Mgr André Vingt-Trois : « Il ne peut y avoir d’épanouissement humain dans l’amour sans un don total de soi »
Paris Notre-Dame – 17 mars 2005
Paris Notre-Dame du 17 mars 2005
Samedi 5 mars, l’Église de Paris a accueilli son nouvel archevêque. Mgr André Vingt-Trois livre à Paris Notre-Dame quelques réflexions sur sa future tâche de pasteur dans la Capitale.
Voici la suite de l’entretien dont la 1ère partie est parue dans le n° 1081 (p. 12-13).
Les diacres permanents ont-ils un rôle spécifique ? Ne suffirait-il pas de confier des missions pour un temps ponctuel à des laïcs ?
MGR ANDRÉ VINGT-TROIS — Les diacres permanents ont leur place et ils l’auront de plus en plus si on veut bien comprendre leur mission. L’ordination au diaconat permanent est une participation au ministère de l’évêque, caractérisée par le service. Depuis 30 ans, cela n’est pas encore très clair. Et c’est normal : dans l’Église, on ne procède jamais par définitions qu’on appliquerait par la suite ; on pose des définitions sur une réalité expérimentée. La loi cadre du Concile Vatican II pour la refondation du diaconat permanent était assez large pour donner place à beaucoup de définitions. Elle a permis ainsi de découvrir comment le Christ va agir dans son Église avec ce ministère. Il faut rendre grâce à Dieu que des hommes, souvent avec leurs familles, aient eu suffisamment de confiance dans l’Église pour accepter cette aventure. Il y a 25 ans, j’ai été associé à Paris à la formation des diacres permanents. Une chose était claire : nous ne savions pas ce que serait le ministère futur de ces diacres. Nous savions dans quelle direction aller, nous savions que ce ministère changerait leur vie, mais nous ne savions pas ce que ce ministère deviendrait. Les choses ont pu avancer parce que les diacres ont eu suffisamment confiance pour se dire que cet appel de l’Église valait la peine de prendre des risques.
Ce service, signifié par l’ordination diaconale, se caractérise d’abord par l’immersion dans le tissu de la société. Dire : il y a un chrétien dans l’immeuble et dire il y a un diacre dans l’immeuble, ce n’est pas exactement pareil. Il se caractérise en même temps par un rôle liturgique. Autre aspect très important : l’engagement définitif. Comment voulez-vous que les chrétiens surmontent la phobie contemporaine de l’engagement si personne ne s’engage ? Comment espérer que des laïcs chrétiens acceptent des responsabilités importantes pendant un certain nombre d’années, qu’ils s’y tiennent fidèlement, s’ils n’ont pas pour modèle des personnes qui s’engagent par un don total et perpétuel ? Le ministère diaconal est un don total et perpétuel dans le service de l’Église, avec promesse d’obéissance.
Quelle doit être la place des communautés nouvelles dans un diocèse ?
MGR ANDRÉ VINGT-TROIS — Je trouve le lien entre communautés nouvelles et Nouvelle Évangélisation intéressant. Il fait ressortir que ces communautés surgissent dans l’Église d’abord en vue de l’annonce de l’Évangile et non pour le confort de leurs membres ou la satisfaction des désirs, même spirituels. Il faut discerner les liens de ces groupes fervents avec l’Église. L’organisation, la mise en œuvre et l’application de leurs capacités spirituelles sont-elles vraiment investies au service de la vie de l’Église ? C’est un premier critère de discernement. L’autre est de vérifier qu’un groupe ne fonctionne pas comme une “petite Église”, car il n’y a qu’une Église ! Une communauté nouvelle n’est pas appelée à se substituer à la vie organique des paroisses, elle est appelée à y contribuer.
Vous êtes Archevêque métropolitain de la Province de Paris. Comment renforcer les liens fraternels entre les diocèses d’Île-de-France ? Est-ce une priorité pour vous ?
MGR ANDRÉ VINGT-TROIS — Ce n’est pas mon avis qui compte, mais la réalité ! J’ai la charge de contribuer du mieux que je peux, avec mes confrères, à la vitalité de la Province de Paris. Cela dit, je m’inscris dans une histoire, qui n’est pas très ancienne, mais qui existe. La question n’est pas de savoir comment gérer nos relations institutionnelles, mais quelle est l’unité réelle sous-jacente à la Province de Paris. Comment à la fois stimuler les initiatives propres à chaque diocèse et tenir compte du fait, évident, que la population d’Île-de-France circule dans cet ensemble ? Nous devons chercher à nous entraider et à prendre en charge ce qui est commun.
Quelle est la place et la mission spécifique des médias diocésains ?
