Mgr André Vingt-Trois : « Mes premiers objectifs : allez à la rencontre des prêtres et visiter les paroisses »
Paris Notre-Dame – 3 mars 2005
Paris Notre-Dame du 3 mars 2005
Samedi 5 mars, l’Église de Paris accueillera son nouvel archevêque. Mgr André Vingt-Trois livre à Paris Notre-Dame quelques réflexions sur sa future tâche de pasteur dans la Capitale.
Monseigneur, comment envisagez-vous concrètement votre tâche de pasteur du diocèse de Paris ?
MGR ANDRÉ VINGT-TROIS — II me faut d’abord reprendre contact avec la réalité du terrain parisien. A Tours, j’ai découvert un diocèse qui avait une histoire qui n’était pas la mienne : je ne devais pas y projeter mon histoire personnelle mais entrer dans celle du diocèse. Pendant ces six années, il s’est passé des quantités de choses à Paris, des événements marquants, des changements de personnes. Il ne s’agit donc pas de rester sur mon souvenir du diocèse de Paris, mais d’entrer dans son histoire, là où il en est aujourd’hui. Il me faut découvrir les dynamismes à l’œuvre pour y prendre ma place.
Concrètement, mon premier objectif est d’aller à la rencontre des prêtres, car l’évêque ne peut exercer sa mission que s’il est entouré d’un presbyterium : je vais continuer les lundis de prière du Cardinal, renouer avec les prêtres que je connais déjà, et faire connaissance avec ceux que je ne connais pas encore. Mon second objectif est de visiter les paroisses, en commençant dès le 6 mars.
Pour vous qu’est-ce que la Nouvelle Évangélisation ?
MGR ANDRÉ VINGT-TROIS — C’est d’abord une donnée permanente de la foi chrétienne, car d’une certaine façon l’Évangile est toujours nouveau. C’est par une erreur de perspective, ou par un assoupissement de la vigilance spirituelle, qu’on se donne l’impression de connaître l’Évangile. On peut avoir une familiarité avec les textes, mais la nouveauté est dans le fait que cette Parole est pour moi AUJOURD’HUI. C’est pourquoi nous avons toujours besoin d’entendre à nouveau proclamer l’Évangile. Telle est d’ailleurs la première mission de l’Église. Ainsi, la
Nouvelle Évangélisation consiste à remettre constamment en œuvre cette annonce ancienne. C’est aussi le fait qu’il y ait toujours une parole nouvelle adressée à la liberté et au cœur de l’homme.
Je n’interprète pas le terme de Nouvelle Évangélisation comme une évangélisation qui succéderait à une autre. Il y a bien un renouvellement dans les méthodes, l’approche et les initiatives apostoliques. Mais la nouveauté de l’évangélisation tient dans le fait que l’Évangile est une parole nouvelle pour l’homme. Nos pays d’Europe occidentale, christianisés depuis très longtemps, ont besoin d’une nouvelle annonce de l’Évangile pour raviver la ferveur des chrétiens. Mais ce qui la relance, ce n’est pas la nouveauté des méthodes, c’est la nouveauté de la Parole qui les touche.
Quand on étudiera les effets des Congrès pour la Nouvelle Évangélisation comme ceux de Vienne et de Paris, on verra bien qu’il n’y a rien de neuf dans le contenu. La nouveauté, c’est la façon de le dire et, peut-être, pour certaines personnes, le fait de l’avoir entendu d’une nouvelle manière, même si elles ont été baptisées il y a 50 ans.
De quelle manière évangéliser les quartiers difficiles de Paris ?
MGR ANDRÉ VINGT-TROIS — Il faut d’abord se demander ce qu’est un quartier difficile. Si on pense qu’un quartier où les églises sont pleines est facile, c’est une erreur ! L’important est de savoir ce que vivent les gens, et quel est le centre de gravité de leur vie. Je ne sais pas si, au regard de Dieu, il y a des hommes faciles et des hommes difficiles. S’il y a des quartiers qui sont socialement difficiles, cela ne veut pas dire qu’ils sont chrétiennement plus difficiles que d’autres. A quoi mesure-t-on la qualité d’une communauté chrétienne ? Nous devons faire fructifier un esprit commun dans une réalité sociologique très diversifiée et très paradoxale dans ses éléments visibles. Ce qui n’est pas plus difficile à Paris qu’ailleurs. La spécificité parisienne, c’est que les disparités sont juxtaposées de manière très proches.
