Texte de la conférence de Carême du 24 février 2013 : « Croire dans l’Église »

Par Mgr Jérôme Beau, évêque auxiliaire de Paris.

Chaque dimanche, nous professons notre foi en l’Eglise Une, Sainte, Catholique et Apostolique. Au cours de cette conférence, nous approfondirons l’identité de l’Eglise comme « corps du Christ » qui nous donne de déjà vivre de la Résurrection du Christ et d’être portés, dans notre condition de pécheurs, par la miséricorde de Dieu. L’Eglise Sainte nous appelle à l’aventure de la Sainteté ; et la Vierge Marie, sur notre route, en est le modèle et le soutien.

 Biographie de Mgr Jérôme Beau, évêque auxiliaire de Paris

La conférence en vidéo

Texte de la conférence
Reproduction papier ou numérique interdite.
Les conférences seront publiées dans un livre à paraître le dimanche 24 mars 2013 aux éditions Parole et Silence.

Croire dans l’Église

« Je crois à la sainte Église Catholique »
« Une, Sainte, Catholique et apostolique »

Cet acte de foi dans l’Église pose d’abord la question de son identité. Devons-nous nous poser la question : « Qu’est-ce que l’Église » ou « Qui est l’Église » ?

À une époque où la tentation de dissocier l’Église de sa tête qui est le Christ pour n’en faire qu’une organisation parmi d’autres traverse beaucoup d’esprits, il est nécessaire de réaffirmer que « Croire que l’Église est « Sainte » et « Catholique », et qu’elle est « Une » et « Apostolique » est inséparable de la foi en Dieu le Père, le Fils et le Saint Esprit [1].

Dans le Symbole des Apôtres, nous faisons profession de croire une Église Sainte et non pas en l’Église, pour ne pas confondre Dieu et ses œuvres et pour attribuer clairement à la bonté de Dieu tous les dons qu’Il a mis dans son Église [2].

Si je le dis différemment, comme l’affirme le Catéchisme de l’Église Catholique, l’article de foi sur l’Église dépend entièrement des articles concernant le Christ Jésus. L’Église n’a pas d’autre lumière que celle du Christ. Elle est, selon une image chère aux Pères de l’Église, comparable à la lune dont toute la lumière est reflet du soleil [3].

En approfondissant les documents conciliaires, particulièrement les documents ecclésiologiques, Lumen Gentium et Ad Gentes, nous mettrons en lumière que « l’Église n’est pas simplement une grande structure, une de ces organisations supranationales qui existent. L’Église, tout en étant un corps, est le Corps du Christ et donc un corps spirituel, comme le dit Saint Paul. Elle est une réalité spirituelle. [Il faut que] les personnes puissent voir que l’Église n’est pas un corps administratif ou de pouvoir, qu’elle n’est pas une institution sociale, bien qu’elle accomplisse un travail social et supranational, mais qu’elle est un corps spirituel » [4].

Au cours de cette conférence, dans un premier temps nous nous interrogerons sur ce que dit l’Évangile de l’Église. Ensuite, nous approfondirons cette question qui surprend nos contemporains. Comment pouvons-nous affirmer dans la même phrase que l’Église est à la fois sainte et sans péché et formée de pécheurs ? Pour terminer, nous expliciterons notre foi en l’Église à travers la figure de la Vierge Marie, mère du Christ, mère de l’Église et mère des hommes.

1. QUI EST L’ÉGLISE ? CE QUE L’ÉVANGILE DIT DE L’ÉGLISE

« Et moi je suis avec vous jusqu’à la fin des temps » (Mt 28)

Dans la finale de l’Évangile de Saint Matthieu, Jésus Ressuscité dit aux onze apôtres : « Toute puissance m’a été donnée au ciel et sur la terre. Allez donc, enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit, leur apprenant à garder tout ce que je vous ai commandé : et voici que je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde ». (Mt 28, 18-20)

Cette péricope nous permet trois réflexions :

Tout d’abord que les Apôtres sont envoyés au monde entier : La Bonne Nouvelle du Salut n’est pas seulement pour quelques-uns mais bien pour tous les hommes. Dans son amour pour nous, le Christ veut que le dessein bienveillant du Père pour tous les hommes puisse être reçu par chacun. Cet envoi en mission, nous fait réfléchir sur le rapport de l’Église au monde.

