Homélie de Mgr Laurent Ulrich – Messe pour la paix à Saint-Sulpice

Dimanche 22 septembre 2024 - Saint-Sulpice (6e)

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 25e Dimanche du Temps Ordinaire – Année B

- Sg 2, 12.17-20 ; Ps 53 (54), 3-4, 5, 6.8 ; Jc 3, 16 – 4, 3 ; Mc 9, 30-37

Ce sont des croyants apparemment, des membres du peuple de Dieu qui méditent le mal, selon l’auteur du Livre de la Sagesse. Et c’est bien Dieu qu’ils mettent à l’épreuve lorsqu’ils veulent voir s’il soutiendra le juste, le doux, le patient qui a mis sa confiance en lui. C’est que dans leur orgueil dominateur ils ont décidé de mettre de côté, voire d’éliminer celui qui les forcerait à reconnaître qu’ils désobéissent à Dieu, qu’ils ne sont pas des fidèles au sens propre du mot. Ils pervertissent la loi, ils oublient l’éducation qu’ils ont reçue et qui était faite de soumission respectueuse à Dieu et à ses décrets, à son Alliance : le Décalogue les résumait. Le Dieu unique commande le respect absolu du père et de la mère, du frère et de la sœur, il prescrit de bannir de ses pensées et de ses pratiques l’esprit de domination, de possession, de jalousie et d’envie. Tels sont les commandements que ces injustes, ces violents enfreignent ; ils préparent sans cesse des mauvais coups, des outrages et des tourments à infliger, ils méditent des crimes et une mort infâme pour le juste. Mais c’est à Dieu qu’ils tendent un piège, pour voir s’Il viendra délivrer, sauver son fidèle. C’est contre Dieu qu’ils se révoltent, le sage les a débusqués.

Jacques, l’apôtre, dans la seconde lecture, attaque de même des croyants, des membres de l’Église toute jeune et, pourrait-on croire parfois, toute pure. Certes, elle l’est et elle le restera puisque c’est de Dieu qu’elle tient sa vie et son mystère. Mais ses membres demeurent des pécheurs et l’apôtre qui leur parle les appelle pourtant « Bien aimés ». Oui, ils sont des enfants bien aimés du Père, mais ils ont encore beaucoup de chemin à faire pour ressembler à Celui qui les a appelés ; la bienveillance, la miséricorde de Dieu agit en eux, à condition qu’on leur rappelle leur vocation et qu’ils veuillent bien considérer que c’est dans leur cœur que se trouve la racine de la violence, du mensonge, de l’injustice et ainsi de tous les conflits qui minent la belle Église du Christ. Jésus l’avait dit dans l’Évangile, et nous l’avons encore entendu il y a deux ou trois dimanches : ce n’est pas ce qui entre en l’homme qui le corrompt, mais c’est ce qui sort de son cœur : inconduites, meurtres, envies, orgueil et démesure, etc. Il est bien nécessaire que l’apôtre rappelle cela aux disciples, parmi lesquels certainement il se place aussi ; et il nous le rappelle, à nous aussi !

L’évangile que nous avons entendu est dans la même tonalité. Les disciples n’ont pas encore compris ce que Jésus leur dit pour la deuxième fois : il sait, lui, qu’il est déjà promis à une mort infâme, parce qu’il dénonce ces injustices et violences qui habitent le cœur des hommes. « Il sait, lui, ce qu’il y a dans le cœur de l’homme », écrit ailleurs saint Jean ; il le sait si bien que, même s’il n’a pas écouté les conversations de ses disciples en chemin, il a dû entendre qu’ils étaient fort agités et bruyamment en désaccord. Sa question est peut-être malicieuse, il a deviné qu’ils se disputaient le meilleur rôle ! Et il leur fait remarquer alors que ce qu’il a dit à la foule naguère sur ce qui sort du cœur de l’homme, il leur avait aussi expliqué à eux, les disciples. Il faut encore qu’il leur redise : cela s’applique à eux aussi. Chez les disciples en général, chez les Douze en particulier, il y a encore tant de recherche de soi-même, de désir de placement honorable, d’image de grandeur, de volonté de puissance, d’autosatisfaction, d’envie de première place, bref d’esprit de domination, qu’il n’est pas étonnant que même leur petite communauté soit divisée, que les jalousies continuent de s’exprimer même quand ils sont si proches de lui, marchant sur le même chemin, à quelques pas de lui. Par quels exemples faudra-t-il leur montrer, combien de temps encore faudra-t-il pour que leurs yeux finissent par voir que le Serviteur de Dieu n’est venu que pour servir, et que les serviteurs de ce Serviteur, s’ils veulent vraiment être de ses disciples, ne peuvent chercher que la dernière place ? « Le dernier de tous et le serviteur de tous », dit Jésus ; l’avant-dernier, suggère humblement saint Charles de Foucauld, parce que la dernière place est déjà et définitivement prise par le Christ lui-même.

Tout ceci se passe dans la communauté chrétienne elle-même, et nous ne pouvons éprouver devant ce fait qu’une contrition remplie de confusion, parce que nous savons que nous avons bien du mal à en sortir ! Quand nous commençons à comprendre que cette inversion des valeurs n’est pas bien entrée dans nos cœurs de disciples, que cette conversion au cœur de Jésus Serviteur de tous n’est pas vraiment commencée en nous, alors nous savons que le travail pour éradiquer les violences qui habitent ce monde est long !

Pourtant nous ne pouvons pas nous résigner ! Nous voyons que les maux de la guerre sont partout ; nous la voyons proche de nous, nous comprenons, en écoutant nos frères et sœurs qui supportent la vie sous les bombes et sont en permanence dans la peur, qu’elle sera longue. Nous voyons aussi des violences montées à un tel degré d’intensité qu’elles se répandent dans les esprits bien au-delà des terres où elles se déroulent. Nous voyons dans ces actes de guerre des capacités nouvelles de tuer à telle distance de l’adversaire que l’on s’empêche ainsi de voir sa douleur et que l’on s’enferme dans sa propre rage.

Alors, il nous demeure possible d’imaginer la paix. Ce n’est pas seulement ce qu’il nous reste ; c’est ce que nous devons faire ! Comme les enfants que Jésus place au milieu du cercle de ses disciples. Imaginer, comme des enfants, que c’est possible ! Trouver des leviers pour faire un peu basculer ce système enchevêtré de causes et d’effets multiples ; imaginer encore que c’est dans le cœur et dans la raison que sont les ressources pour faire baisser la pression des haines et ouvrir les yeux sur les méconnaissances qui les engendrent. Ne pas s’habituer, mais exercer sa patience. Et s’en ouvrir au Christ qui est venu tuer la haine dans les cœurs ; c’est bien ce qu’attendent de nous en premier nos frères et sœurs qui, sur place, s’en remettent à lui : ils nous demandent de prier pour eux et nous remercient de le faire. Dans un premier temps, beaucoup fuient leur pays en guerre ; mais peu après, certains choisissent de rentrer au pays et d’y rester, pour regarder l’avenir en face. L’eucharistie que nous célébrons ce matin est offerte en pensant à cette espérance qui demeure.

+ Laurent Ulrich, archevêque de Paris

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