Une croix pour la Pietà
« L’artiste a conjugué art et théologie, dans une harmonie d’ancien et de moderne. »
Paris Notre-Dame du 13 octobre 1994
Depuis les années 1791-1793, la Pietà du chœur de Notre-Dame [1] est amputée de la croix qui lui donnait sa signification. Au-dessus de la Vierge présentant son fils crucifié au monde, une croix rejoignait une nuée lumineuse (la Gloire de Dieu) et devenait signe de salut. La restauration de Viollet-le-Duc, au siècle dernier, oubliait la signification théologique de l’ensemble et laissait l’emplacement vide, au risque de surprendre les visiteurs dès l’entrée de la cathédrale. Combien le fois les avons-nous entendus exprimer leur surprise : « Mais il n’y a pas de croix à Notre-Dame ! ».
Désormais, au seuil de la nef, la perspective (dégagée des chaises en semaine) invite naturellement le regard à se porter vers son point focal, au fond du chœur : la croix dorée, croix de résurection et de gloire. Désormais, l’autel et la croix se répondent pour dire ensemble l’Église et eucharistie.
Cette réalisation, menée à bien avec le soutien du ministère de la Culture et la Direction des Arts Plastiques, est l’œuvre du sculpteur Marc Couturier. L’artiste a conjugué art et théologie, dans une harmonie d’ancien et de moderne.
La Croix de la Vierge de Pitié de Notre-Dame sera bénie par le cardinal Lustiger, le dimanche 16 octobre [1994], au cours de la messe de 18h30.
P. Michel GUYARD, curé de la cathédrale
Homélie du cardinal Jean-Marie Lustiger lors de la bénédiction de la croix de gloire, jour d’anniversaire du pontificat de Jean-Paul II
Cathédrale Notre-Dame de Paris, 16 octobre 1994
29e dimanche du temps ordinaire (B)
(Is 53,10-11 ; He 4,14-16 ; Mc 10,30-45)« La Croix, c’est le signe de la Vie qui nous est donnée plus forte que la mort »
Que la croix, cette croix dorée que vous pouvez contempler, vous qui êtes dans l’axe de la cathédrale, soit à nouveau plantée, surplombant la Pietà – la Vierge des Douleurs qui tient en ses bras le corps mort de son Fils –, n’est pas seulement un événement esthétique et courageux de la part des autorités qui y ont contribué, puisqu’il s’agissait de superposer une œuvre moderne, aussi rigoureuse soit-elle, à une œuvre ancienne. Ce n’est pas non plus la restitution de ce qui a naguère existé puisqu’à l’origine, derrière la Vierge, se dressait, composée par les sculpteurs, une grande croix de marbre drapée d’un voile, sculpté aussi, et qu’ainsi la figure de ce mystère de la Croix était complète.
Non, ce n’est pas l’aspect esthétique qui me frappe et qui me semble si beau en ce jour, mais c’est qu’il nous est donné, au-delà des siècles, de découvrir à nouveau avec notre sensibilité marquée autant par les épreuves de la vie, de l’histoire, de la cruauté des temps que de l’intelligence du mystère de la Rédemption, ce que ce signe propose désormais à notre vue. Il n’est pas indifférent qu’ici, dans cette cathédrale, cette croix soit un signe par l’or qui la revêt : le signe d’une gloire divine, de la présence divine du Fils de Dieu fait chair au milieu de nous, de la présence de l’Amour au cœur même de ce qui nous révolte, le signe de l’Homme défiguré, affligé, méprisé, tué. Il n’est pas indifférent que, dans ce mystère de compassion, ce soit la puissance divine qui soit ainsi signifiée par ce qui, pour nous, êtres humains, exprime le plus purement par son resplendissement le signe de la gloire divine, lumière de lumière, et qu’ainsi nous comprenions qu’il s’agit là du secret autour duquel tourne le monde. La Croix est plantée comme un axe autour duquel le monde tourne et fait sa révolution. En vérité, c’est le secret de l’Amour, de l’Amour compatissant et de l’Amour sauveur, de l’Amour qui nous est destiné, de la vie qui nous est donnée, plus forte que la mort, plus forte que nos péchés, plus forte que nos obscurités, vie qui nous est donnée pour qu’à notre tour nous vivions et nous aimions. Ce signe est donc juste, non pas seulement ou d’abord esthétiquement, mais comme ceux qui savent prier, veulent prier, le découvrent et le découvriront, par ce qu’il signifie et ce qu’il nous permet de comprendre du secret des artistes qui naguère ont, pour cette cathédrale, voulu représenter la douleur de la mère qui reçoit le Fils unique en ses bras dans l’espérance du mystère de gloire auquel il est destiné.