Le Christ a tout reçu du Père. Il en a reçu la Toute Puissance. Celle-ci n’est pas domination sur l’homme ; elle n’écrase pas ni n’opprime notre liberté. Elle n’est ni magie ni illusion. Elle est remise à Jésus et, par Jésus, à l’Église pour le service de l’homme, de ce qui appartient à Dieu. En envoyant baptiser les apôtres et leurs successeurs, voici que la toute-puissance du Christ a été remise dans l’Église pour faire renaître de l’eau et de l’Esprit Saint ceux qui le demanderont, et constituer ainsi le Peuple de Dieu. Pour donner un nouvel exemple de ce que signifie cette toute-puissance de l’Amour, qui n’est en rien de retenir pour soi mais qui trouve son identité dans le don total pour le prochain, la question du pardon peut nous éclairer. Quatre hommes transportent sur un brancard un homme paralysé. Non seulement, ils intercèdent pour cet homme mais ils portent dans leur corps ce désir que ce dernier soit guéri. Ils veulent cette guérison de toutes leurs forces, découvrent la toiture, et font descendre le brancard. Jésus lui dit : « Homme, tes péchés sont pardonnés ». Ce qui n’appartenait qu’au Père, Jésus le fait et atteste qu’il en a reçu le pouvoir en le guérissant : « Lève-toi, prends ton brancard et rentre chez toi » [5]. La toute-puissance de l’Amour du Père est de remettre ce qui n’appartient qu’à Lui à son Fils Jésus. La toute Puissance du Christ est de remettre à l’Église ce don que le Père lui a remis : donner la vie de Dieu par le Baptême, le pardon, l’amitié avec Lui. La Toute-Puissance de l’Amour n’est pas de retenir pour soi ce que l’on est, ni de ramener l’autre à notre projet mais, par Amour, de remettre tout ce que l’on est à l’Autre simplement pour lui donner de devenir pleinement lui-même.

Dans la finale de l’Évangile de Saint Matthieu, le Ressuscité affirme qu’il sera tous les jours avec l’Église, à chaque instant, jusqu’à la fin des temps. Il l’est par le don de l’Esprit Saint ; il l’est par l’Église dont l’identité est liée à celle de Jésus Ressuscité comme le Corps l’est à sa tête.

« Tous nous avons été baptisés dans l’unique Esprit pour former un seul corps » (1 Co 12,12)

L’Église est liée à Jésus comme le corps humain l’est à sa tête. À plusieurs reprises Saint Paul insiste sur cette image du Corps et sur cette relation entre la tête, le Christ, et son corps, l’Église. Nous trouvons particulièrement cette image dans l’Epître aux Ephésiens : « Dieu le Père a constitué [le Christ] Tête au dessus de toute l’Église, laquelle est son Corps. » [6] Nous retrouvons cette même affirmation dans l’épître aux Colossiens : « Il est avant toutes choses et tout subsiste en lui. Il est aussi la tête du Corps, c’est-à-dire de l’Église ».

Ce lien entre le Christ-Tête et l’Église-Corps, Saint Paul va nous le décrire, dans l’Epître aux Ephésiens, comme un lien sponsal : « Nul n’a jamais haï sa propre chair ; il la nourrit au contraire et en prend soin, comme le Christ fait pour l’Église : car nous sommes les membres de son Corps, chair de sa chair et os de ses os. C’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère pour s’attacher à son épouse, et ils seront deux en une seule chair. Ce mystère est grand, je veux dire qu’il s’applique au Christ et à l’Église. » [7]

L’Église est ainsi décrite comme l’Epouse du Christ : « Époux, aimez vos épouses, comme le Christ a aimé l’Église, et s’est livré pour elle, afin de la sanctifier, lavée dans le bain d’eau accompagné de la parole baptismale, en sorte qu’il se la présente à lui-même, toute resplendissante, sans tâche ni ride mais sainte et immaculée. » [8]

