Messe à l’intention du cardinal André Vingt-Trois, archevêque émérite de Paris

Le mercredi 12 novembre 2025, la messe à Notre-Dame de Paris a été présidée par Mgr Laurent Ulrich, archevêque de Paris, à l’intention du cardinal André Vingt-Trois et des victimes des attentats du 13 novembre 2015, pour lesquelles il avait lui-même célébré une messe, le 15 novembre 2015.

L’homélie a été prononcée par Mgr Éric Aumonier, évêque émérite de Versailles.

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Homélie de Mgr Éric Aumonier

À la suite de la Toussaint et de la commémoration des défunts, nous faisons mémoire et nous rendons grâces pour le don que le Seigneur nous a fait en la personne et le ministère du cardinal André Vingt-Trois. Nous venons d’entendre le passage d’Évangile (Jn 3,1-21) qu’il avait lui-même choisi pour la messe de ses funérailles.

Comment ne pas trouver en Nicodème une affinité avec notre ancien archevêque  ? Sans doute se retrouvait-il un peu dans ce docteur de la loi à la fois prudent et audacieux, fidèle à Dieu et le cherchant en humble croyant, se laissant enseigner par le Christ en Son Église…

Nicodème n’était pas venu simplement faire un compliment à Jésus. Il avait constaté le bien que Jésus accomplissait et les signes qu’il posait. Il en avait déduit l’existence d’un lien mystérieux entre Jésus et Dieu lui-même. Poussé par l’Esprit, il venait le rencontrer. Par là il s’exposait à devenir disciple, à le suivre, à apprendre qui est vraiment Dieu venu au milieu des hommes.

Jésus lui fait découvrir que pour «  entrer dans le Royaume de Dieu  », il faut «  naître d’en haut », naître à nouveau, « naître de l’Esprit  ».

Formules étonnantes que celles-ci même pour un connaisseur de la loi, et encore plus pour chacun de nous ce soir…

Naître à nouveau, c’est entendre et être touchés au cœur par le témoignage que le Fils rend à son Père et que le Père lui rend à la Croix  : «  Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais obtienne la vie éternelle  ». C’est croire ce que le Créateur avait dit au peuple par Osée «  je suis Dieu… le Dieu saint, et je ne viens pas pour exterminer  » (Osée 11,1.3.4. 8-9).

La rencontre avec Jésus changera Nicodème. Venu de nuit à la lumière, il fera et il dira la vérité. Il contredira l’opinion publique en ne hurlant pas avec ceux qui voulaient condamner Jésus (Jn 7,51)  ; et quand il se trouvera devant le Fils de l’homme crucifié, il comprendra pleinement ce que Jésus lui avait dit lors de leur rencontre nocturne. Il deviendra alors témoin. Il risquera sa réputation en enlevant avec Joseph d’Arimathie le corps de Jésus et en apportant au tombeau la myrrhe et l’aloës ( Jn 19,39-40).

La croix nous rappelle qu’à notre tour nous sommes placés devant cette réalité incontournable de notre histoire  : au moment-même où se dévoile l’absurdité du péché condamnant l’Innocent, le pardon de Dieu et la victoire sur la mort sont révélés par le crucifié lui-même. Dès avant sa résurrection, il a promis la vie éternelle à ceux qui croient en sa parole  : Dieu «  n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants   ». L’auteur de la vie, qui s’est fait homme ne veut ni la destruction ni la mort de personne. Nous nous sommes aimés avant la fondation du monde et nous sommes faits pour vivre. Et «  rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu qui est dans le Christ Jésus notre Seigneur  ».

Notre conscience se trouve ici face à ce que la croix de Jésus nous révèle  : le Jugement de ce monde. Voulons-nous, oui ou non, vivre à la lumière de la grâce à l’image et à la ressemblance de notre Créateur ?

Devant l’injustice et le meurtre, devant la folie meurtrière, et encore plus devant les meurtres accompagnés de blasphème sommes-nous résignés et «  abattus comme des brebis sans berger »  ? Ou choisissons-nous de servir la lumière et non les ténèbres, la vérité et non le mensonge, la vie et non la mort  ?

