Homélie du cardinal André Vingt-Trois – Messe d’action de grâce à Saint-Honoré d’Eylau pour les 40 ans du Chemin Néocatéchuménal

Saint-Honoré d’Eylau – 28 février 2009

Messe d’action de grâce à Saint-Honoré d’Eylau pour les 40 ans du Chemin Néocatéchuménal, la promulgation définitive des statuts de la communauté, et les 36 ans de présence dans le diocèse de Paris.

Lectures : Is 58, 9b-14 ; Ps 85, 1-6 ; Lc 5, 27-32

Frères et sœurs,

Par la grâce de Dieu, chacune et chacun d’entre nous fait une rencontre particulière avec le Christ à un ou plusieurs moments de sa vie. Il entend à sa manière la parole adressée par Jésus à Lévi : « viens, suis-moi », et il est appelé à y répondre. Lévi pourrait se poser de nombreuses questions avant de se décider.
Mais l’évangile nous dit au contraire : « il se leva et laissant tout il le suivit » (Lc 5, 28) - ce qui signifie qu’il resta avec Jésus. Ce sont les autres qui s’interrogent : comment se fait-il que Jésus accepte le compagnonnage de ce pécheur public, qu’il transgresse la loi de séparation et partage la table des pécheurs, au risque de contracter une impureté rituelle ? Ces questions sont l’occasion pour le Seigneur de dévoiler la bonne nouvelle de l’Evangile : « le Christ n’est pas venu pour les bien-portants mais pour les malades, il n’est pas venu appeler les justes mais les pécheurs » (Lc 5, 31-32).

Nous aussi, nous avons été touchés à un moment de notre vie par cette bonne nouvelle, quand nous avons compris que tout pécheur que nous étions, c’est pour nous que Jésus était venu. Le Christ ne vient pas pour me faire découvrir que je n’ai pas besoin de lui, mais pour me donner à comprendre qu’il peut me guérir, me purifier et rénover en moi l’image de Dieu déposée à la création.
Et nos conversions, la première et toutes celles qui suivront, jaillissent de cette expérience que nous faisons lorsque Jésus nous regarde, qu’il pose sa main sur nos blessures ou qu’il nous parle.
Ainsi en est-il aussi des trois cents adultes du diocèse de Paris qui seront baptisés au cours de la Vigile pascale, et dont je vais cet après-midi célébrer l’appel décisif à la cathédrale Notre-Dame.
Tous ont tous vécu d’une façon ou d’une autre cette rencontre de la miséricorde de Dieu et ont accepté de l’accueillir et de convertir leur vie.

Cette expérience d’une nouvelle conversion que vous vivez en suivant le Chemin Néocatéchuménal, ne consiste pas simplement à prendre au sérieux la Parole de Dieu, comme cela vous est proposé quand vous recevez la Bible.
Ni seulement à vous attacher aux catéchèses sur la Parole de Dieu que vous recevez dans les différentes rencontres. Cette expérience vous conduit à changer vraiment votre manière de vivre, comme vous essayez de le faire quand après avoir décidé de renoncer au mal, vous vous tournez vers la volonté de Dieu pour pratiquer cet art de vivre en disciples de Jésus qui nous transforme de l’intérieur.
Là où nous connaissions le dégoût de nous-mêmes, le regard que Jésus porte sur nous et la parole de Dieu nous guérissent et changent cette amertume, non pas en orgueil d’être des justes, mais en action de grâce d’être guéris. La tristesse, qui est la marque du refus de l’amour, devient joie d’être aimé de Dieu, d’être aimé de nos frères, d’aimer Dieu plus que tout et d’aimer nos frères comme nous-mêmes, selon le commandement du Seigneur.
Cette rénovation intérieure change le regard que nous portons sur nous-mêmes, mais aussi notre manière d’être dans la vie, dans nos familles, dans nos relations, dans notre travail… Bref, cette conversion intérieure s’épanouit en nous engageant pour le renouveau du monde.

C’est l’invitation du prophète Isaïe que nous avons entendue. Si nous voulons vraiment être témoins de l’amour de Dieu, qu’il soit notre lumière (Is 58, 9) et que sa parole porte du fruit dans notre vie, alors nous devons changer le monde ! Bien-sûr, c’est une œuvre si vaste que chacune de nos vies ne peut y suffire. Mais nous ne sommes pas les seuls à vouloir changer le monde !
Changer le monde c’est délier les liens injustes, c’est transformer les relations entre les hommes, c’est contribuer à plus de justice entre tous, c’est être attentifs à ceux que la société rejettent, c’est se faire plus proche de ceux qui sont loin. Tout cela ne dépend pas seulement des grands projets politiques, mais se réalise quotidiennement dans notre manière de vivre.
Nous qui avons la chance de vivre dans une démocratie, nous savons que la force de ce système repose sur la vertu des citoyens, c’est-à-dire sur cette capacité de chacune et de chacun à contribuer à la construction du bien commun en acceptant de prendre sur soi les difficultés. Ainsi, notre conversion nous conduit à nous impliquer dans les différents secteurs de la vie sociale.
Et nous contribuons à ce que cette société soit plus juste, ou en tout cas moins injuste, et à ce que la démocratie permette l’élection des meilleurs pour conduire les affaires de tous.

La conversion n’est donc pas simplement une expérience privée que l’on vit dans le secret de son cœur, ni même seulement une expérience d’Église entre frères et sœurs convaincus par l’Evangile du Christ. Elle se déploie quotidiennement dans notre relation au monde et aux autres.
Elle nous expose jour après jour à être les témoins pour ce temps et pour ce lieu, de celui qui est venu non pas pour les bien-portants et pour les justes mais pour les malades et les pécheurs.
L’amour du Christ nous interdit de nous refermer et de vivre entre nous. Il nous pousse à la rencontre de ceux qui ont besoin d’entendre la Bonne Nouvelle. Jésus, aujourd’hui comme hier partage la table des pécheurs et les appelle à mener une vie nouvelle. Aujourd’hui comme hier il se fait proche de ceux qui sont loin. Et tout cela, c’est par nous qu’il l’accomplit, à travers notre vie, notre implication dans l’existence et nos relations quotidiennes.

Chaque jour, nous pouvons rendre grâce à Dieu qui est venu nous toucher dans notre misère, qui a apporté la lumière dans nos ténèbres et délivré nos cœurs de ce qui les enchainait dans l’égoïsme et le narcissisme, qui fait de nous des ouvriers d’amour et des artisans de paix.

En cet anniversaire, prions donc le Seigneur pour que les fruits qu’il a déjà produits à travers les communautés du Chemin Néocatéchuménal puissent devenir un signe pour tout homme. D’abord pour des chrétiens qui ont pu oublier la richesse de la grâce, mais aussi pour ceux qui sont dans l’ignorance de l’amour que Dieu leur porte.
Que notre manière de vivre, notre liberté dans les affaires du monde, notre fraternité dans l’Église et notre disponibilité dans le service deviennent des signes pour tout homme et toute femme, et soient pour eux la parole que Jésus adressait à Lévi : « viens, suis-moi » (Lc 5, 27). Emerveillés de voir que Jésus s’adresse à eux peut-être se lèveront-ils aussi pour tout laisser et le suivre.

+André cardinal Vingt-Trois,
archevêque de Paris

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