2. UNE ÉGLISE SAINTE

Cette sainteté de l’Église, le Concile Vatican II l’affirme avec clarté dans sa constitution Lumen Gentium [9] : « L’Église, dont le saint Concile présente le mystère, est aux yeux de la foi indéfectiblement sainte » et le Concile continue sa réflexion en affirmant qu’en effet « le Christ, le Fils de Dieu, qui, avec le Père et l’Esprit, est proclamé « seul Saint », a aimé l’Église comme son épouse, il s’est livré pour elle afin de la sanctifier, il se l’est unie comme son Corps et l’a comblée du don de l’Esprit Saint pour la gloire de Dieu. Aussi dans l’Église, tous, qu’ils appartiennent à la hiérarchie ou qu’ils soient régis par elle, sont appelés à la sainteté selon la parole de l’apôtre : Oui, ce que Dieu veut c’est votre sanctification. »

Cette affirmation, aux yeux de la foi, d’une Église indéfectiblement sainte, se heurte à un paradoxe. Nous le savons bien, elle est formée de pécheurs. Nous affirmons l’Église sainte et immaculée et en même temps nous disons qu’elle est formée de pécheurs. La constitution sur la liturgie « Sacrosanctum concilium » le précise en soulignant qu’elle est à la fois sainte et appelée à se purifier : « Sa nature authentique est d’être à la fois humaine et divine, visible et riche de réalités invisibles, fervente dans l’action et occupée à la contemplation, présente dans le monde et pourtant étrangère. » [10]

Si effectivement nous parlons pour l’Église d’un élément divin uni à l’humain, on ne peut parler, souligne le Père CONGAR [11], « ni d’une véritable nature divine, ni d’une « incarnation » de Dieu, ni d’une union substantielle entre le divin et l’humain : il y a seulement une union d’alliance, basée sur l’initiative, l’institution et la promesse de Dieu. L’Église comporte, d’institution divine, le dépôt de la Révélation et des sacrements et les trois fonctions, assorties des grâces et des pouvoirs correspondants, de témoignage ou de magistère, de sacerdoce et de gouvernement ou de charge pastorale. Ces fonctions sont exercées par des hommes, dans la trame d’une histoire dans laquelle ni la grâce ni de véritables et créatrices visites du Saint Sacrement ne permettent d’enjamber miraculeusement les limites, de faire l’économie des détours, des impasses, des retards, des erreurs même. »

Bien des hommes de notre temps dissocient l’Église de sa tête qui est le Christ en raison des péchés de ses baptisés. Les péchés des membres de l’Église sont renvoyés sur le visage de l’Église pour la discréditer ou en faire une simple organisation qui perpétue le message de son fondateur.

En Jésus Christ, Dieu s’est fait homme. L’humanité de Jésus n’est pas une apparence sous laquelle Dieu opérerait tout. Il est vraiment homme et s’est réellement fait pour nous serviteur, donnant par amour pour nous, sa vie pour le salut de tous. Lorsque nous regardons le Christ innocent prenant sur lui le péché du monde, nous le voyons, par amour pour nous, « se faire péché » c’est-à-dire être identifié aux péchés du monde en mourant sur la croix des coupables. Lui, l’innocent, il a consenti librement à donner sa vie pour des coupables. Son amour pour chacun d’entre nous n’est pas à l’aune de notre perfection personnelle mais à la mesure sans mesure de son amour divin.

Que les membres de l’Église soient pécheurs, cela n’est une surprise pour personne ! À chaque Eucharistie, le prêtre comme les fidèles s’accusent de leurs péchés avant de communier au Corps du Christ. Dans son motu proprio « Porta Fidei », le saint Père parle de l’« l’Église, elle qui enferme des pécheurs dans son propre sein et est à la fois sainte et appelée à se purifier, et poursuit constamment son effort de pénitence et de renouvellement. » [12]

Avant de regarder ce visage de l’Église marqué par le péché, il est bon de contempler notre Église qui est communion des Saints et communauté sanctifiante. Parler de Jésus Christ le Saint qui prend sur Lui le péché de l’humanité, c’est aussi parler de la sainteté dont il est la source et des saints qui forment son Corps. Dans l’Église, je vis avec eux, je m’alimente à la même source ; cet appel à la sainteté nous prend tout entier lorsque nous nous laissons prendre par le Christ.

