Homélie du cardinal Vingt-Trois à l’occasion de la messe d’ordination épiscopale de Mgr Le Saux
Dimanche 25 janvier 2009 - En la cathédrale Saint-Julien du Mans
En la cathédrale Saint-Julien du Mans
Le dimanche 25 janvier 2009, Fête de la Conversion de saint Paul
Chers amis,
Soyez tranquilles, « elle passe la figure de ce monde », « le temps est limité. » (1 Co 7,29-31)
Notre temps est limité, notre monde l’est aussi. Ce que nous voyons et que nous connaissons, ce que nous fabriquons et que nous imaginons, ce que nous rêvons, tout cela passe. Mais alors, qu’est-ce qui ne passe pas ? A mesure que nous avançons dans notre vie que reste-t-il de tant d’activités que nous avons menées ? Qu’est-ce qui subsiste de ces projets qui nous ont accrochés et passionnés ?
Paul avait un but : exécuter les ordres du Sanhédrin et ramener les chrétiens de Damas pour les faire emprisonner à Jérusalem. Ce projet, c’était en quelque sorte une œuvre divine ! Mais quelque chose survient et en contrecarre la réalisation : Paul rencontre le Christ et sa vie est retournée. Il reçoit une nouvelle mission qui n’est plus d’emprisonner les disciples de Jésus, mais de devenir le témoin du Christ non seulement auprès d’eux et des juifs, mais devant tous les hommes.
Cette expérience particulière de Paul dont nous faisons mémoire solennellement en ce jour nous permet de saisir ce qui structure toute la vie chrétienne et tout le ministère apostolique. D’une part, il n’y a pas de vie chrétienne et il n’y a pas de mission apostolique s’il n’y a pas dans la foi une expérience personnelle du Christ et de la vitalité de son Esprit. Et d’autre part, cette rencontre avec le Seigneur va trouver son authentification et son objectivation dans la mission reçue de Lui. Il n’y pas de mission sans conversion et il n’y pas de conversion sans mission.
Cette conviction a progressivement habité le cœur de l’expérience chrétienne : la puissance du Christ est indissociable du renouvellement de vie qu’elle suppose. La force prodigieuse du Christ et de sa Parole, qui terrasse Saul sur la route de Damas, qui apporte aux hommes la délivrance, qui donne l’Espérance et qui demeure vivante malgré toutes les limites que nous pouvons y apporter par nos comportements ou nos faiblesses, cette force ne peut se déployer qu’à travers la transformation de nos cœurs.
Aujourd’hui où plus que jamais, il n’est pas possible d’être chrétien par défaut, la question se pose pour nous qui avons choisi le Christ. En qui mettons-nous réellement notre Espérance ? Qu’est-ce qui mobilise notre vie ? Quelle est la référence en fonction de laquelle tout le reste va s’organiser, se construire et se développer ? Quel sera le point fixe autour duquel vont s’effacer peu à peu les figures de ce monde ? Que va être ce qui ne passe pas quand tout passe ? Car seule une relation personnelle avec le Christ, une consécration de notre liberté et une offrande totale de nous-mêmes donnent du prix à nos vies et leur ouvrent la fécondité de l’Esprit. Hors de cela tout passe et nous ne servons à rien, ni pour nous, ni pour le monde.
Etre consacré dans ce ministère apostolique comme vous allez l’être à l’instant, c’est manifester de façon sacramentelle, c’est-a-dire visible et presque palpable, qu’à travers vous et jusqu’au terme de votre temps, l’amour de Dieu transforme le monde. Cette transformation nous échappe parfois. Mais il nous est donné de voir comment certains se laissent saisir et comment avec des gens finalement assez ordinaires comme vous et moi, l’amour de Dieu est capable de fabriquer des témoins d’Espérance et de les envoyer parler un langage nouveau, chasser les esprits mauvais, soulager les misères et finalement mettre l’amour en pratique.
