Visite du père Jean-Marie Lustiger au Pape Jean XXIII
Dans le cadre des pèlerinages du Centre Richelieu à Rome, le 13 avril 1963.
Dans le cadre des pèlerinages du Centre Richelieu à Rome, le Père Lustiger, des responsables de l’aumônerie, quelques professeurs et 1 200 étudiants parisiens ont été reçus par le pape le samedi saint [13 avril 1963], à la fin de l’Office, en la chapelle Sixtine.
Après son allocution, le Saint-Père s’est entretenu avec deux étudiantes qui devaient être baptisées le Samedi saint en l’église Saint-Georges-au-Vélabre. Pour conclure, l’assemblée entière entonna l’hymne du Centre, « Voici la demeure de Dieu parmi les hommes », tandis que le Saint-Père parcourait la chapelle, en bénissant.
Vatican, Chapelle Sixtine, Samedi Saint 13 avril 1963
Chers Etudiants et Etudiantes du Centre Richelieu,
Grande est Notre joie d’accueillir une élite de la jeunesse studieuse de France en ce jour et en ce lieu. Tout Nous semble suggestif dans cette rencontre.
D’abord ce que vous représentez : la jeunesse universitaire, celle qui se forme par les rudes disciplines de l’étude, pour être demain, une classe dirigeante consciente de ses devoirs et à la hauteur de ses responsabilités dans la société.
Jeunesse de France : vous pouvez deviner toute l’émotion qui monte de Notre cœur à Nos lèvres en prononçant ces mots, et tous les souvenirs qu’ils évoquent pour l’ancien Nonce à Paris qui vous parle : la Sorbonne, le Quartier latin, les quais de la Seine avec leurs pittoresques « bouquinistes », et la silhouette imposante de Notre-Dame de Paris se profilant sur le ciel… Et puis Nous songeons, en vous voyant, à tout ce que la chère nation française a offert au long des siècles à la civilisation, dans ses expressions les plus variées, et à la foi catholique : quelle suite glorieuse de génies, de héros, et de saints, qui vous ont précédés et qui vous appellent ! A vous de redire, avec l’auteur inspiré de l’Epitre aux Hébreux : Tantam habentes nubem testium, curramus ad propositum nobis certamen ! (Hb 12,1).
Propositum certamen : ce sera peut-être parfois un destin bien éloigné des prévisions humaines, tel celui de ces autres pèlerins de Paris, venus en Terre Sainte pour suivre les traces de Jésus, et qui ont trouvé la mort dans des circonstances tragiques ! Comment ne pas vous confier, chers fils, que vivement peiné à l’annonce de cette triste nouvelle, Nous avons aussitôt fait monter vers Dieu de ferventes prières en faveur de ces victimes et des familles qu’elles ont laissées dans le deuil ?
Mais ce n’est pas la France seulement que vous faites revivre dans Notre souvenir : c’est un raccourci du monde entier que vous Nous offrez ici, où plus de quarante nations, Nous a-t-on dit, sont représentées dans vos rangs. La grande capitale, fidèle à ses meilleures traditions, continue d’accueillir et d’instruire des étudiants ex omnibus gentibus et tribubus et linguis (Ap 7,9) : vous en êtes le témoignage vivant.
Mais s’instruire ne suffit pas, et vous l’avez compris : en adhérant au Centre Richelieu, vous avez montré votre volonté de mettre à la première place les valeurs spirituelles. Quelle preuve magnifique vous en donnez, chers fils et chères filles, en venant ici, à pareil jour, psalmodier l’office liturgique !
Ici : c’est-à-dire dans la Chapelle des Souverains Pontifes, dans ce sanctuaire de l’art, en même temps que de la prière, dû à l’initiative du grand Pape Sixte IV, et où de prestigieuses peintures sont une invitation permanente à la contemplation et à la réflexion.
Le jour n’est pas moins bien choisi que l’endroit : le Samedi-Saint, l’instant du grand silence, dans le déroulement de la divine Liturgie, entre la tragédie du Vendredi-Saint et le triomphe du matin de Pâques. Le corps du Christ repose inanimé dans son tombeau : c’est, par excellence, l’heure de la méditation et du recueillement.
