Homélie du Cardinal André Vingt-Trois – Sixième Dimanche du Temps Ordinaire - Année B

Dimanche 12 février 2012 - Messe à St Lambert de Vaugirard (Paris XVe)

La purification du lépreux lui ouvre la réintégration au Peuple saint. Elle manifeste la capacité de Jésus à rassembler les enfants de Dieu dispersés. Elle est le signe de la guérison des lèpres intérieures du péché qu’il est venu accomplir.

 Lv 13, 1-2.45-46 ; Ps 101, 2-6.13.20-21 ; 1 Co 10, 31 – 11, 1 ; Mc 1, 40-45

Frères et Sœurs,

Ce passage de l’évangile de saint Marc nous fait faire un pas de plus dans la découverte de la personnalité et de la mission de Jésus de Nazareth. Après avoir révélé que Jésus est celui qui propose un enseignement nouveau donné avec autorité, qui chasse les esprits mauvais et guérit les malades, l’évangile nous ouvre par cette scène un champ nouveau du ministère du Christ. En effet, Jésus fait plus que guérir le lépreux qui vient à lui. Le mot employé par l’évangile parle de « purification » (Mc 1, 40), ce qui est une manière de mettre en valeur la nouveauté du signe accompli par le Christ.

Selon les prescriptions de la Loi de Moïse, que nous avons entendues dans le Livre du Lévitique, le lépreux devait se tenir à l’écart de tous. Ceci ne visait pas d’abord à éviter la contagion, comme nous le penserions aujourd’hui. Cette mise à l’écart permettait surtout d’éviter au peuple de contracter une impureté rituelle. Car ceux qui avaient été en contact avec les lépreux devenaient inaptes à participer à la vie et à la prière du peuple de Dieu. Le lépreux - ou tous ceux qui étaient porteurs de maladies de peau - devaient se tenir soigneusement à distance et rester à l’écart.

En purifiant le lépreux, Jésus va donc d’abord dépasser cette séparation entre ceux qui sont impurs et ceux qui sont purs. Il touche le lépreux, et ce faisant, il lui donne de réintégrer le Peuple Saint. Cette scène, très simple et bien connue, manifeste une nouvelle dimension de la mission du Christ : il est venu « rassembler les enfants de Dieu dispersés » (Jn 11, 52) et réunir au Peuple Saint ceux qui en sont éloignés ou exclus.

Dans ce geste, Jésus se fait proche de celui que tous repoussaient. Dans notre tradition culturelle, nous avons également connu cette crainte du lépreux et cet interdit qui les frappait, sans avoir aucun lien à la loi juive. De grandes figures de saints comme François d’Assise ou Ignace de Loyola ont su vaincre cette sorte de crainte ancestrale à l’égard de ceux dont l’apparence peut être repoussante, parce qu’ils sont complètements autres et différents.

Mais en purifiant le lépreux, Jésus ne guérit pas seulement cette apparence. Il vient toucher en profondeur la culpabilité enracinée dans l’inconscient de l’humanité, et dont la maladie visible semble toujours être la manifestation extérieure. Le lien entre la maladie et le péché n’appartient pas seulement aux mentalités archaïques ou dépassées par notre savoir moderne et nos connaissances médicales. Beaucoup voient dans les maladies une sorte de punition, ou du moins la manifestation de la noirceur intérieure de ceux qui en sont affligés. Ainsi, devant un mal imprévu ou un accident soudain, nous pouvons entendre (ou penser) : « Pourtant, il n’avait rien fait de mal ! ». Cette réflexion laisse supposer que, si cette personne avait fait quelque chose de mal, la maladie, l’accident ou la mort auraient été justifiés. Ce lien était profondément ancré dans la culture juive. Ainsi, dans l’évangile de saint Jean, quand Jésus rencontre l’aveugle-né, ses disciples lui demandent : « Seigneur, qui a péché ? Lui ou ses parents ? » (Jn 9, 2).

Voilà pourquoi, en purifiant le lépreux, Jésus n’opère pas simplement une guérison, mais pose un geste qui annonce une libération plus profonde. S’il peut guérir la lèpre visible, pourquoi ne serait-il pas capable de guérir les lèpres invisibles qui affligent l’âme humaine ? Dans la guérison du paralytique qui suit ce passage dans l’évangile de saint Marc, Jésus confirme cette dimension de sa personne et de sa mission : il n’est pas simplement un thaumaturge et un grand rabbin, mais celui qui peut délivrer l’homme du péché.

Pour nous, comment trouvons-nous notre place dans cette scène de la rencontre du lépreux avec Jésus ? Nous pouvons nous représenter prosternés aux pieds du Christ et le suppliant : « Seigneur si tu le veux, tu peux me purifier » (Mc 1, 40). « Je sais que ce ne sont pas simplement mes défauts visibles qui enlaidissent ma vie et affligent ma personnalité, mais bien ce qui blesse ma liberté et touche mon âme. Peut-être mon péché reste-t-il caché ? Et pourtant, je le sais, j’ai besoin d’être purifié. » Alors, chacun de nous peut essayer d’entrer dans la conscience de ce lépreux rejeté loin de son peuple et venir au pied du Christ pour lui demander d’être purifié et de pouvoir s’engager d’une manière renouvelée dans la communion plénière du peuple de Dieu. La venue du Christ ne touche pas simplement nos imperfections trop perceptibles de la vie quotidienne. Elle vient guérir les péchés qui touchent notre âme et que personne ne voit. Et découvrir le visage du Christ qui délivre du péché, c’est découvrir la joie d’être réintégré pleinement dans la communion du Peuple Saint, et pouvoir rendre témoignage, comme le fait ce lépreux, en allant partout raconter ce qui lui est arrivé.

Frères et sœurs, à la veille d’entrer dans le temps du carême, nous pouvons faire retour sur nous-mêmes et prendre conscience de ce qui nous afflige. Nous pouvons faire la démarche que le lépreux a faite : venir à Jésus et lui dire : « si tu veux, tu peux me purifier » (Mc 1, 40). Et comme Jésus le lui propose en appliquant la loi du Lévitique, nous pouvons aller nous montrer aux prêtres, pour qu’ils constatent que Jésus nous purifie. C’est cette démarche de la confession que tous les chrétiens sont invités à faire pendant le carême : venir supplier Dieu qu’il leur pardonne leur péché, qu’il les réconcilie et qu’il les comble de la joie d’une vie nouvelle.

Demandons aussi au Seigneur que cette expérience de la purification, du pardon et de la réintégration soit un signe pour le monde. Nous appartenons à une communauté. Nous en sommes les membres et ne vivons pas comme si nous étions perdus et isolés à travers l’immensité de l’univers sans aucun point d’appui, sans aucun lien, sans aucune chance d’entrer en contact avec quiconque. Par le Christ, nous sommes intégrés dans l’Église, le peuple des chrétiens, la fraternité des baptisés.

Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris

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