MGR ANDRÉ VINGT-TROIS — Les médias diocésains sont nécessaires pour plusieurs raisons. D’abord, pour favoriser et contribuer à faire circuler les informations sur les différentes communautés du diocèse et leurs expériences. On ne fait pas progresser l’esprit diocésain s’il n’y a pas d’informations sur ce qui se passe. Ensuite, il faut que l’Église puisse exprimer un certain nombre de points de vue sans être dépendante dans ses moyens d’expression. Et il faut savoir s’en donner les moyens. La liberté de parole coûte cher, mais il faut savoir ce que l’on veut.
Enfin, les médias sont un moyen pour l’évêque de s’adresser à ses diocésains. Au cours de mes six années à Tours, j’ai écrit environ 200 éditoriaux. Alors que les meilleurs dimanches, je ne pouvais m’adresser qu’à quelques centaines de personnes, par ces éditoriaux et sans bouger de mon bureau, je pouvais toucher 10 000 lecteurs. C’est important parce que la relation qui existe entre les chrétiens et leur évêque n’est pas seulement mystique. Elle doit se traduire par des échanges de paroles. Pour toutes ces raisons, on ne peut pas compter seulement sur la presse commerciale.
Quel regard portez-vous sur la société actuelle ? Trouvez-vous la vie en société de plus en plus dure, de plus en plus difficile ?
MGR ANDRÉ VINGT-TROIS — J’ai connu des gens qui n’avaient pas l’eau courante chez eux, qui savaient à peine lire et écrire ; pas dans les campagnes les plus reculées, mais dans Paris et dans des immeubles où on ne pouvait pas l’imaginer. Bien sûr, le niveau de vie peut paraître encore insuffisant, mais il ne faut pas avoir la mémoire courte ni ignorer ce qui se passe dans les pays pauvres. La question est double d’une part, comment approcher le problème de l’équité dans notre pays et dans le monde et, d’autre part, les pays d’Europe vont-ils indéfiniment essayer de protéger leur mode de vie face à une humanité dont une partie importante vit dans la misère ? La misère n’est pas un phénomène nouveau. Mais aujourd’hui, les plus pauvres savent que les autres vivent bien.
Est-il possible de développer une pastorale spécifique à l’égard des chrétiens divorcés et des familles recomposées, sans pour autant renier les exigences ecclésiales et les valeurs traditionnelles ?
MGR ANDRÉ VINGT-TROIS — L’action de l’Église s’appuie sur une conviction : il ne peut y avoir d’épanouissement humain dans l’amour sans un don total de soi. La première étape, c’est l’éducation affective. Elle permet aux jeunes de prendre conscience qu’il n’y a pas d’amour sans responsabilité. Environ 60 % des couples parviennent à rester fidèles pendant 40, 50 ans. Et puis, il y a ce que j’appellerais les accidents de la famille — et leurs blessés. Comme pour tous les accidents, cela suppose que nous aidions les personnes en difficulté ; il est nécessaire qu’elles rencontrent des chrétiens prêts à les accompagner. Le fait d’avoir subi une crise constitue-t-il un statut perpétuel ? Car c’est une chose d’accompagner des gens pour une période difficile, c’en est une autre de les instituer en groupe permanent, comme si le fait d’avoir subi un accident de la vie conjugale constituait un composant métaphysique de la personne. Il me semble au contraire que beaucoup de gens qui ont souffert endurent un sentiment d’exclusion, du fait d’être traités à part. Il faut donc les traiter comme les autres, ce qui n’est pas si facile. Je crois aussi qu’il faut, le plus possible, mettre en œuvre toutes les capacités de ces chrétiens, dont le baptême est une réalité vivante par delà leurs épreuves. Quand nous leur aurons permis de trouver pleinement leur place, à la mesure de leur situation, beaucoup de choses auront avancé.
Cette année, c’est le centenaire de la loi de 1905. Que pensez-vous du climat actuel sur les questions de laïcité ? Êtes-vous partisan d’un réaménagement de la loi ?
MGR ANDRÉ VINGT-TROIS — Je pense qu’il faut plutôt parler de la jurisprudence qui s’est développée que du centenaire de la loi de 1905. L’important n’est pas de célébrer une période qui a été douloureuse et, par certains côtés, inique, mais de mesurer comment, à partir d’une situation de crise institutionnelle, a été rendu possible un modus vivendi qui a contribué à développer des relations sereines. Les groupes de militants acharnés qui le contestent sont très marginaux. On est arrivé à trouver un mode de coexistence dans lequel la liberté de culte et la place des chrétiens au sein de la nation sont respectés. Ce qui mériterait d’être clarifié et reconnu, c’est l’apport spécifique du judéo-christianisme dans notre culture. Mais en tous cas, il y a un équilibre qui a été acquis et que personne n’a intérêt à déstabiliser.
(Fin.)
Recueilli par Frédérique de Watrigant.