Le jour, le lieu, les personnes : oui, en vérité, tout, dans cette rencontre, Nous semble riche de signification. Et vous ne serez donc pas étonnés que lorsque l’Aumônier général du Centre Richelieu proposa cette initiative, Nous y ayons applaudi de tout cœur, heureux de voir des jeunes, des étudiants venus de France, des âmes soucieuses de culture religieuse et de vie spirituelle, venir chanter, dans la Chapelle des Papes, les Matines et les Laudes du Samedi-Saint.
Car c’est cela surtout, chers Fils et Filles, que Nous voulons retenir de votre présence ici en ce jour : vous êtes venus prier. Et trois traits Nous semblent caractériser votre prière : elle est collective, elle est liturgique, elle est aux dimensions de l’univers.
Prière collective d’abord. La prière dans le secret de l’âme seule à seule avec Dieu a sa valeur, incomparable, irremplaçable. Le Christ nous l’a dit : Clauso ostio, ora Patrem tuum in abscondito (Mt 6,6). Mais il nous a dit aussi : Ubi sunt duo vel tres congregati in nomine meo, ibi sum in medio eorum (Mt 18,20). C’est la prière des frères unis sous le regard du Père : non plus Pater meus, mais Pater noster.
Prière liturgique : plus précieuse encore, car ce n’est plus seulement l’addition des prières individuelles fondues en une seule ; c’est la prière au nom de l’Eglise. Prière si importante, aux yeux de celle-ci, qu’elle députe à cet office l’élite de ses fils : les religieux contemplatifs, et qu’elle impose la récitation du bréviaire comme premier devoir à tous ses ministres. Vous entrez donc dans ce grand courant qui parcourt la terre et traverse les siècles, pour chanter la gloire du Dieu vivant et de son Christ.
Prière universelle : comme le sont les pensées, les désirs, les préoccupations de l’Eglise ; universelle comme le sera le Jugement final, que le pinceau de Michel-Ange a su évoquer avec une si grande force de suggestion aux parois de cette chapelle.
Nous aimons à vous considérer ici comme des envoyés, des représentants, en quelque sorte, de toute la jeunesse studieuse de l’univers. Et il Nous semble que votre réunion priante de ce matin, avec son caractère collectif, liturgique et universel, a valeur de très haut message : les jeunes du Centre Richelieu de Paris, réunis autour du Pape, transmettent à leurs frères étudiants du monde entier la joyeuse annonce de l’Alleluia pascal !
La joie qui pénètre tous les cœurs en cette veille de la Résurrection Nous dicte, chers Fils, le souhait que Nous vous laissons en terminant.
Il monte du chant inspiré, humble et profond, qui a couronné votre célébration liturgique : le Benedictus. Pour tous, mais pour des jeunes en particulier, quelle richesse de pensée, de sentiment, d’orientation : Praeibis ante faciem Domini : le sens de votre vocation. Viscera misericordiae Dei nostri in quibus visitavit nos : la fidélité du Seigneur à ses infaillibles promesses. In sanctitate et iustitia coram ipso omnibus diebus… ad dirigendos pedes nostros in viam pacis : la ligne directrice de toute votre vie, dans les voies de la pureté, de la rectitude et de la paix (cf. Lc 1, 68-69).
Votre pèlerinage à Assise et à Rome - en attendant celui qui vous conduira bientôt aux pieds de Notre-Dame de Chartres - autant de cheminements sur les voies de la paix, la vraie, celle qui s’édifie sur l’union de l’âme à Dieu dans la prière.
Chers fils, que votre vie soit un exemple, un encouragement, une lumière pour toute la jeunesse étudiante de France et du monde. Voilà Notre exhortation et Notre souhait pour vous en cette veille de Pâques : « Soyez les annonciateurs de l’Evangile à toutes ces âmes qui attendent, soyez les continuateurs des apôtres auprès de vos frères. Et que par vous et par eux, réunis dans la foi et dans l’amour, le Christ et sa grâce pénètrent tout, dans le monde qui se transforme sous vos yeux : les âmes, les lois, les mœurs, les arts, la culture.
Annoncez partout et montrez à vos frères la jeunesse de l’Eglise, sans cesse alimentée et soutenue par le Christ ressuscité. Et que la joie de Pâques vous accompagne toujours et partout, avec Notre plus affectueuse Bénédiction Apostolique.
Amen. Alleluia.
Jean XXIII.