Mot d’accueil de Mgr Laurent Ulrich - Rencontre pour la paix de la Communauté Sant’Egidio au Palais des Congrès
Dimanche 22 septembre 2024 - Palais des Congrès Paris 17e
Monsieur le Président de la République, Madame la Maire de Paris, Éminences, Béatitudes, Messeigneurs, Messieurs les Grands rabbins et rabbins, Mesdames et Messieurs les représentants de l’Islam, du Bouddhisme, de l’Hindouisme et des religions traditionnelles, Mesdames et Messieurs les dignitaires religieux, Monsieur le Secrétaire perpétuel de l’Académie française, Pères, Frères et Sœurs, Monsieur le Président de la Communauté de Sant’Egidio, et vous-même cher Andrea Riccardi fondateur de cette communauté, Mesdames et Messieurs, chers amis,
En cette année 2024, la Communauté de Sant’Egidio ne pouvait faire plus beau présent à la France et à sa capitale qu’en répondant à notre invitation d’y organiser sa Rencontre pour la Paix. Je tiens donc à lui exprimer toute notre joie et notre reconnaissance.
Dès le début de cette année, en m’adressant aux diocésains de Paris, je soulignais l’heureuse concordance entre les Jeux Olympiques, la réouverture de la cathédrale Notre-Dame, et ces journées dédiées à la recherche de la concorde entre les peuples. Lors de l’ouverture de la Trêve olympique pour laquelle, le 19 juillet, j’ai célébré une messe solennelle, nous avons certes dû déplorer que les nations poursuivent leurs affrontements pendant cette période qui s’est achevée il y a quelques jours. Mais la résolution onusienne engageant à cette trêve n’en visait pas moins « l’édification d’un monde pacifique et meilleur » grâce au sport et à l’idéal olympique. Quant à Notre-Dame, la mobilisation universelle qui s’est manifestée lors de son incendie et a accompagné sa restauration, témoigne, elle aussi, de ce que l’humanité sait faire de mieux lorsqu’elle se rassemble autour d’une même et juste cause.
Si nous sommes capables de rassembler toutes les nations autour de l’idéal exprimé par l’olympisme, mais aussi de bâtir ou de rebâtir des cathédrales, imaginer la paix est bien à notre portée. Il s’agit certes de concrétiser l’utopie car toute action, en ces trois domaines, reste toujours à parfaire. Et s’il est un ouvrage à remettre cent fois sur le métier, c’est bien celui de la cohésion, qu’on appelle socialement la solidarité. Nous, chrétiens, y voyons l’expression de Dieu qui est Charité ; la République française entend la promouvoir dans la fraternité qui est le troisième terme de sa devise et tout peuple la recherche dans l’amitié sociale – l’expression est chère au Pape François qui vient d’achever un magnifique voyage dans le sud-est asiatique – amitié sociale sans laquelle aucune nation ne saurait vraiment exister.
Il m’est donc particulièrement cher de saluer ici, à travers vous, responsables religieux, politiques, économiques, sociaux et culturels autant d’artisans d’un dialogue dans tous les domaines qui sont les vôtres : s’il passe par la justice et la vérité, cet échange ne peut conduire qu’à l’unité et à la paix.
Cette rencontre internationale, que Paris accueille pour la première fois, s’avance donc sur des sentiers de la paix, qu’ensemble, il nous sera donné d’explorer. Imaginer la paix dans des contextes de mouvements migratoires, dans des zones aux défis complexes qu’avec bonne volonté nous cherchons à identifier, dans les circonstances nouvelles où sont nécessaires la transition écologique et l’éthique qui doit s’élaborer autour de l’Intelligence artificielle, dans la rencontre et le dialogue ente les convictions philosophiques et religieuses diverses, tel est le programme que cette Rencontre se propose.
Relever ce défi de l’imagination peut sembler d’autant plus singulier au pays de Descartes ; passer outre la méfiance de Pascal pour une imagination, jugée tellement hostile à la raison, entraine un étonnement non moins profond. Mais il y eut toujours, en cette terre, des Geneviève, des Vincent de Paul, des Rosalie Rendu ou des Frédéric Ozanam, et tant d’âmes ardentes à déplacer les montagnes du raisonnable pour faire advenir une civilisation de l’amour du prochain. Toutes les bonnes volontés qui se reconnaissent dans cette aspiration savent donc qu’il faut, à la sagesse de l’esprit, joindre la raison du cœur.
En distinguant, parmi bien d’autres, des hommes et des femmes qui ont pu servir leur prochain en s’engageant, ici à Paris et au nom de leur foi, la foi que je partage avec eux, je souhaite exprimer combien les convictions de chaque être humain constituent une puissante et inépuisable source d’énergie au service de la justice et de la paix, si elles ne sont pas déviées par la tentante facilité de l’individualisme mortifère. C’est dire aussi l’importance de donner à chacun et à chacune la possibilité d’une éducation épanouissante, d’un travail digne, et d’une véritable liberté de conscience.
La leçon du passé nous montre combien les utopies ont su inverser les logiques les plus implacables. Ainsi, chaque famille de pensée, chaque philosophie, chaque religion peut y contribuer en y apportant la pierre d’une sensibilité qui lui est propre, dans la quête d’une vérité qui, nous le croyons, conduit à la liberté.
Et puisqu’on ne saurait vaincre la misère sans commencer par écouter ceux qui y sont affrontés, ni faire cesser la guerre sans porter la voix des peuples écrasés par la violence – et je me souviens d’une fameuse conférence du Professeur Andrea Riccardi à l’occasion du centenaire de la fin de la Première guerre mondiale dans laquelle il invitait à toujours se souvenir de la guerre pour nourrir le goût de la paix – c’est le souvenir de la Terre Sainte, que j’ai visitée il y a quelques jours, que je souhaiterais manifester devant vous. Affrontés à la guerre, des hommes et des femmes de bonne volonté, dans le service inconditionnel de ceux que la Providence leur envoie, ont su me montrer que, malgré leur lassitude, ils ne renoncent pas à éduquer les enfants et les jeunes, à soigner les malades et les mourants, à accueillir les nouveau-nés qu’ils soient avec ou sans famille et à garder les liens qui, le moment venu, rebâtiront la paix.
Et chacun de nous, sans doute, songe lui-même à un peuple frère qui souffre dans le cercle infernal de la misère et de la guerre, sans laisser vaincre l’espoir. Cette espérance exprimée devant l’absurdité de la violence n’est-elle pas un signe ? Le signe qu’à travers ce que chacun est capable d’en faire advenir, cette paix est finalement moins utopique et plus naturelle à tous les peuples que l’invraisemblance de la guerre et de la misère. Cette capacité d’imaginer la paix avec eux, nous la leur devons.
+ Laurent ULRICH
Archevêque de Paris