Les martyrs de la rue Haxo
Paris Notre-Dame – 15 avril 2021
Paris Notre-Dame du 15 avril 2021
Le 26 mai 1871, alors que la Commune de Paris vit ses dernières heures, cinquante otages sont fusillés, rue Haxo. Parmi eux : trente-six gendarmes, quatre civils et dix ecclésiastiques. Cinq de ces derniers sont sur le point d’être béatifiés. La paroisse érigée sur ces lieux, N.-D.-des-Otages, s’apprête à commémorer les 150 ans de cet événement.
Par Isabelle Demangeat @LaZaab
L’événement est peu connu. De fait, sur les lieux, au 85, rue Haxo, dans le vingtième arrondissement de Paris, il n’en reste plus beaucoup de traces. Les vestiges d’un mur en pierre qu’il faut réussir à dénicher. Et une plaque commémorative. Sur celle-ci une date est gravée : le 26 mai 1871.
À l’époque, le régime de la Commune de Paris vit ses toutes dernières heures. Quelques semaines plus tôt, il s’est formé dans la capitale. Adolphe Thiers et le gouvernement en place se sont retranchés à Versailles (Yvelines). Le peuple communard conteste la décision de capitulation de la France face aux Prussiens qui ont déjà investi la capitale. Une fois élus, les mouvements communalistes veulent ériger une société plus égalitaire, défendant le droit des plus pauvres. En quelques semaines, plusieurs décrets ou lois en ce sens sont adoptés. Comme l’égalité salariale entre hommes et femmes, la réduction du temps de travail des ouvriers… et aussi la séparation des Églises et de l’État. « La Commune ne veut pas que les prêtres, religieux et religieuses jouent un rôle social, explique le P. Jacques Benoist, historien en mission d’études à N.-D.-des-Otages (20e). Considérant leur action comme paternaliste et donc attentatoire à la dignité des pauvres. » L’idéal doit être uniquement politique, en aucun cas religieux. Les penseurs de ce régime, Théophile Ferré, Jules Vallès ou encore Louise Michel, promeuvent un humanisme de réformes sociales, politiques et morales. Un « humanisme athée » selon les mots du P. Henri de Lubac, théologien. L’Église par ailleurs est considérée comme bourgeoise. En ce sens, elle est soupçonnée de conspirer avec le régime de Versailles.
Le 5 avril, la Commune adopte un décret dit « des Otages ». Celui-ci institue que « tous accusés, retenus par le verdict du jury d’accusation, seront les otages du peuple de Paris ». « À partir de ce moment, dans le courant du mois d’avril, près de trois cents suspects sont arrêtés, raconte le P. Jacques Benoist. Des hommes, des femmes, des gendarmes, des religieux et des prêtres ». Tous considérés comme des ennemis de la Commune, ils sont envoyés à la prison Mazas située près de la gare de Lyon (12e). Parmi eux : Mgr Georges Darboy, archevêque de Paris, arrêté le 4 avril. Mais aussi, le 6, jour du Jeudi saint, le P. Henri Planchat, religieux de St-Vincent de Paul. Alors qu’il vit dans le quinzième arrondissement, il se rend tous les jours dans le quartier, totalement déchristianisé, de Charonne (20e) pour animer un patronage. « Il ne jouait aucun rôle politique, souligne le P. Yvon Sabourin, religieux de St-Vincent de Paul, postulateur de sa cause en béatification. Mais il était très, trop, populaire dans le quartier de Charonne. »
Un massacre
Les jours passent. L’armée de Thiers prend, le 1er mai, le fort d’Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine). Le 21 mai, elle entre dans Paris. C’est l’affolement. Le mercredi 24 mai, le « préfet de police », Raoul Rigault, obtient de faire fusiller l’archevêque de Paris ainsi que des Jésuites. Pour l’exemple ? « Blanquiste invétéré, Rigault était connu pour sa ligne justicière, raconte le P. Sabourin. Selon son secrétaire, Gaston Da Costa, il était animé par un seul désir : la vengeance. » Début mai, c’est lui qui avait obtenu de transférer certains otages à la prison des condamnés : la prison de la Grande Roquette. Le vendredi 26 mai, un certain colonel Émile Gois s’y rend et exige de « prendre » cinquante otages. Parmi eux : trente-six gendarmes, quatre civils et dix ecclésiastiques dont un séminariste, un prêtre séculier, quatre Picpuciens, trois Jésuites, et le P. Planchat. Encadrés de gardes nationaux, ils sillonnent les rues de l’est parisien, sous les huées et les quolibets de la foule. On les emmène à la Villa Vincennes, située rue Haxo, lieu de retranchement des chefs de la Commune. Là, le P. Planchat supplie qu’on épargne les gendarmes et civils, pères de famille, et qu’on prenne uniquement la vie des ecclésiastiques. Pour seule réponse, il reçoit un coup de crosse de fusil sur la tête. « Une femme, venue assister à la fusillade, se rue sur le P. Polycarpe Tuffier en essayant de lui arracher la langue », raconte le P. Sabourin soulignant ainsi le caractère anticlérical de l’entreprise : « C’était à cause de la foi qu’ils annonçaient que ces hommes ont été tués. » Tous les otages sont fusillés, de plusieurs balles. Les corps sont jetés dans une fosse de la salle de bal de la villa. « Ce n’était pas une simple fusillade, remarque le P. Sabourin. Mais un vrai massacre. » Trois jours plus tard, le lundi de la Pentecôte, les corps sont repris par les différentes congrégations. Celui du P. Planchat est inhumé au sanctuaire de la paroisse N.-D.-de-la-Salette (15e). La suite est aussi dramatique. Des milliers de fédérés furent massacrés par les Versaillais dans Paris fumant et ensanglanté. « Ces ecclésiastiques ne sont pas, à proprement parler, les “martyrs de la Commune de Paris” », souligne le P. Sabourin. Certains membres du Conseil et de nombreux citoyens se sont opposés à leur exécution. « Mais ils sont quand même du sang sur les mains de la Commune. »
Le regard du curé, le P. Stéphane Mayor
« Nous ouvrirons à la rentrée prochaine un patronage au nom du P. Planchat, nous avons proposé cette année, pour le Carême, un parcours autour de figures de martyrs, nous organisons un événement commémoratif fin mai… Nous verrons bien où le Seigneur veut nous mener à la suite de tout cela. Ces martyrs nous rappellent que la radicalité de l’amour pour Jésus est possible. L’idée n’est pas de réattiser une haine mais de montrer aux fidèles que nous pouvons aimer jusqu’au bout, pour la foi, pour l’amour des autres et pour le Salut. La fécondité de tels actes est mystérieuse. Mais quand on met de l’amour dans le monde, il n’est jamais perdu. Je me suis converti ici, dans ce quartier, à l’âge de 21 ans. Était-ce grâce à ces martyrs ? Je ne sais pas. L’Église repose sur le Christ, une personne qui a donné son sang. Plus que de grands discours, plus que des techniques pastorales, c’est le don de soi, par amour, qui donne du fruit. Ces martyrs nous le rappellent aujourd’hui, dans ce quartier encore très déchristianisé et alors que, à la suite des différents confinements, nous pouvons observer un relâchement de la pratique religieuse. »
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