Extrait de “Simples questions sur la vie” à propos du suicide
Novembre 2005
Par Mgr Jacques Perrier, évêque de Tarbes et Lourdes.
Face au suicide, et notamment au suicide des jeunes, notre société « libérale » est partagée.
D’un côté, comme elle est très émotive et que, même chez les chrétiens, la perspective de la vie éternelle est plus que floue, les survivants sont complètement perdus. Cela est particulièrement flagrant quand des jeunes assistent aux obsèques d’un camarade qui s’est suicidé.
Mais d’un autre côté, nous sommes sans défense face au suicide. Non seulement parce que certains éléments de notre mode de vie affaiblissent notre résistance : le privilège donné à l’instant sur la durée ; la facilité relative de la vie pour un grand nombre ; la déstructuration des familles ; le spectacle omniprésent de la violence ; la négation des valeurs qui tirent l’homme vers le haut ; le goût de la mort que distillent certaines chansons.
Si je dis que nous sommes sans défense, c’est encore pour une autre raison. Nous avons mis au-dessus de tout l’individu, sa liberté de choisir, son autonomie. L’idée selon laquelle nous ne serions pas seuls maîtres de notre destin apparaît comme une idée d’un autre âge. Nous n’avons plus de devoirs envers personne. Il nous est seulement demandé de ne pas dépasser certaines bornes. Conclusion : « Il s’est suicidé. C’est dommage. Mais c’est son choix. Il faut le respecter ».
Vous remarquerez que nous retrouvons pour le suicide ce que nous avons déjà relevé pour l’avortement : il n’y a que moi qui compte et j’ai bien le droit de faire ce que je veux.
Le suicide a toujours existé et il serait abusif d’en accuser notre société actuelle. Certaines maladies psychiques prédisposent presque inévitablement au suicide. Si aimant qu’il soit, l’entourage n’y pourra rien. Mais ces maladies ne sont peut-être pas beaucoup plus fréquentes qu’autrefois. Si les suicides se multiplient, il faut bien trouver d’autres raisons et d’autres remèdes.
Une parole de Jésus éclaire peut-être cette question. « Que sert à l’homme de gagner l’univers, s’il se perd ou se ruine lui-même ? » (Luc 9, 25). Nous nous sommes tout entiers projetés vers l’extérieur : nous nous sommes procuré des richesses, des relations, des facilités, des plaisirs. La publicité cherche à nous donner une image flatteuse de nous-même. Physiquement, la race a grandi, a amélioré ses performances sportives, a augmenté considérablement sa durée de vie, a embelli. Qui s’en plaindrait ?
Mais pendant ce temps, nous ne nous sommes pas enrichis de l’intérieur. Saint Paul distinguait ainsi l’homme intérieur et l’homme extérieur. Il disait : que l’homme extérieur se dégrade, ce n’est pas grave si l’homme intérieur, lui, se fortifie. Il serait, sans doute, assez inquiet devant ce qu’il constaterait aujourd’hui.
Le combat existe dans notre société. Il est même terrible sous la forme de la concurrence. Mais c’est un combat vers l’extérieur, alors que le vrai combat de l’homme est un combat intérieur.
Que la bulle extérieure éclate, que nous perdions une bataille dans la compétition extérieure, et nous découvrons alors notre néant intérieur. Le cas classique d’autrefois était celui du banquier qui faisait faillite et qui se suicidait parce que, une fois ruiné, il n’était plus rien. De même pour ceux qui avaient un sens déplacé de l’honneur. Ainsi ce pauvre Vatel qui, ne voyant pas arriver les poissons qu’il comptait présenter à Louis XIV lors d’un souper, préféra se suicider.
De même qu’il suffit de peu de chose pour qu’un couple se sépare, il suffit de peu de chose pour que l’image idéale que nous avions de nous-même et que nous voulions offrir aux autres vole en éclats. Et si nous n’étions que notre image, la destruction de cette image est mortelle.
Qui n’a pas connu d’échec ou de déception ? Qui, un jour, ne s’est pas trouvé coincé dans une situation apparemment sans issue ? Qui n’a pas éprouvé, une fois ou l’autre, le dégoût de soi-même ? Tout cela n’est pas nouveau. Mais nous manquons de patience et de confiance en nous-même. Cela est vrai pour les individus comme pour les couples.
Ne croyant pas en Dieu ou l’ayant renvoyé trop loin de nous, nous ne croyons pas à la vie.
Le suicide est un crime contre soi-même. Il contredit le commandement de Dieu : « Tu ne tueras pas ». Mais l’Église sait combien l’homme moderne est affaibli intérieurement, combien les malaises psychiques se multiplient dans notre société, combien l’interdit est devenu inopérant.
Donc, à moins que le suicidé n’ait clairement fait de son acte une manifestation de son irréligion, le prêtre ne refusera pas les obsèques à la famille qui les demande. La famille et l’entourage d’un suicidé ont, plus que tout autres, besoin de réconfort. Le défunt lui-même, qui ne pouvait plus se supporter et qui ne comptait pas assez sur l’aide des autres, a droit à notre prière.
Mais les obsèques religieuses ne sont pas une approbation. En amont, que faire pour que tels et tels de nos semblables ne se croient pas si abandonnés qu’ils ne voient d’issue que dans le suicide ?
Texte paru dans la publication de la Conférence des Evêques de France, Simples questions sur la vie.