Comme l’écrit BERNANOS [13] : « Notre Église est l’Église des saints. (…) Pour être un saint (…) qui ne voudrait avoir la force de courir cette admirable aventure ? La sainteté est une aventure, elle est même la seule aventure. Qui l’a une fois compris est entré au cœur de la foi catholique, a senti tressaillir dans sa chair mortelle une autre terreur que celle de la mort, une espérance surhumaine. Notre Église est l’Église des saints. (…) Tout ce grand appareil n’est rien de lui-même, si la charité ne l’anime. »

Cet appel et ce désir de la sainteté, nous le vivons dans la faiblesse de notre humanité. Alors que tous les hommes sont pécheurs, les saints ont de leurs péchés une conscience plus forte mais aussi une expérience de la miséricorde plus grande. Ce sens du péché n’est pas la traduction d’un scrupule moral lié à leur sainteté. C’est la connaissance de l’infinie bonté et perfection de Dieu face à la fragilité humaine, c’est la connaissance de la miséricorde infinie du Seigneur qui vient nous sauver. Le saint n’est pas celui qui ne fait pas de péchés mais celui qui jour après jour s’élance dans les bras miséricordieux du Père et, trébuchant, essaye de vivre de la dignité de l’amour dont il est aimé. Pécheur, il reconnaît comme son frère ou sa sœur son péché ; pécheur pardonné, il ne cesse de rendre grâce pour le Salut en Jésus Christ. « Dans le cas de l’homme puissant rencontrant le faible, le geste peut être de détruire. Celui de Dieu est de surcréer » [14]. Ainsi est la puissante miséricorde et bonté de Dieu devant l’homme. Il ne veut pas la mort du pécheur mais qu’il se convertisse. Si, à l’image des saints, tous les membres du peuple de Dieu se reconnaissent pécheurs ; c’est bien cette condition qui entraîne, chez certains de nos contemporains, un refus de considérer l’Église terrestre dans son identité de Corps du Christ.

Trois attitudes peuvent alors marquer celui qui regarde l’Église de l’extérieur :

Soit cette condition d’être formée de pécheurs lui semblera normale mais il méconnaîtra la sainteté de l’Église en en faisant une organisation parmi d’autres ;

Soit, il en attendra la sainteté et la condamnera pour les péchés de ses membres. Il ne se rendra pas compte qu’en lui renvoyant l’image des péchés de l’homme, il en fait un corps vide dont l’humanité serait exclue.

Il sera alors devant la contradiction paradoxale :

  • soit d’aimer une Église qui ne serait qu’un corps vide de l’humanité en raison de sa culpabilité ;
  • soit d’aimer une Église qui ne serait formée que de coupables. Il nous faut donc résoudre cette contradiction.

Comme je le rappelais tout à l’heure, lorsque nous professons notre foi, nous l’affirmons en Dieu Père, en Jésus Christ (c’est-à-dire « in ») et en l’Esprit Saint. Nous croyons en Dieu mais nous croyons à l’Église. Cette différence de préposition vise à bien faire percevoir que nous ne croyons pas « en l’Église (c’est-à-dire « in »), pour ne pas confondre Dieu et ses œuvres et pour attribuer clairement à la bonté de Dieu tous les dons qu’Il a mis dans son Église » [15]. L’Église n’a pas d’autre lumière que celle du Christ ; elle est « comparable à la lune dont toute la lumière est reflet du soleil ».

Si la lumière du Christ resplendit sur l’Église par la grâce et la charité, dans chaque membre de l’Église coexistent le bien et le mal. L’un et l’autre coexistent dans les membres de l’Église. « N’imaginons donc pas, à la manière des Donatistes, quelque groupements de « parfaits », ou de « saints » prédestinés. L’Église est ici-bas et demeurera jusqu’à la fin une communauté mêlée : froment pris encore dans la paille, arche contenant des animaux purs et des impurs, vaisseau plein de mauvais passagers, qui semblent toujours sur le point de l’entraîner dans un naufrage. Ce n’est pas la justice, aux yeux de Dieu ou des hommes, qui fournit le critère de l’appartenance au Corps mystique, c’est-à-dire à l’Église. » [16]

Si nous en venions à considérer les meilleurs enfants de l’Église, « ils ne sont jamais eux-mêmes qu’en voie de sanctification, et leur sainteté n’est jamais que précaire. (…) C’est pourquoi chaque jour, cette Église que nous sommes doit implorer la force et la pitié de son sauveur ».