Comment développer une communion ecclésiale ? Il y a d’abord le presbyterium, appelé à une fraternité sacramentelle, qui assume des différences de situations apostoliques et des différences de personnalités. La retraite des prêtres du mois de janvier rassemble arbitrairement un groupe de prêtres en fonction de leur date de nomination. Au nom de la mission reçue, ce groupe hétérogène passe une semaine ensemble à prier, à échanger et à se découvrir. Les lundis de prière sont aussi des moments de partage fraternel. La messe chrismale réunit le presbyterium autour de l’évêque. Elle réalise une communion qui n’est pas uniformité.
Les paroisses qui nous paraissent florissantes sont aussi démunies devant les questions humaines que celles qui nous semblent plus pauvres. C’est vrai, il y a des paroisses qui ont plus de ressources évidentes, apparentes ; il faut peut-être que nous apprenions à développer une solidarité plus active dans le partage des moyens. Cela peut être dans la vie économique, comme dans les ressources humaines. Mais qui acceptera, non pas d’apporter ses méthodes chez les autres, mais de se faire membre d’une autre communauté que la sienne ? On dit que la paroisse urbaine devient de plus en plus une paroisse d’élection ; alors peut-être que des chrétiens, poussés par le sens de la communion ecclésiale et de la charité se feront membres d’une communauté qui en a besoin.
Des axes pastoraux de Mgr Lustiger, que comptez-vous développer ?
MGR ANDRÉ VINGT-TROIS — Il y a des initiatives fondamentales pour l’avenir du diocèse, et même pour la région, qui ont été prises depuis 25 ans. le m’emploierai non pas à les préserver, mais à leur permettre de suivre leur dynamique : cela concerne la formation des prêtres et des laïcs, la communication, la Fraternité Missionnaire des Prêtres pour la Ville, et toutes les initiatives apostoliques.
Comment, à Paris, créer une communion, une unité entre des prêtres qui sont de génération, de sensibilité, de milieu, de formation très divers ?
MGR ANDRÉ VINGT-TROIS — Ce qui permet la communion des prêtres dans le presbyterium, n’est pas de l’ordre des « trucs ». Pour atteindre le niveau de profondeur où le Christ veut nous voir réunis, il faut revenir à notre ordination qui touche à notre manière d’être. Cela n’a rien à voir avec des collaborations, avec des groupes de spiritualité. Le presbyterium n’est ni une association de tâches, ni une connivence de penchants spirituels : c’est la communion que le Christ établit entre nous par le fait qu’il nous fait partager son ministère. L’évêque est celui qui associe à ce ministère par l’ordination et qui est le garant de cette unité sacramentelle. C’est la même chose pour le baptême : ce qui fait que les chrétiens constituent l’Église, ce n’est pas qu’ils vivent ou font la même chose, c’est qu’ils sont baptisés. L’Église n’est pas un club de gens qui ont un même projet, ou qui adoptent la même idéologie sur ce que doit être la société de demain. Ce sont des gens qui se retrouvent dans la communion au Christ par leur baptême et leur participation à l’Eucharistie. Les prêtres, eux, se retrouvent dans la communion eucharistique par leur ordination sacerdotale et ils peuvent avoir par ailleurs des missions, des talents, des savoir-faire différents. Moi, je suis l’évêque de tout ce monde-là et je les accepte tous tels qu’ils sont, avec leurs qualités et leurs défauts. J’essaie de les aider à rendre le meilleur service possible à partir de ce qu’ils sont. Je n’ai pas à les aligner de manière caporaliste.
Aujourd’hui, avec moins de prêtres, quelles tâches supplémentaires part-on confier aux laïcs ?
MGR ANDRÉ VINGT-TROIS — Il n’existe pas de norme qui donne le nombre de prêtres par habitants On a les prêtres qu’on peut avec la vitalité de l’Église qu’on a, et selon notre capacité à appeler et à manifester le contenu propre du ministère sacerdotal. La participation des laïcs à la mission de l’Église est une autre question. L’engagement des laïcs ne découle pas de la raréfaction des prêtres. Ils ont une mission propre qui est la présence aux réalités de ce monde (familiales, professionnelles...) et le témoignage de l’Évangile dans ces réalités. C’est leur mission première. Et puis dans un certain nombre de circonstances, il est clair que l’activité pastorale de l’Église à l’égard de ses membres peut être mieux remplie par des laïcs que par des prêtres, ou en tous cas d’une autre façon. Et il y de nombreux domaines où ils peuvent être appelés, comme par exemple, la pastorale familiale, la préparation au mariage, le partage d’Évangile, la solidarité, l’accueil, l’éducation, la gestion pratique des communautés, etc...
(Suite de l’entretien dans le prochain numéro.)
Recueilli par Frédérique de Watrigant