Réponse du cardinal André Vingt-Trois à Madame Michèle Alliot-Marie à l’occasion du Consistoire
Ambassage de France (Rome) – Samedi 24 novembre 2007
Lors du déjeuner offert à l’Ambassade de France près le Saint-Siège à l’occasion du consistoire. Madame Michèle Alliot-Marie était alors ministre de l’Intérieur, de l’Outre-Mer et des collectivités territoriales.
Madame le Ministre,
Éminences,
Monsieur le Maire de Paris,
Excellences,
Mesdames et Messieurs les élus,
Mesdames et Messieurs,
Chers amis,
Permettez-moi d’abord de vous remercier de cette belle réception par laquelle la République Française honore un de ses citoyens au moment où le Pape le fait entrer dans le collège des cardinaux. Vos aimables paroles, Madame le Ministre, dépassent, chacun le comprend, ma modeste personne. Elles expriment la considération de l’État français pour la plus importante communauté religieuse de notre pays. Quel chemin parcouru depuis les dernières décennies du XIX° siècle où les tenants du « progrès » ne voyaient d’autre condition à son extension que l’expulsion de la religion catholique de la vie sociale !
La publication récente menée à bien par le Professeur Poulat sous l’égide de la Secrétairerie d’État et du Gouvernement français permet de découvrir comment les liens se sont renoués au travers de la Grande Guerre et d’une découverte mutuelle de ce qui avait pu être considéré comme « deux » France. La transformation ainsi entamée des relations de l’Église et de l’État dans notre pays a été saluée à l’occasion de l’anniversaire de la loi de 1905 par la lettre du regretté Pape Jean-Paul II à Mgr Ricard, alors Président de la Conférence des évêques de France. Je ne peux aujourd’hui que me féliciter de l’évolution du climat des relations qui se développent entre l’État français et l’Église catholique qui est en France.
Quand je dis que la communauté catholique est la plus importante communauté religieuse de notre pays, je ne me réfère pas seulement à un critère quantitatif selon lequel plus de cinquante pour cent de nos concitoyens se déclarent catholiques. En effet, l’importance de notre Église dans la vie et la culture nationales déborde les limites de l’adhésion croyante au sens strict ; elle manifeste son impact tant par les références culturelles qu’elle a nourries et qu’elle nourrit encore que par l’action des chrétiens dans tous les domaines de la vie sociale. Dans notre pays notamment, je crois le constater, grandit la conscience que le mutisme entretenu sur l’influence de la religion catholique en particulier et des communautés religieuses en général dans la vie collective a pu être dommageable pour une civilisation qui se trouve alors confinée dans une sorte d’amnésie culturelle.
On peut se réjouir que la laïcité ne se réduise plus chez nous à une interdiction des références religieuses. Nous reconnaissons de plus en plus que la richesse de la vie sociale ne s’accommode pas des mesures destinées à refouler dans le secret ou l’intimité de la vie privée l’expression des convictions de foi. Celles-ci, en effet, fondent largement nos moyens de vivre en paix dans la société. S’il arrive que des mesures soient nécessaires contre des groupes fanatiques ou sectaires, nous ne devons jamais oublier que le meilleur antidote à l’aliénation des libertés n’est pas d’interdire les croyances et leurs expressions, mais de soutenir et d’encourager celles et ceux qui conjuguent heureusement la foi et la raison, l’adhésion convaincue et le dialogue.
Comme religion majoritaire, les catholiques doivent s’investir plus et mieux que d’autres dans la rencontre et le dialogue avec les autres religions. Ils n’y sont pas simplement tenus en raison de leur position statistiquement dominante, mais avant tout par le contenu même de la foi chrétienne. Dès les évangiles, l’envoi en mission des disciples à toutes les nations rappelle la vision universaliste de l’Alliance. Plus près de nous, le second concile du Vatican a opportunément rappelé les exigences du respect de la liberté de conscience qui suppose une information réelle sur les enjeux de la foi.
Le respect de la liberté de conscience ne doit pas aboutir à une sorte de double jeu hypocrite selon lequel l’expression des différentes religions serait censurée au nom de la neutralité de l’État laïc alors que licence serait laissée au contraire à l’expression de toute conception de la vie de l’homme, quel que soit son contenu, pourvu qu’elle ne soit pas confessionnelle. Nous, catholiques, sommes conscients que notre apport dans la vie sociale n’est pas un simple prosélytisme confessionnel et je pense que beaucoup d’autres religions aspirent à contribuer elles aussi à la sagesse commune. Faute de favoriser cette expression publique des convictions, nous pouvons nous attendre à voir se développer des groupuscules qui prospéreront dans des caves qui ne seront pas toutes des catacombes.