Ce sera là votre premier ministère : mettre les chrétiens en état de s’aimer les uns les autres, les mobiliser pour aimer leurs frères. Le Pape ne vous a pas nommé simplement pour être le gérant d’une association plutôt sympathique et bienveillante. Vous n’êtes pas évêque du Mans pour aménager le plus confortablement possible la vie des chrétiens de la Sarthe. Le Seigneur vous envoie pour les rassembler, les fortifier, les nourrir, les appeler et les envoyer, pour qu’à leur tour ils deviennent témoins de la Bonne Nouvelle. Plus vous serez bon avec eux et plus vous tisserez avec eux des liens de charité paternels et fraternels, et plus ils se sentiront dérangés, envoyés et dynamisés, pour partager cette joie et cette force que vous aurez transmises.
La deuxième dimension de votre ministère est d’être le serviteur de la communion. Dans l’expérience chrétienne, la communion n’est pas la gestion d’une coalition où des intérêts particuliers s’équilibreraient vaille que vaille. C’est la saisie en un corps unique de membres réellement différents. Les efforts du Saint Père qui le premier est chargé de la communion de l’Église, nous encouragent à chercher et à trouver nous aussi des chemins de communion, non pas en négociant pièce à pièce, mais en formulant les uns pour le autres les exigences de l’Evangile. L’unité du corps du Christ ne vient pas d’une répartition ingénieuse des biens. Elle se construit dans l’ouverture du cœur, l’a priori de bienveillance et l’exigence de la vérité dans les relations entre les frères.
Vous exercerez ce ministère d’amour et de communion dans le contexte historique et régional qui a été évoqué tout à l’heure. Sa richesse vous permettra d’y trouver toutes les ressources nécessaires à cette mission. A une certaine époque, on nous disait qu’il fallait « mettre un tigre dans son moteur ». Même si ce n’est plus un slogan à la mode, vous pouvez-vous demander si vous conduirez sur ce circuit avec un tigre dans le moteur, et si vous irez aussi poser votre cœur et votre âme à l’abbaye de Solesmes ? Voilà une belle diversité pour un département regroupé autour d’une agglomération. Vous êtes l’évêque de tout ce monde : du circuit, du tigre et de Solesmes. Il vous faut aimer tout ce monde !
Pour accomplir ce ministère vous avez besoin de collaborateurs nombreux, forts, dynamiques, et expérimentés. S’ils sont nombreux aujourd’hui, le temps passe, ils « s’usent » et il faut préparer la relève. Elle est parmi vous ! Les hommes qui seront appelés à devenir les diacres et les prêtres de l’Église se trouvent ici, au milieu de vous. Je ne les connais pas, Yves le Saux non plus. Il est même possible qu’eux-mêmes ne se sachent pas encore appelés. Alors, posez-vous la question, demandez-vous si cette possibilité ne vous a jamais traversé l’esprit. Et si c’est le cas et que vous croyez avoir réglé la question, demandez-vous encore si vous n’avez pas manqué un embranchement, ou s’il n’y a pas eu un mauvais hasard. Je ne voudrais pas que vous disiez, comme je l’ai entendu plusieurs fois, « Monseigneur ça fait dix ans que j’y pense. », car c’est neuf ans de trop ! Ainsi, s’il vous est arrivé de réfléchir à cette idée, pensez-y encore, parlez, priez, échangez, discutez. La vérité viendra de la confrontation du travail sur soi et de la volonté de Dieu. Elle seule permet la délivrance du cœur et l’ouverture de la charité en nous. Le diocèse du Mans a droit à avoir des prêtres. Il y a en lui assez de gens généreux et je ne doute pas qu’il en trouvera.
Nous allons maintenant entrer dans la célébration de l’ordination proprement dite. Je suis entouré par des évêques nombreux que vous avez vu entrer en procession. Je me permets de saluer fraternellement en votre nom à tous Mgr Gilson, Mgr l’évêque de Paderborn dont le diocèse est lié de manière très étroite avec celui du Mans, et tous les frères évêques de la province ecclésiastique de Rennes et de ses environs.
Prions le Seigneur avec confiance pour qu’il accomplisse en nous tous sa volonté.
Et, mon cher Yves, écoutez encore cette parole qu’Ananie adresse à Paul :
« Tu seras pour Lui devant tous les hommes le témoin de ce que tu as vu et entendu.
Et maintenant, pourquoi hésiter ? Lève-toi ! »
+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.