son identité à la femme. Quand il croit quitter sa mère, c’est souvent pour se réfugier dans les bras de sa petite amie qui se retrouve dans le rôle d’une maman de substitution. Il faut le dire et le redire : les relations amoureuses trop précoces, lorsqu’elles remplacent une authentique initiation masculine, loin de confirmer le garçon dans sa masculinité, la bride au contraire.
P. N.-D. – Comment aider les garçons à devenir des hommes ?
P. P. M. – Il faut retrouver le sens de l’initiation. Toutes les sociétés ont organisé le passage à l’âge adulte où les pères transmettaient rituellement le secret de leur identité à leur fils. « Tu seras un homme quand tu auras tué un lion » (proverbe massaï), lui disaient-ils dans certaines tribus africaines. Ensuite, le garçon se sentait autorisé à être un homme. C’est le père, ou toute figure masculine, qui a en charge de bénir le fils, de le confirmer dans sa masculinité.
P. N.-D. – Que peut l’Église quand le père est manquant ?
P. P. M. – Elle doit s’organiser pour compenser ce manque. Peut-être est-elle devenue trop maternante… Ne devrait-elle pas inciter les hommes à investir les lieux de transmission, l’enseignement notamment ? Le prêtre, de son côté, incarne une figure masculine de l’autorité. Avoir une parole tranchée mobilise les garçons pour qui il faudrait développer une pastorale particulière. Il y aurait beaucoup à dire au sujet du sacrement de la confirmation qui est le sacrement de l’initiation par excellence. Confirme-t-il les garçons dans leur identité d’homme, avec tout cet aspect du combat pour le royaume ? Leur propose-t-on une spiritualité virile qui aborde le thème du combat spirituel ? Leur donne-t-on en exemple des figures héroïques, des martyrs avec une identité missionnaire forte ? Il faut réinjecter dans l’expérience des garçons du mythe et du rite. Je crois qu’il faut également développer les moments spirituels spécifiques pour les hommes. Les pèlerinages père et fils à Cotignac, la marche de Saint Joseph à Paris, la retraite Cœur des hommes en Provence, les Camps Optimum ou les Chevaliers de Colomb sont autant de lieux où les hommes peuvent guérir cette blessure. • Propos recueillis par Pauline Quillon
[1] Cette distinction est faite par John Eldrege, dans son livre Indomptable, le secret de l’âme masculine, qui invite les hommes à assumer la force que le Créateur leur donne.