Préface du cardinal André Vingt-Trois à l’encyclique “Spe Salvi” de Benoît XVI
5 décembre 2007
La nouvelle encyclique de Benoît XVI “Spe Salvi” (Sauvés par l’Espérance), sortira en librairie mercredi 5 décembre en co-édition Bayard, Cerf, Fleurus-Mame. Le Cardinal André Vingt-Trois en a rédigé la préface.
Hymne à l’Espérance
La deuxième encyclique du Pape Benoît XVI est une hymne à l’espérance. Elle vient rejoindre l’humanité de notre temps dans ses attentes comme dans ses déceptions, et même ses désespoirs. La lecture attentive de ce très beau texte aidera sans doute les chrétiens à retrouver le sens profond de l’espérance qui leur est offerte. Plus largement, elle ouvrira une brèche dans la chape de plomb sous laquelle tant d’hommes et de femmes de notre temps se sentent écrasés sans recours. Il est si facile de voir ce qui ne va pas, d’analyser ce qui se défait dans nos sociétés et chez les autres.
L’espérance n’est pas seulement une tournure d’esprit ou une attitude, ce que nous nommons habituellement « optimisme » et qui ne va pas sans une certaine note de naïveté et d’aveuglement. Telle n’est pas l’espérance chrétienne : elle, elle est le fruit de la Promesse réalisée par la mort et la résurrection du Christ. Loin de s’illusionner sur la réalité, l’espérance chrétienne est l’affirmation d’une certitude quant au bonheur auquel Dieu nous appelle et qu’il nous donne déjà de connaître à travers les épreuves de ce temps et jusqu’à la mort incluse.
C’est pourquoi ce qui définit l’espérance chrétienne n’est pas seulement une manière de penser. C’est plutôt le contenu d’un message historiquement connu : l’amour de Dieu est plus fort que la mort. Historiquement, il a été plus fort que la mort en la personne de Jésus de Nazareth. Historiquement, il a été plus fort que la mort à travers la vie des générations de chrétiens depuis deux mille ans. Aujourd’hui encore il est plus fort que la mort pour quiconque veut bien accueillir la Bonne Nouvelle de la Promesse.
Benoît XVI développe sa présentation de l’espérance en affirmant ce contenu historique de la promesse du bonheur face au tragique de la condition humaine confrontée à la souffrance et à la mort et aux efforts des philosophes pour dégager une réponse devant l’inéluctable. Comment l’espérance chrétienne apporte-t-elle un signal original dans ce concert universel ? Comment nous indique-t-elle un chemin de confiance ? Le sacrifice du Christ et l’envoi en mission de l’Église nous donnent-ils autre chose qu’une illusion supplémentaire ? Plus simplement et plus radicalement encore, le Pape demande non sans audace : « La foi chrétienne est-elle aussi pour nous aujourd’hui une espérance qui transforme et soutient notre vie ? » (n. 10)
Pour répondre à ces questions, Benoît XVI ouvre le dialogue avec les ressources humaines de l’espérance : la raison et la liberté. L’humanité contemporaine a développé différents systèmes pour donner corps à la conviction que le salut de l’homme n’est plus à attendre du ciel. Désormais, c’est l’humanité elle-même qui est vue comme l’artisan de son salut. Telle est la nouvelle croyance qui s’est répandue à partir de la mise en œuvre radicale des potentialités de la raison. Ainsi, dans les deux derniers siècles, s’est développée une promesse de salut par la science et le progrès qui relègue dans les affabulations les promesses d’un salut à venir.
Le travail de la raison qui a généré le développement scientifique a donné des fruits magnifiques, c’est vrai. Le Pape le souligne : nos générations en sont les bénéficiaires. Mais nous oublions trop facilement les ombres de ce tableau. Ces fruits ne sont pas encore équitablement partagés à travers le monde, loin s’en faut. Ils ne sont pas non plus tous bénéfiques. L’histoire moderne nous a appris qu’ils pouvaient être facteurs de mort autant que de vie. Benoît XVI n’hésite pas à nourrir sa réflexion de ce que la philosophie, notamment allemande, a pu mettre au jour dans les décennies de la fin du XXème siècle quant à l’ambigüité du progrès. Enfin, il vaut la peine de se demander si la liberté profonde des êtres humains a progressé au rythme des réalisations techniques et des emballements qu’elles suscitent.
Devant les injustices croissantes d’un monde industrialisé au prix de la souffrance d’une multitude asservie aux conditions inhumaines de la production, certains, dont Marx est le plus connu, ont tenté d’élaborer un moyen de salut pour tous à partir de la révolution sociale. Érigé en véritable religion nouvelle, le matérialisme scientifique a sans doute été moins fidèle à la raison qu’il le promettait. Il a surtout généré un asservissement des personnes à des dictatures sanglantes dont toutes ne sont pas encore épuisées. Finalement ce messianisme politique n’a servi ni la raison ni la liberté.
L’espérance chrétienne, elle, interprète l’histoire humaine en la soumettant à la lumière d’une réalité qui dépasse notre propre expérience : la réalité de Dieu. Peut-il y avoir une véritable intelligence de l’histoire sans se référer à une transcendance qui « est le fondement et le but de notre liberté. » (n° 23) ? Cette référence, c’est l’absolu de l’amour qui nous est manifesté dans le don que Jésus fait de sa vie. Avec lui, c’est la transcendance absolue qui devient une réalité immanente à notre monde. Croire en lui, ce n’est pas fuir les contraintes de l’histoire humaine, c’est s’y immerger totalement dans le don de soi-même.
L’espérance chrétienne, c’est l’appel le plus fort à l’exercice de notre responsabilité humaine, à notre intelligence et à notre liberté. De cette responsabilité nous aurons à rendre compte devant Dieu : ce sera le jugement exercé sur notre engagement dans le service de l’amour. L’annonce de ce jugement n’est pas une menace mais une nouvelle espérance : Dieu nous prend assez au sérieux pour croire à notre liberté et à notre responsabilité.
Puisque l’espérance chrétienne renforce notre confiance dans l’amour de Dieu, elle nous pousse à nous impliquer davantage dans la réalité de notre temps présent. Elle nous conduit à prier avec confiance, non seulement pour nous-mêmes, mais encore pour tous les hommes soumis aux tribulations et aux souffrances de ce monde. Elle nous incite à agir résolument pour transformer ce monde et y faire progresser les exigences de la justice et de la paix, sans lesquelles l’annonce du bonheur promis ne saurait être crédible. Cet engagement au service de nos frères à la suite du Christ nous encourage aussi à assumer la souffrance dans notre vie, assumer notre souffrance en communion avec la souffrance du Christ.
« Nous avons besoin des espérances - des plus petites et des plus grandes - qui, au jour le jour, nous maintiennent en chemin. Mais sans la grande espérance, qui doit dépasser tout le reste, elles ne suffisent pas. Cette grande espérance ne peut être que Dieu seul, qui embrasse l’univers et qui peut nous proposer et nous donner ce que, seuls, nous ne pouvons atteindre. » (n° 31)
Cardinal André Vingt-Trois
Archevêque de Paris
Président de la Conférence des Évêques de France
– Voir le dossier Benoît XVI .