Ce mystère, nous venons de l’entendre formulé par Jésus Lui-même répondant à ses apôtres. Vous savez que ce passage d’évangile est l’un de ceux où se révèle ce qu’est vraiment ce mystère de l’Amour tel que Jésus, le Christ, le Fils de Dieu, nous le révèle et nous le donne, et il est présenté au centre même de son Église. Car toute l’œuvre de Jésus en accomplissant ce mystère de Rédemption, cette œuvre du Salut annoncé par les poèmes du Serviteur, dont nous avons entendu un fragment dans le prophète Isaïe, en première lecture, toute cette œuvre que Jésus accomplit par le mystère de la Croix, Il la construit en même temps avec ses apôtres, pour ses apôtres, pour son Eglise qui est au centre même de ce qu’Il fait et de ce qu’Il veut. C’est ne rien comprendre ni à Jésus ni à l’Évangile que de penser, comme certains l’ont fait, il y a un siècle maintenant – pensée un peu vieillie, mais qui parfois trouve des résurgences aujourd’hui – que Jésus vint et que c’est l’Eglise qui apparut.
En vérité, c’est ne pas comprendre la parole de Dieu ni la parole du Christ que de ne pas y lire cette œuvre même dont Jésus est la source et qui est le dessein même pour lequel Il donne sa vie. Il n’est donc pas indifférent que ce mystère d’Amour produise ce renversement de la condition humaine, ce renversement complet de la volonté de puissance qui est le signe même, pyramidal, de la réussite humaine telle que, instinctivement, nous nous la représentons et telle que les civilisations et les siècles n’ont cessé de la figurer : il n’y a pas de représentations de la vie sociale dans lesquelles on ne puisse pas lire cette hiérarchie humaine où s’inscrit cependant le pouvoir de l’un sur l’autre et la sublimation de l’un au détriment des autres. Logique dont on peut comprendre qu’elle appartient peut-être à la construction des sociétés et de nos vies, mais logique qui a son contrepoint, sa contradiction immédiate : un tel équilibre est sans cesse subverti, en raison des excès ou des servitudes qu’il engendre. Ainsi l’histoire des hommes peut être regardée comme cette volonté de puissance qui sans cesse s’érige elle-même et est détruite par l’empire même qu’elle a établi.
Jésus, parlant à ses disciples et aux apôtres, n’entre pas dans ce jeu. Mais Il révèle de façon pratique, concrète, précise, une autre manière de vivre et d’agir. Ils auront à être les pères d’un peuple nouveau, douze comme les douze pères des douze tribus, douze pères dans la foi d’un peuple à naître innombrable et promis jusqu’à l’accomplissement des temps. Ils ne pourront accomplir cette tâche et cette mission d’être les premiers qu’en étant, comme Jésus Lui-même, signe de l’Amour qui se fait le dernier, non par humilité feinte ou contrainte, mais parce que cette première tâche consiste d’abord à aimer et à sauver. S’ils ont une autorité, c’est celle de l’Amour, et le signe de l’Amour est précisément cette miséricorde et ce don. Là où les hommes ont fait de la Croix le signe du supplice et de l’avilissement suprême, là où les hommes ont fait de la souffrance le châtiment et la porte de la mort, là où les hommes ont fait du recours à la force la plus haute qu’un homme puisse s’attribuer sur un autre homme par la mise à mort le signe et la source de leur puissance, voici que, volontairement, prenant la place du dernier, s’identifiant à tout homme, portant toute douleur et toute souffrance, par la liberté du don, par la source divine de la vie, par le pardon et la miséricorde, librement, souverainement, Roi de gloire, Il ouvre en notre monde un autre chemin.
Et en ce jour, pensant à celui qui est le successeur de Pierre, qui occupe maintenant dans notre histoire la mission d’être le premier des apôtres et de leurs successeurs, nous ne pouvons pas ne pas penser au pape Jean-Paul II, comme nous avons pu le faire pour ses prédécesseurs, en priant Dieu pour lui, puisque ces paroles qu’aujourd’hui il proclame lui-même dans l’Eucharistie et que je vous annonce, il les médite pour lui, sachant que, plus que tout autre, il doit y obéir et qu’ainsi, entièrement soumis à cette parole de Jésus, sans qu’il cherche à feindre, sans qu’il cherche à jouer un rôle, il devient, qu’il le veuille ou non, mais parce que Dieu le veut, signe de ce mystère d’Amour et de pardon que l’Église annonce au monde et qui se réalise en tous les baptisés.