En d’autres termes, comme le dit le Concile Vatican II dans sa constitution sur l’Église [17] : « Tandis que le Christ saint, innocent, sans tâche, venu uniquement expier les péchés du peuple, n’a pas connu le péché, l’Église elle, qui renferme des pécheurs dans son propre sein, est donc à la fois sainte et appelée à se purifier, et poursuit constamment son effort de pénitence et de renouvellement. » En tous ses membres « l’ivraie du péché se trouve encore mêlée au bon grain de l’Évangile jusqu’à la fin des temps. L’Église rassemble donc des pécheurs saisis par le Salut du Christ mais toujours en voie de sanctification. » [18] L’Église est « sans péché » mais dans ses membres, elle n’est jamais « sans pécheur ».

Afin de sortir de ce paradoxe, nous pourrions reprendre la méditation du Cardinal JOURNET citée par Jacques MARITAIN dans son livre De l’Église du Christ [19]. Pour lui, « les frontières de l’Église, précises et véritables, ne circonscrivent que ce qui est pur et bon dans ses membres, justes et pécheurs, prenant au-dedans d’elle tout ce qui est saint, même dans les pécheurs, laissant en dehors d’elle tout ce qui est impur, même dans les justes ; c’est en notre propre vie, en notre propre cœur que s’affrontent l’Église et le monde, le Christ et Bélial, la lumière et les ténèbres. Le Christ total, Tête et Corps, est saint dans tous ses membres, pécheurs et justes, attirant à lui toute sainteté, même celle de ses membres pécheurs, rejetant de lui toute impureté, même celle de ses membres justes. » [20] C’est ainsi que l’Épouse du Christ est toute resplendissante, sans tâche ni ride ni rien de tel, mais sainte et immaculée.

Je reprends ces phrases du Cardinal JOURNET : « La frontière de l’Église passe à travers nos propres cœurs » [21] et « L’Église divise en nous le bien et le mal, elle retient le bien et laisse le mal. Ses frontières passent à travers nos cœurs. » [22]

Pour le dire autrement, de même que le Christ sans péché porte le péché du monde en demeurant innocent mais en étant identifié à celui-ci sur la croix (comme le dit saint Paul : il s’est fait péché pour nous) ; de même, l’Église en des frontières invisibles porte, dans sa réalité de Corps du Christ, le péché de ses membres jusqu’à, alors qu’elle en est innocente, être identifiée aux péchés de ses membres. L’Église immaculée est souillée du péché de ses membres comme le Christ sans péché l’est des crachats au jour de sa passion.

Le pardon donne au paralysé de prendre son grabat, de porter son péché par le Christ et l’Église qui le prend sur lui. Les membres de l’Église sont portés dans leurs conditions de pécheurs par la miséricorde du Seigneur qui les libère du péché et leur donne d’être réintégrés dans la communion de toute l’Église, dans la communion du Corps du Christ. Cette expérience nous la faisons à chaque fois que nous recevons le sacrement du pardon. Par l’aveu de nos fautes dans la miséricorde du Seigneur, nous sommes séparés du mal et recréés dans notre dignité de fils de Dieu. Rencontrant l’homme dans sa faiblesse à moitié mort sur le chemin, Dieu, dans sa puissance, ne passe pas sa route en le laissant à sa captivité mais il le prend sur lui pour le conduire par la grâce et la charité qui sont au cœur de la vie de l’Église jusqu’à la rencontre du Père.

3. LA FIGURE DE LA VIERGE MARIE, MÈRE DU CHRIST, MÈRE DE L’ÉGLISE ET MÈRE DES HOMMES

Nous pouvons mieux contempler la sainteté de l’Église et la manière dont l’Esprit Saint nous porte en la « personne de la bienheureuse Vierge Marie. [En elle], l’Église atteint déjà à la perfection qui la fait sans tâche ni ride. En elle, nous contemplons la sainteté de l’Église. Nous qui sommes les fidèles du Christ encore tendus dans nos efforts pour croître en sainteté par la victoire sur le péché ; nous levons les yeux vers Marie : en elle, l’Église est déjà là toute sainte » [23]. Comme nous le rappelle la constitution Lumen Gentium [24], les pères conciliaires « considèrent Marie comme apportant au salut des hommes non pas simplement la coopération d’un instrument passif aux mains de Dieu, mais la liberté de sa foi et de son obéissance. » « Elle avançait dans son pèlerinage de foi, gardant fidèlement l’union avec son Fils jusqu’à la croix. » Au jour de l’Annonciation, elle a consenti à l’appel du Seigneur : « Qu’il me soit fait selon ta parole », « Je suis la servante du Seigneur ». Sous la croix du Christ, elle maintint son « oui » ; cette maternité divine, aujourd’hui encore, se continue dans son intercession et son attention maternelle aux frères de son fils. Marie est donc le modèle dans l’ordre de la foi, de la charité et de la parfaite union au Christ.

