Homélie de Mgr Laurent Ulrich - Messe d’action de grâces à l’occasion des 90 ans de la paroisse Sainte-Hélène

– 14e dimanche Temps Ordinaire - Année C

- Is 66, 10-14c ; Ps 65 (66), 1-3a, 4-5, 6-7a, 16.20 ; Ga 6, 14-18 ; Lc 10, 1-12.17-20

Vous avez entendu que Jésus envoie 72 disciples. Mais la phrase qui le dit dans ce que nous venons d’entendre - « parmi les disciples le Seigneur en désigna encore 72 » - signifie qu’il en avait déjà désigné probablement. Cela veut dire que ce n’est pas les mêmes que les 12 apôtres et cela veut donc dire que Jésus ne cesse d’envoyer du monde en mission. C’est très important pour nous : Jésus ne choisit pas que des apôtres ; il choisit aussi parmi ceux qui le suivent, les disciples ; il en choisit régulièrement un certain nombre pour les envoyer en mission.

Nous pouvons prendre cela pour nous-mêmes et nous dire que Jésus ne cesse d’appeler, pas simplement des apôtres, pas simplement des évêques et pas simplement des prêtres, nécessaires aussi, mais également les autres, que nous sommes, que vous êtes. Il y a des gens à qui on dit de partir en mission ; il y a des gens qui, aussi, appelés par Jésus, le font volontiers d’eux-mêmes parce qu’ils savent qu’aimés par Jésus, aimés par Dieu, ils ont le désir de porter la Bonne Nouvelle du Seigneur tout autour d’eux, tout simplement.

Ce premier point a quelque chose d’extrêmement important pour nous : nous ne verrons fleurir des vocations particulières de prêtres, de religieux, de consacrés, qui consacrent leur vie tout entière à cela, que si d’autres répondent aussi pour participer à la mission là où ils sont, tels qu’ils sont. Et bien sûr les prêtres, les évêques, les diacres, les serviteurs de l’Évangile laïcs et consacrés, sont faits aussi pour faire naître, pour développer l’appel de Jésus, pour le transmettre partout où il faut et parfois pour discerner, découvrir des vocations nouvelles, les faire croître et les soutenir, les aider. Les vocations dans l’Église sont de toutes sortes et elles s’entretiennent mutuellement.

Ceux qui sont chargés d’être apôtres sont faits pour développer, entretenir, rendre grâce et soutenir tous les autres ; et les autres sont faits pour faire naître des vocations de prêtre, de diacre, d’évêque aussi et de laïcs consacrés. Nous nous entretenons les uns les autres dans la mission, c’est très important.

Deuxième chose à retenir de cet évangile : Jésus donne une lettre de mission. C’est très actuel, dans toutes les entreprises humaines on développe très particulièrement cela aujourd’hui. Quand on donne à quelqu’un une mission on lui donne une lettre de mission. On lui dit : « Voilà ce que tu devras faire, voilà à quoi va servir ta mission et voilà ce que tu devras éviter de faire. » Jésus fait cela, vous l’avez entendu. Il dit par exemple : « Évitez de passer de maison en maison, ce n’est pas en vous agitant que vous allez annoncer le Royaume de Dieu et en cherchant à passer partout. Là où on vous accueille on vous accueille. Et à partir de ceux qui vous accueillent tâchez de développer cet esprit missionnaire et ce désir d’être proche. » Il dit aussi ce qu’il faut faire : il faut partir ; il faut sortir de chez soi ; il faut être capable d’aller à la rencontre des autres. C’est une invitation forte. Mais, surtout, il donne l’objectif de la mission : « Partout où vous passez apportez la paix, faites la paix, faites-en sorte que les gens restent en paix les uns avec les autres, et n’oubliez pas de dire le Royaume de Dieu s’est approché de vous. »

« Le Royaume de Dieu s’est approché de vous » : c’est une phrase importante. Elle ne dit pas que le Royaume de Dieu est là, elle ne dit pas que c’est fini, elle ne dit pas que nous sommes arrivés, elle ne dit pas que nous avons fait tout ce qu’il fallait pour que le Royaume de Dieu soit déjà là. Le Royaume de Dieu, c’est Dieu qui le donne au moment où il le décidera, au moment où il le voudra. Mais il s’est approché de nous, il n’est pas bien loin, Dieu s’est rendu proche grâce à Jésus. Dieu s’est montré aux hommes et aux femmes non seulement de son temps mais du nôtre aussi. Dieu se montre proche et nous sommes chargés de le dire par notre parole. Tout le monde n’est pas fait pour parler de tout ce qu’il sait, tout le monde n’est pas fait pour faire des conférences, mais par ses gestes aussi.