Ainsi la victoire, comme saint Jean nous le dit, qui a vaincu le monde, c’est notre foi, foi en l’Amour plus fort que la mort, révélé dans le mystère de la Croix. Vous le voyez, nous ne pouvons pas comprendre le fonctionnement de notre Eglise et le rôle du Saint Père à la manière des grands de ce monde. Il n’y a guère de sens, comme d’aucuns le font, de parler, pensant à la santé du pape ou à son âge, de fin de règne car la fin du règne de notre Maître, Jésus, c’est la Croix où sur l’écriteau est mis : « Jésus de Nazareth, roi des Juifs ». Le règne auquel Jésus nous associe, c’est le sien.
Et par conséquent, la logique de l’Amour fait que nos vies ne pèsent pas au poids des réalités humaines, quelles que soient leur grandeur, leur noblesse, quelles que soient les ressources de l’intelligence ou de la force, de l’audace ou de l’imagination, mais à la fidélité à l’Amour qui, invisiblement, trace son chemin d’espérance, de réconciliation, de pardon, de vie parmi les hommes – nous hommes –, parmi nos détresses comme nos espérances. Ainsi, autant que nous sommes, cette Parole de Jésus nous appelle et nous invite à Le suivre, car le Fils de l’Homme n’est pas venu pour être servi mais pour servir et donner sa vie en rançon pour la multitude.
Jean-Marie cardinal Lustiger,
archevêque de ParisSource : institutlustiger.fr
Lettre de recommandation du cardinal Jean-Marie Lustiger du sculpteur Marc Couturier
Paris, le 31 juillet 2001
Marc Couturier, l’un des plus brillants sculpteurs de la nouvelle génération en France, est intervenu de façon très remarquable dans la cathédrale Notre-Dame de Paris.
L’entreprise était particulièrement délicate : monument historique largement reconstruit au XIXe siècle par Viollet-le-Duc, la cathédrale Notre-Dame de Paris n’avait jamais reçu d’œuvre de facture moderne. De plus, elle est sous la surveillance effective et directe de l’État français qui en est propriétaire depuis la séparation de l’Église et de l’État en 1905.
Au fond de l’abside se trouve une piéta en marbre blanc du XVIIe siècle mise en place à l’occasion du vœu de Louis XIII, roi de France, qui a consacré la France à la Vierge Marie et instauré les processions du 15 août célébrées, depuis cette date, dans tout le territoire français.
Cette piéta représente la Vierge Marie portant dans ses bras le corps du Christ mort. Originellement, elle était assise exactement au pied de la croix. Des gravures anciennes montrent une grande croix de marbre blanc avec un beau drapé. Cette croix avait été détruite au moment de la révolution française.
Le ministre de la culture, Jack Lang, avait accepté le principe de restituer une croix moderne qui permette de comprendre le sens de cette mater dolorosa.
Un concours a été établi sur la suggestion du ministre Jack Lang, et avec l’approbation de l’archevêque de Paris, entre plusieurs artistes de différentes nationalités.
C’est le projet de M. Marc Couturier qui a été retenu en raison de sa rigueur esthétique, mais aussi de sa sobriété épurée qui s’accordait parfaitement tout en faisant contraste avec l’œuvre majeure du sculpteur du XVIIe siècle.
Le choix des matériaux, de la forme, l’agencement dans l’espace, laissaient ressortir, comme cela lui avait été demandé, la gloire cachée dans le mystère de la Passion.
Le projet de cette croix avait suscité bien des inquiétudes et des discussions dans les milieux parisiens avertis. Dès que l’œuvre de Marc Couturier a été mise en place, l’unanimité s’est faite. Il semblait que cette croix, œuvre parfaitement juste, respectueuse, et d’une intelligence raffinée du mystère, avait toujours été à cette place.
Je me réjouirais que le talent de cet artiste puisse être mis au service de la nouvelle cathédrale de Los Angeles, Our Lady of Angels.
Jean-Marie cardinal Lustiger
archevêque de ParisSource : institutlustiger.fr
L’Inventaire de la Cathédrale Notre-Dame de Paris indique que la Gloire réalisée en bois doré à l’or blanc, la Croix est dorée à l’or jaune, a été mise en place en 1997.
[1] La Pietà est l’œuvre de Nicolas Coustou (1723), l’aménagement du chœur est de l’architecte Robert de Cotte.