La Vierge Marie, dans son « fiat », dans sa charité, dans son union à son Fils est, dans sa sainteté, le modèle de l’Église et en sa personne, « l’Église atteint déjà à la perfection qui la fait sans tâche ni ride. En la contemplant, l’Église devient à son tour une mère, grâce à la parole qu’elle reçoit dans la foi : par la prédication en effet, et par le baptême elle engendre, à une vie nouvelle et immortelle, des fils conçus du Saint Esprit et nés de Dieu. » [25]

Fidèles du Christ, nous sommes encore tendus dans nos efforts pour croître en sainteté par la victoire sur le péché : c’est pourquoi nous levons les yeux vers la Vierge Marie comme modèle qui rayonne sur toute la communauté de l’Église. L’Église en ses membres tend, jours après jours, à se faire semblable à son modèle en progressant dans la foi, l’espérance et la charité, en s’unissant au « oui » de la Vierge Marie pour accomplir en tout la volonté du Père : Que tout homme soit sauvé.

CONCLUSION

L’expérience du baptisé associe en lui la relation à la Paternité de Dieu qui nous appelle à être fils de Dieu par adoption et celle de la maternité de l’Église qui l’enfante à cette condition par la grâce et la charité. En d’autres termes, comme le dit saint Paul :

« Béni soit le Dieu et Père de notre Seigneur Jésus Christ, qui nous a bénis par toutes sortes de bénédictions spirituelles, aux cieux dans le Christ. C’est ainsi qu’il nous a élus en lui, dès avant la fondation du monde, pour être saints et immaculés en sa présence dans l’amour, déterminant par avance que nous serions pour Lui des fils adoptifs par Jésus Christ. »

Ce que le Christ est par nature, nous le sommes par adoption. L’Église sainte se comprend à partir de la vocation de l’homme telle qu’elle nous a été dévoilée en Jésus Christ et par le oui de la Vierge Marie qui nous précède sur ce chemin de l’enfantement à ce que nous sommes dans le dessein du Père.

« En Lui nous trouvons la Rédemption, par son sang, la rémission des fautes selon la richesse de sa grâce, qu’il nous a prodiguée, en toute intelligence et sagesse : il nous a fait connaître le mystère de sa volonté, ce dessein bienveillant qu’il avait formé par avance, pour le réaliser quand les temps seraient accomplis : ramener toutes choses sous un seul Chef, le Christ, les êtres célestes comme les terrestres. »

Notre vie dans l’Église nous donne d’avoir part, par avance, à ce que nous vivrons en plénitude aux derniers temps. Déjà, en ayant part à son Corps ecclésial, nous goûtons à la sainteté de son corps et dans notre condition de pécheur à sa miséricorde et à la rédemption qui porte notre péché nous donnant d’espérer toujours et de rendre grâce pour la victoire du Christ sur le mal et la mort ainsi que pour la puissance de son amour qu’il répand dans notre cœur par le don de l’Esprit Saint.

[1CEC N°748

[2CEC N°750

[3CEC N°748

[4Benoit XVI le 22 février 2007, Discours lors de la rencontre avec les prêtres du diocèse de Rome.

[5Luc 5,17-25

[6Eph 1,22

[7Eph 5,32

[8Eph 5,25-27

[9LG 39

[10Sacrosanctum concilium N°2

[11« Cette Église que j’aime » du Père CONGAR, collection Foi vivante 1968

[12Porta Fidei N°6

[13Dans « Jeanne Relapse et Sainte » DDB 1994

[14Père Theilhard de Chardin cité par Henri de Lubac dans la Foi chrétienne éd. Aubier P.195

[15CEC N° 748

[16Méditations sur l’Eglise, H. de Lubac p.96ss

[17LG N°8

[18CEC 827

[19DDB 1970

[20Théologie de l’Eglise du Cardinal Journet p. 244

[21Nova et vetera 1963 p. 302

[22Théologie de l’Église p. 236

[23CEC 829

[24LG 54

[25LG 64

Conférences de Carême à Notre-Dame de Paris 2013 : “Croire, une chance pour tous”