Allocution de Mgr Vingt-Trois en remerciement à la Remise de la médaille du CRIF de Tours

Hôtel de Ville de Tours – 6 décembre 2006

Monsieur le Ministre,
Monsieur le Maire,
Monsieur le Président du CRIF,
Monsieur le Président du CRIF de la Région Centre,
Monseigneur,
Monsieur le Rabbin,
Mesdames et Messieurs,
Chers Amis,

Quand j’ai été envoyé à Paris, il y a presque deux ans, je ne pensais pas avoir l’occasion de revenir sous les lambris magnifiques de l’Hôtel de Ville de Tours et bénéficier de la cordiale hospitalité de Monsieur Jean Germain.

Je suis d’autant plus reconnaissant au CRIF de la région Centre. À l’honneur qu’il me fait de m’attribuer la première médaille s’ajoute en effet la joie de revoir des visages amis.

Archevêque de Tours, il m’a été donné de vivre réellement des relations habituelles avec la communauté juive de Touraine. Très vite après le 11 septembre 2001, à l’initiative de M. le Pasteur Müller, ces relations se sont développées dans le cadre de rencontres interreligieuses avec les Réformés, les Orthodoxes et les représentants de l’Association des Musulmans d’Indre-et-Loire. Nous avons ainsi progressé dans une meilleure connaissance mutuelle de nos religions et manifesté que les religions vécues dans leur authenticité sont des acteurs de la paix sociale et non un motif de confrontation et de luttes stériles.

Dans ce contexte, je reçois votre médaille comme un signe des relations nouvelles qui se sont établies entre l’Église Catholique et les communautés juives, non seulement à Tours mais plus largement en France et, si vous le permettez, dans le monde.

Je voudrais donc en quelques mots évoquer les grandes lignes du dialogue par lequel se rétablit, je l’espère, notre fraternité perdue.

Après l’horreur de la Shoah, des personnalités juives et des hauts responsables de l’Église catholique comme Jules Isaac et Jean XXIII, se sont rencontrés. Ces rencontres, en gagnant en profondeur, à travers des étapes variées, ont permis que l’Église entre dans une purification de sa mémoire, ainsi que le Pape Jean-Paul II a voulu nommer ce processus, vis-à-vis de son histoire avec le peuple juif. Elles ont rendu possible que se tissent à nouveau, des liens avec les grandes organisations juives nationales et internationales.

Ces retrouvailles ne furent pas faciles, de nombreux obstacles surgirent. Mais chacun des partenaires était déterminé à retrouver le chemin de la fraternité. Nous avons les uns et les autres parcouru ce chemin avec obstination, tout en restant fidèles d’un côté à l’Évangile et à la tradition catholique et de l’autre à la halara et aux différentes traditions qui animent le judaïsme aujourd’hui.

Lorsque le Rabbin Toal invita le Pape Jean-Paul II à la synagogue de Rome, lorsque l’Etat d’Israël invita celui-ci à venir en pèlerinage, des signes furent posés . Par eux, ont été vaincues des réticences séculaires, et s’est ouvert de façon à la fois progressive et spectaculaire un espace de dialogue et de confiance. Chacun des partenaires peut ainsi s’interroger lui-même librement et s’engager dans une fraternité respectueuse des deux traditions. Nous en goûtons, je crois, ce soir, un avant-goût de la joie.

Les responsables du CRIF ainsi que les Grands Rabbins ont joué un rôle considérable dans cette réconciliation.

Que seraient devenue la repentance de Drancy, s’il n’y avait pas eu d’organisations juives françaises pour la recevoir ?

Que seraient devenus les dialogues difficiles concernant le Carmel d’Auschwitz s’il n’y avait pas eu des responsables du CRIF et les Grands Rabbins comme partenaires de la décision qu’il fallait prendre ?

Là où il n’y avait pas de ponts, la Providence a voulu que se lèvent ; à chaque génération depuis la seconde guerre mondiale, des pionniers, conscients de la lourdeur du passé, notamment celle de l’antisémitisme et des souffrances accumulées, , mais conscients aussi du dessein de Dieu qui oblige, les uns et les autres, à tenir bon dans l’ouverture mutuelle.

Les responsables du CRIF furent de ces partenaires. Vous étiez à Drancy, vous étiez présents lors de l’affaire du Carmel d’Auschwitz vous étiez aussi présents, en la personne du Président Roger Cukierman à nos côtés, lors de la célébration des funérailles du Pape Jean-Paul II.

Aujourd’hui, plus que jamais, nous comprenons que nous devons affronter les difficultés du monde au nom même du don de la Loi. Nous le recevons dans des traditions différentes mais il nous rend conscients que c’est au nom même du Créateur que nous devons prendre nos responsabilités face à la violence.

J’encourage, à ce titre, toutes les relations locales entre les diocèses catholiques et les organisations juives. J’en ai éprouvé, j’en éprouve les bienfaits. Ces rencontres régulières ne peuvent que nous amener plus avant dans la réalisation de notre fraternité, et donc dans notre conformité au dessein de Dieu.
Pour ce qui concerne l’Église catholique elle-même, j’appelle de tous mes vœux, comme le faisait le Pape Jean-Paul II lors de sa visite à Mayence : « qu’il y ait un dialogue à l’intérieur de l’Église, entre le Nouveau Testament et l’Ancien Testament. »Il s’agit, en effet, pour nous d’être plus fidèles à l’unité du dessein de Dieu concernant l’humanité entière.

Que notre amitié et notre fraternité retrouvées soient pour chacun une invitation à la Paix avec tous.

Mgr André Vingt-Trois,
archevêque de Paris

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