Recherche sur l’embryon, retour sur la loi de 2011
Revue Communio - juillet-août 2012
Extrait de l’article “Bioéthique, défis présents et à venir” du Père Brice de Malherbe.
La recherche sur l’embryon
Au milieu de vives discussions parlementaires, le sénateur Guy Fischer déclarait que la question du maintien ou non du principe d’interdiction des recherches sur l’embryon représentait « quasiment le point central de la discussion de ce projet de loi » [1]. De fait, même soumis à dérogation, le principe d’interdiction de recherche sur l’embryon préserve symboliquement le respect de celui-ci en tant qu’être humain dans ses tout premiers stades de développement. En revanche, l’autorisation de recherche, même soumise à réglementation, assimile encore plus celui-ci à un simple matériau de laboratoire. Par ailleurs, rappelons que loin d’être un effet secondaire nocif du développement des techniques de procréation artificielle, l’expérimentation sur l’embryon en a été un préalable, comme il a été rappelé au moment de l’attribution du prix Nobel de médecine au biologiste britannique Robert Edwards, pionnier de la fécondation in vitro, en octobre 2010 [2].
La loi de 1994 ayant inscrit le respect de tout être humain depuis le commencement de sa vie dans le code civil (article 16) stipulait en conséquence l’interdiction de toute recherche portant atteinte à l’intégrité de l’embryon humain. Cédant à la gestion utilitariste de la souffrance qui déplace les lignes du respect de l’être humain au gré des espoirs thérapeutiques, la loi de 2004 introduit des dérogations temporaires à cette interdiction pour les embryons ne faisant plus l’objet d’un « projet parental », en vue de « progrès thérapeutiques majeurs » et « à condition de ne pouvoir être poursuivi par une méthode alternative d’efficacité comparable ». Entre 2004 et 2011, une soixantaine d’autorisations de recherche furent accordées par l’Agence de la biomédecine.
Malgré la demande de plusieurs institutions (Conseil consultatif national d’éthique, Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, Académie nationale de médecine, Conseil d’État, conseil d’orientation de l’Agence de biomédecine), et le déploiement d’arguments y compris financiers, la loi de 2011 a maintenu le régime d’une interdiction de principe tout en élargissant les possibilités dérogatoires par le remplacement de la finalité « thérapeutique » de ces recherches par la finalité « médicale ». Ainsi, ce n’est plus seulement la possibilité de traitement qui est envisagée mais aussi la possibilité de poser un diagnostic à partir de recherches fondamentales [3].
Sans doute, le maintien du principe d’interdiction des recherches portant atteinte à l’embryon – interdiction étendue par l’article 41 aux cellules souches embryonnaires et aux lignées de cellules souches embryonnaires – freine le sacrifice de l’embryon humain à une logique de développement industriel et commercial [4]. L’encouragement par la loi des recherches alternatives sur les cellules souches adultes et issues de cordon ombilical ainsi que sur les cellules souches pluripotentes induites [5] oriente vers des solutions scientifiquement plus sûres et moralement acceptables. Il n’empêche que l’embryon humain demeure soumis à l’arbitraire du « projet parental », des projets scientifiques et des projections financières qui tantôt le prennent pour l’enfant qu’il est déjà en puissance et tantôt le réduisent à du matériau d’expérimentation. C’est l’arbitraire d’un pouvoir exorbitant qui décide d’un jour à l’autre qu’un être humain est déjà à respecter comme une personne ou au contraire sera pour toujours une simple chose. Ce pouvoir tyrannique des adultes sur l’infans au stade embryonnaire n’est pas non plus effacé des nouvelles mesures légales sur « l’assistance médicale à la procréation ».
L’« assistance médicale à la procréation »
Dans son commentaire de la loi de 2011, Jean-René Binet considère que celle-ci s’inscrit dans la ligne du choix fait dès 1994 de « considérer que l’intrusion de l’artifice dans la procréation doit ménager les structures essentielles de la filiation pour assurer à l’enfant une filiation crédible [6] ». Dès lors, la loi chercherait un équilibre entre l’intérêt de l’enfant à naître et celui des couples infertiles.
D’une part, plusieurs mesures semblent favoriser la primauté de l’intérêt de l’enfant sur les désirs des adultes. Cela commence par les demandes non retenues par le législateur comme la gestation pour autrui, la procréation post-mortem et l’ouverture de l’assistance médicale à la procréation aux personnes de même sexe. Ainsi, « l’assistance médicale à la procréation » (AMP) est apparemment cantonnée dans un rôle de réponse médicale à un problème médical, ce que semble corroborer la disparition de la notion de « demande parentale » comme élément essentiel du recours à l’AMP [7]. Par ailleurs, l’autorisation de la technique de congélation ultrarapide des ovocytes [8] et la demande explicite de privilégier « les pratiques et procédés qui permettent de limiter le nombre des embryons conservés » marquent « très certainement » selon Binet « un premier pas vers la fin de la conservation des embryons et des nombreux problèmes éthiques qu’elle soulève [9] ». Cependant, ainsi que certains l’ont fait remarquer, la possibilité de stocker des ovocytes congelés n’entraîne pas mathématiquement la baisse du nombre d’embryons congelés (environ 15 0000 aujourd’hui). Quant à favoriser les procédés permettant de limiter le nombre d’embryons conservés cela ne garantit pas, bien au contraire, la diminution du tri embryonnaire avant la tentative d’implantation du ou des embryons fécondés in vitro dans l’utérus de la femme.