Je suis intimement persuadé qu’un beau chantier est ouvert devant nous dans l’enseignement public et privé, dans les moyens d’information, dans les manifestations de la vie sociale, pour que le fait religieux soit mieux pris en compte selon sa vérité et non selon une unanimité de façade réduisant toute différence à un plus petit dénominateur commun ; selon sa complexité mais aussi selon sa formidable capacité à motiver les hommes à se rapprocher les uns des autres, à s’estimer, à s’aimer. Nos démocraties occidentales, tout spécialement dans le cadre de l’Europe, ont le devoir et les moyens de progresser sur cette voie et peuvent être de cette manière aussi des sources d’espoir pour beaucoup de peuples.
Puisque nous sommes en territoire français sur une terre étrangère, permettez-moi d’exprimer encore une préoccupation : elle concerne l’avenir de la francophonie. Les relations que ma fonction me permet d’entretenir avec les épiscopats d’autres pays dans le monde, en Europe comme en Afrique et en Amérique latine ou au Moyen-Orient, me font percevoir l’influence française parmi les cadres de ces Églises. Cette influence est évidemment le fruit des études faites en France par des jeunes prêtres attirés par le rayonnement de nos théologiens et de nos instituts catholiques.
Mais je dois à la vérité de constater que cette familiarité avec notre culture française recule dans les nouvelles générations. Celles-ci sont attirées par d’autres pays où la valeur des diplômes ne souffre pas des limitations encore de règle chez nous malgré les accords européens. Notre Église de France doit améliorer sans doute sa manière d’accueillir des étudiants étrangers et veiller à la qualité des études théologiques proposées. Mais l’État français lui-même a tout intérêt à ce que des jeunes hommes appelés à exercer une activité d’animation dans leurs pays d’origine puissent aisément venir étudier chez nous dans un cadre bien organisé et reconnu. Ils seront chez eux des relais de ce que nous essayons de vivre et des encouragements efficaces aux relations avec notre pays.
Madame le Ministre,
Éminences,
Monsieur le Maire de Paris,
Excellences,
Mesdames et Messieurs les élus,
Mesdames et Messieurs,
Chers amis,
la Villa Bonaparte dont nous goûtons l’hospitalité et le charme est habituée des réceptions de cardinaux. Monsieur et Madame Kessedjan y maintiennent un art de recevoir que chacun peut apprécier et dont je leur suis aujourd’hui particulièrement reconnaissant. C’est l’occasion pour moi de formuler des vœux de rétablissement à M. Kessedjan. Je veux exprimer ma gratitude à Monsieur Cochard qui a pris en main le surcroît de travail que provoque un consistoire. Nous bénéficions tous de son efficacité et de celle de l’équipe de l’Ambassade. A tous et à chacun, un grand merci.
Un des grands motifs de ma joie aujourd’hui et, je suppose ne pas me tromper, de la vôtre, est que les Papes successifs manifestent régulièrement leur confiance dans la vitalité de la foi catholique en notre pays. En vous remerciant tous de votre présence ici en ce jour, je vous exprime ma fierté que la République reconnaisse cette vitalité et les beaux fruits qu’elle porte pour le bien de tous en notre pays et dans le monde entier. La prochaine visite du Président de la République au Pape Benoît XVI manifestera assurément l’encouragement mutuel que notre pays et l’Église catholique peuvent se donner dans la recherche du bien de tous les hommes.
La fête du Christ-Roi que nous célébrerons demain nous invite à contempler la royauté du Christ dans le service qu’il rend pour l’humanité entière ; elle nous appelle, nous qui nous voulons disciples du Christ Jésus, à trouver notre gloire dans le service des hommes, nos frères et nos sœurs, service poussé jusqu’à l’amour le plus vrai. Il me semble que ceci exprime le meilleur de notre culture française, son dynamisme le plus universel. Je forme le vœu ici que notre pays soit fidèle à ce que beaucoup attendent de lui, non dans la nostalgie du passé mais avec confiance dans l’avenir.
Encore une fois, à tous, merci.