Pour nous le rappeler et nous aider sur ce chemin, la bonté de Dieu nous donne des guides spirituels comme elle nous a donné le cardinal André Vingt-Trois.

Rendons grâces pour ce successeur des apôtres qui nous a invités à vivre de façon évangélique. Rendons grâces pour sa prédication et sa parole, offertes parfois dans des circonstances graves ou dramatiques. Sans s’abuser sur la portée ou l’efficacité immédiate des discours, notre ancien archevêque savait parler quand il fallait. Il l’a fait lors de cet attentat du 13 novembre 2015 au Bataclan que nous évoquons ces jours-ci. Il disait alors  : «  nous ne pouvons répondre à la sauvagerie barbare que par un surcroît de confiance en nos semblables et en leur dignité. Ce n’est pas en décapitant que l’on montre la grandeur de Dieu, c’est en travaillant au respect de l’être humain jusque dans ses faiblesses extrêmes  ».

Son discernement spirituel sur ces évènements, en aidant à les voir en perspective, nommait les réalités et en indiquait les vrais enjeux. Il n’a pas hésité à s’engager publiquement pour proposer à tous le message de l’Évangile de la vie, pour inviter les fidèles du Christ et plus largement nos contemporains à vivre l’espérance et à la partager avec d’autres dans leur propre engagement quotidien.

Notre manière de vivre, de voir, d’agir, si elle est inspirée et nourrie par la foi, s’exprime par la charité, et le refus de consentir au mensonge.

Devant les violences, la haine, la jalousie et les peurs liées au péché, nous sommes appelés à ne pas désespérer des créatures, puisque le Créateur lui-même ne les abandonne jamais. Mais cela suppose une véritable conversion pour que règne dans notre propre coeur l’amour du Christ qui donne sa vie. Cela suppose patience, justice, courage, acceptation des limites des autres, pardon des offenses, humilité mais aussi engagement concret personnel et civique.

Rendons grâces aussi pour l’attention concrète de notre ancien archevêque aux pauvres, et ses initiatives en ce sens, pour sa fidélité dans l’amitié, pour son écoute profonde et attentive, pour le soutien apporté aux séminaristes et aux prêtres pendant ses années de ministère comme vicaire de paroisse, comme formateur au séminaire, comme évêque ; pour sa vigilance et son attention à ses frères dans l’épiscopat.

Reçus avec bonté, accueillis tels qu’ils étaient, les uns et les autres se savaient aidés, nous nous savions soutenus par un homme qui ne se laissait ni déborder ni gouverner par l’affectif ou l’émotif. Loyal serviteur il avait l’art consommé d’allier la fidélité à la liberté de jugement et à la droiture. Il exprimait posément son avis réfléchi au bon moment, ne se laissait pas démonter par les humeurs ou les incompréhensions des uns et des autres, et puisait pour cela dans ses grandes ressources de patience et d’humour.

Nous avons été impressionnés par sa puissance de travail, sa simplicité dans l’exercice de sa mission, parfaitement oublieux de lui-même et de ses aises  ; et par sa force intérieure nourrie par la prière.

Enfin, dans ses épreuves morales ou ses épreuves de santé souvent liées, il n’a pas cédé au pathos ni joué au stoïque mais il a vécu ces situations comme autant d’occasions d’union avec le Christ souffrant et d’offrande avec Lui.

Oui, dans nos prières souvenons-nous de ceux qui nous ont dirigés (hygoumènes), qui nous ont annoncé la parole de Dieu  ; considérons comment leur vie s’est terminée et imitons leur foi. Jésus-Christ est le même hier et aujourd’hui  ; il le sera pour l’éternité (cf. He 13,7-8).

Et entrons dans le sacrifice de louange.

Mgr Éric Aumonier,
évêque émérite de Versailles

Attentats du 13 novembre 2015