D’autre part, certaines dispositions de la loi font passer le désir parental avant l’intérêt de l’enfant. Il en est ainsi du maintien de la procédure dite du « bébé médicament » ou du « double DPI » et même de la suppression du caractère expérimental de cette technique (article 22). Celle-ci vise à faire naître un enfant qui puisse être source de greffe pour son frère ou sa sœur déjà né et malade. Elle consiste en un premier diagnostic préimplantatoire pour sélectionner des embryons indemnes de la maladie et d’un deuxième pour sélectionner l’embryon le plus compatible pour la bonne réussite de la greffe. En fait, « la technique conduit à programmer l’enfant pour servir l’intérêt thérapeutique d’autrui » alors même que le but visé, à savoir obtenir des cellules souches hématopoïétiques à partir du sang placentaire en vue d’une greffe, peut être réalisé à partir d’unités de sang placentaire stockées sans qu’il soit nécessaire de produire de nouveaux embryons pour cela [10].
La suppression de la nécessité d’être marié ou d’apporter la preuve d’une vie commune de deux ans pour avoir accès à l’AMP (article 33) ne prend pas en compte le bienfait d’une relation stable pour le développement de l’enfant. Enfin, le renforcement de l’anonymat du don de gamètes (article 27) en cas d’AMP avec recours d’un donneur extérieur au couple maintient – selon les mots de Catherine Labrusse-Riou – un « consensus sur les droits des adultes » sans considération pour les conséquences sur l’enfant et plus largement sur la cohérence du droit de la filiation [11].
Le dépistage prénatal
Le respect de l’enfant à naître et de son intérêt est enfin fragilisé par la généralisation de l’incitation au recours « à des examens de biologie médicale et d’imagerie permettant d’évaluer le risque que l’embryon ou le fœtus présente une affection susceptible de modifier le déroulement ou le suivi de sa grossesse » (article 20). La loi tend ainsi à instaurer un dépistage prénatal systématique. À vrai dire, elle ne fait qu’étendre et renforcer l’obligation faite aux médecins et sages-femmes par des arrêtés du ministère de la santé et des sports du 23 juin 2009 de proposer à toute femme enceinte les tests de dépistage de la trisomie 21. Malgré la demande que l’information délivrée à la femme enceinte soit « claire, loyale et adaptée à sa situation » et celle qu’en cas de risque avéré d’une affection, une liste d’associations « spécialisées et agréées dans l’accompagnement des patients atteints de l’affection suspectée et de leur famille » soit proposée à la femme enceinte, il est vraisemblable que ces dispositions aggravent le recours quasi-systématique à l’interruption médicale de grossesse en cas de risque avéré d’une pathologie grave comme la trisomie 21. N’est-on pas dès lors dans l’incitation à une sélection à caractère eugénique contrevenant à l’article 16-4 du code civil ? Celui-ci stipule en effet que « toute pratique eugénique tendant à l’organisation de la sélection des personnes est interdite ».
Aussi bien en matière de recherche sur les embryons humains qu’en matière d’« assistance médicale à la procréation » ou de dépistage prénatal, la loi de 2011 a maintenu voire élargi la dépendance de l’embryon ou du fœtus humain et de sa destinée au jugement croisé du « projet parental » et du « projet social ». L’un et l’autre sont prioritairement orientés vers la résolution des souffrances liées aux diverses pathologies et handicaps qui frappent les individus. C’est l’image d’un « consensus sur les droits des adultes » selon l’expression de Catherine Labrusse-Riou au détriment de la reconnaissance de la dignité de l’enfant à naître et de son respect [12]. Dès 1987, l’Instruction Donum Vitae soulignait quant à elle avec force que « l’enfant devra être respecté et reconnu égal en dignité personnelle à ceux qui lui donnent la vie [13] ».
L’enfant, à la fois figure par excellence de la vulnérabilité et objet des fantasmes les plus grands en tant que symbole de capacités presque infinies est victime de convoitises avant la naissance comme il peut l’être après, à travers par exemple les abus sexuels, le travail forcé, l’enrôlement dans des unités de combat. Il y a là un passif moral considérable dont nous n’avons pas encore pris la mesure. En matière de dépistage prénatal, par exemple, si nous nous projetons au niveau mondial, nous pouvons nous demander avec Danielle Moyse si la première cause d’avortement n’est pas la féminité, tant la sélection des enfants en fonction du sexe persiste plus ou moins clandestinement, non seulement en Inde et en Chine mais aussi en Albanie, en Géorgie ou en Azerbaïdjan [14].