Déjà le prophète Isaïe avait dit de la part de Dieu : « Réjouissez-vous, je vous consolerai, dans les épreuves que vous vivez, dans la peine que vous pouvez avoir que les hommes ne s’entendent pas bien entre eux, dans les souffrances infligées par la guerre, par les mauvais traitements de toutes sortes, dans tout cela moi je vous consolerai. C’est-à-dire je vous donnerai un esprit de paix, de joie qui transforme le monde peu à peu. » Voilà le Royaume de Dieu qui s’approche, voilà le Royaume de Dieu qui commence à grandir au milieu de nous quand nous essayons d’être des témoins de l’amour de Dieu en paroles et surtout en actes. Et je vois bien qu’ici, dans cette paroisse, comme vous l’avez cité tout à l’heure, des associations se rendent proches des autres : à travers elles Dieu se rend proche des hommes et des femmes qui vivent dans ce quartier. C’est très important que vous continuiez à vivre cela. On n’est pas obligé de faire partie d’une association mais parfois cela aide, en tout cas on peut grandir dans ce désir d’être porteur de la paix qui vient de Dieu, de la consolation qu’il donne dans les moments difficiles et du désir que naisse et grandisse en nous le Royaume que Dieu nous donne et nous donnera au moment où il le voudra, le laissant s’épanouir dans nos vies d’homme et de femme, et surtout quand nous serons dans sa lumière définitive. Mais dès maintenant le Royaume de Dieu est tout proche de nous. Voilà ce que nous avons à vivre.

Alors, est-ce que cela réussit à chaque fois ? Est-ce que nos efforts sont couronnés de succès ? Jésus dit à la fin de l’évangile : « Les disciples revinrent tout joyeux ; Seigneur, même les démons nous sont soumis en ton nom. » Cela signifie que la mission est réussie, et Jésus dit « Je regardais Satan tomber du ciel comme l’éclair, mais toutefois ne vous réjouissez pas parce que les esprits vous sont soumis. » Et cela signifie aussi que cela ne marche pas à tous les coups ! Cela veut dire qu’il n’y a pas la réussite de la mission à chaque fois, mais réjouissez-vous parce que vos noms se trouvent inscrits dans les cieux. Qu’est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire que, pour Jésus, l’essentiel de la mission ne tient pas dans le succès humain que nous croyons avoir obtenu. L’essentiel de la mission - et cela n’est pas comme dans une entreprise, une association dans la vie publique - on ne le mesure pas dans le résultat de la mission, ce n’est pas à nous de le faire, c’est Dieu qui le mesure. Nous, nous pouvons échouer à certains moments, avoir le sentiment que cela n’a pas marché, c’est vrai, mais ce qui compte c’est l’engagement de celui qui est en mission, ce qui compte c’est, comme dit saint Paul, « la croix du Christ ». La croix du Christ ce n’était pas un brillant succès, c’était même un échec apparemment mais Jésus avait donné toute sa vie pour cela et ce qu’il attend de ceux qu’il envoie en mission ce n’est pas de réussir mais c’est d’aimer et d’apporter la consolation de Dieu même dans les situations qui ne réussissent pas.

Ce que Jésus attend de nous, ce n’est pas que nous réussissions tout ce que nous faisons en son nom mais c’est que nous apportions quelque chose par le don de nous-mêmes, par la joie qu’il met dans nos cœurs, c’est que nous apportions notre vie. Ce qui compte dans la mission c’est le don que les missionnaires font d’eux-mêmes, c’est ce qu’ils donnent aux autres d’eux-mêmes.

Que le Seigneur nous écoute et nous permette de ne pas nous décevoir des choses qui ne marchent pas dans la mission qu’il nous a confiée. Qu’il nous permette aussi de savoir que nous sommes venus et envoyés pour aimer en son nom et pour ne jamais nous laisser abattre devant d’éventuels insuccès. Qu’il nous permette de rester toujours unis à Lui parce que c’est Lui qui se donne à travers nous.

+Laurent Ulrich, archevêque de Paris