Les choses risquent de s’aggraver sans changement de mentalité en profondeur car depuis 2008 existe une technique de dépistage de la trisomie 21 fondée sur l’analyse de l’ADN fœtal circulant dans le sang périphérique maternel mise au point par des chercheurs américains de l’université Stanford. Une prise de sang chez la femme enceinte avec amplification de l’ADN fœtal suffirait à poser le diagnostic avec une certitude quasi absolue. En France, le test ISET (isolation by size of epithelial tumor cells) utilisé en oncologie, a été validé cliniquement début 2009 en matière de diagnostic prénatal. Cette méthode qui part également des cellules fœtales circulant dans le sang maternel serait applicable à toute maladie génétique ou anomalie chromosomique [15]. Mais avec cette perspective de dépistage tous azimuts, nous sommes déjà dans les défis à venir.
Avec l’aimable autorisation deCommunio.
[1] Voir J.-R. BINET, La Réforme de la loi bioéthique, p. 83.
[2] Voir www.lemonde.fr.
[3] Voir J.-R. BINET, La Réforme de la loi bioéthique, p. 88-89.
[4] Dans un important arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne daté du 18 octobre 2011, est reconnu comme « embryon humain », « tout ovule humain dès le stade de la fécondation, tout ovule humain non fécondé dans lequel le noyau d’une cellule humaine mature a été implanté et tout ovule humain non fécondé qui, par voie de parthénogenèse, a été induit à se diviser et à se développer ». La Cour a jugé que l’on devait exclure de la brevetabilité des inventions ayant requis l’utilisation d’embryons humains à des fins de recherche scientifiques comme à des fins industrielles ou commerciales. « Seule l’utilisation à des fins thérapeutiques ou de diagnostic applicable à l’embryon humain et utile à celui-ci pouvant faire l’objet d’un brevet » CJUE, 18 oct. 2011, aff. C-34/10 Brüstle. De plus, la ratification par la France de la Convention d’Oviedo sur les droits de l’Homme et la biomédecine, décidée par la loi, devrait favoriser une certaine protection de l’embryon in vitro réclamée en cas de recherche par son article 18.
[5] Il est sans doute bon de rappeler que les cellules souches sont des cellules capables à des degrés variables de se multiplier et de se différencier en d’autres types cellulaires. Elles peuvent être prélevées sur l’embryon, le fœtus, l’enfant ou l’adulte. Depuis 2007 diverses équipes scientifiques ont pu reprogrammer des cellules adultes en cellules pluripotentes c’est-à-dire capable de se différencier en cellules productrices de tout type de tissus humains : ce sont les cellules souches pluripotentes induites (cellules iPS).
[6] J.-R. BINET, La réforme de la loi bioéthique, p. 46.
[7] Idem, p. 50. Rappelons que dans la quasi-totalité des cas, ce qui est nommé « assistance médicale à la procréation », est en fait une substitution d’un acte technique à l’acte d’union d’un homme et d’une femme en vue de procréer. En ce sens le caractère médical des techniques de fécondation artificielle est douteux dans la mesure où elles ne soignent pas la stérilité et ne rendent pas au couple stérile la faculté de procréer, leur promotion aurait plutôt tendance à freiner la recherche sur la stérilité et les remèdes à l’hypofertilité.
[8] Un premier enfant issu de cette technique est né le 4 mars 2012 à l’hôpital Robert-Debré à Paris. La vitrification de l’ovule a été réalisée à l’hôpital Cochin. L’ovocyte in vitro a ensuite été fécondé par micro-injection du sperme.
[9] Idem, p. 48.
[10] Idem, p. 49-50.
[11] Cité dans J.-R. BINET, La réforme de la loi bioéthique, p. 69.
[12] Ce mépris plus ou moins conscient de la valeur du tout jeune enfant dispense les adultes de se remettre en cause par exemple sur les facteurs environnementaux (pollution, proximité de produits toxiques) ou comportementaux (avortement antérieur, usage du stérilet, diversité de partenaires sexuels entraînant des maladies sexuellement transmissibles) qui diminuent fortement la capacité à être fertile.
[13] Congrégation pour la doctrine de la foi, Instruction Donum Vitae sur le respect de la vie humaine naissante et la dignité de la procréation, 22 février 1987, II, B, 4.
[14] Communication de Danielle MOYSE, chercheuse associée IRIS, INSERM, CNRS, EHESS, au colloque du Collège des Bernardins Handicap, Handicaps ? Vie normale, vie parfaite, vie handicapée le 30 mars 2012. Disponible en enregistrement audio sur [www.collegedesbernardins.fr. Publication à venir. On pourra se référer sur ce point à Mara HVISTENDAHL, Unnatural Selection : Choosing Boys Over Girls and the Consequences of a World Full of Men, PublicAffairs, 314 pages.
[15] Voir P.-O. ARDUIN, La France au péril d’un retour de l’eugénisme ? L’exemple du diagnostic prénatal de la trisomie 21, in Éthique et santé (2009) 6, p. 189.