Conférence “Responsabilité des chrétiens pour le climat et engagement du diocèse de Paris”

Conférence de Mgr Éric de Moulins-Beaufort, évêque auxiliaire de Paris, donnée le 1er septembre 2015 à Notre-Dame de la Croix, à l’occasion de la parution de l’Encyclique du pape François Laudato si’ sur l’écologie, et de la Journée mondiale de prière pour la sauvegarde de la Création.

Ce texte est une version transcrite de la conférence et en garde le caractère oral.

Chers amis, je suis heureux de vous rencontrer ce soir, et je vous remercie d’être nombreux en ce 1er septembre.

Lorsque Laura M. et Elisabeth F. sont venues me venue me voir, il y a quelques mois, c’était pour demander qu’un évêque auxiliaire de Paris participe au jeûne pour le climat en se joignant au groupe qui s’y est associé ici à Notre-Dame-de-la-Croix, depuis quelque temps déjà. Cette thématique s’est un peu élargie avec la parution de l’encyclique et aussi avec la décision du Pape François que désormais le 1er septembre serait un jour de prière pour la sauvegarde de la création.

Vous savez que cette date, le pape ne l’a pas complètement choisie lui-même ; en fait, ce sont les Orthodoxes. Le patriarcat de Constantinople, depuis plusieurs années déjà, célèbre un temps de prière pour la création le 1er septembre, date qui marque pour les orthodoxes le commencement de l’année liturgique. Le pape François a voulu se joindre à ce geste des Orthodoxes, sur la suggestion du Métropolite Jean de Pergame qui avait formulé le vœu que tous les chrétiens s’unissent dans cette intention de prière alors qu’il représentait le Patriarcat de Constantinople à la présentation de l’encyclique Laudato Si’. La Communion anglicane aussi a décidé de s’associer à cette démarche. Cela nous donne un lustre inattendu à cette soirée qui prend une portée œcuménique !

Merci à vous tous d’être venus et de prendre au sérieux cette invitation du pape. Mais auparavant déjà il y avait l’invitation que plusieurs personnes à travers le monde avaient lancée, depuis quelque temps à prendre au sérieux, y compris spirituellement, la question du climat et de l’avenir de notre planète et du cosmos. Je crois qu’il y a un enjeu immense et extrêmement stimulant à ce que l’homme prenne davantage conscience de sa responsabilité à l’égard du cosmos et de tout ce qu’il en reçoit.

Introduction

En introduction, une première remarque : le pape utilise très peu ce qui serait un ressort facile, le ressort catastrophiste. Une certaine rhétorique s’est développée autour de ces questions du climat, du développement durable, qui joue des variations sur le thème de la catastrophe finale. On a signalé l’épuisement des ressources. Dans un certain nombre de domaines, cet épuisement des ressources est évident : le pétrole, même si on en redécouvre des gisements nouveaux et si on acquiert des capacités nouvelles d’exploitation, n’est quand même pas inépuisable sur notre planète ; le gaz naturel non plus vraisemblablement, toutes sortes de métaux non plus ne le sont pas. De fait, une certaine responsabilité à l’égard de la quantité des ressources sur la terre laissée aux générations à venir, s’impose à nous. Nous ne pouvons pas nous contenter de dire : « après nous, le déluge » – c’est le cas de le dire. « Les générations à venir s’occuperont de trouver des ressources, nous, nous continuons de consommer abondement sans réfléchir, quitte à courir le risque d’épuiser ces ressources ». Mais je veux souligner au point de départ, que le pape utilise assez peu la menace de l’implosion ou de l’explosion de la planète terre.

En revanche, le pape fait porter l’accent sur notre responsabilité d’êtres humains les uns à l’égard des autres. Cette encyclique est certes une encyclique écologique mais, comme vous le savez - cela a été souligné par tous les commentateurs, et je suppose qu’un certain nombre d’entre vous ont déjà lu cette encyclique et l’ont remarqué d’eux-mêmes – le pape est très attentif à lier la question écologique et la question sociale. Pour lui, avant tout, l’enjeu est la responsabilité des hommes les uns à l’égard des autres et en particulier la responsabilité à l’égard des plus pauvres des hommes. Tout ce que nous pouvons repérer, en effet, des conséquences du changement climatique ou de l’épuisement des ressources ou de la difficulté de l’accès à l’eau, etc. va frapper avant tout les populations qui sont déjà les plus pauvres sur cette planète.

Nous, Français, avons la chance de vivre dans un pays à climat tempéré, avec une certaine variété de climats, un espace riche qui est capable de nous fournir beaucoup d’éléments pour notre vie comme très peu de peuples en ont. Certes nous n’avons pas de pétrole, mais nous avons de quoi nous assurer une enviable qualité de vie. L’augmentation de 1 ou 2 degrés de la température mondiale ne changera pas grand-chose pour nous : on aura plus chaud, mais on devrait faire face. Au sommet du Puy de Sancy, cela ne devrait pas être si dramatique que cela pour l’homme… Le pape nous invite à élargir notre conscience au sort, à l’avenir, de toute sorte d’autres populations humaines, d’autres peuples, qui déjà vivent dans des conditions difficiles et qui vont se retrouver dans des conditions encore plus difficiles.

Dans ces questions de développement, d’écologie, du changement du mode de vie, le plus stimulant, à mon estime, est que chaque être humain apprenne à ne pas se concevoir comme un individu isolé, seul et qui doit se débrouiller comme il peut sur cette planète, mais comme relié à d’autres, bénéficiant ce que d’autres ont produit par leur travail, ont créé comme cadre de vie, imaginé comme solutions pour faire face aux besoins humains, et reliés à tous ceux qui l’entourent et à tous ceux qui viennent après nous. Il me semble qu’il y a là un élargissement possible de notre conscience d’êtres humains.

Nous savons tous que nous sommes reliés à tous les êtres humains, mais souvent ce lien reste très abstrait. Là, nous touchons des réalités qui nous relient extrêmement concrètement. Nous pouvons réaliser que nous sommes vraiment responsables chacun de tous. Ce n’est pas un poids qui doit nous écraser ou nous effrayer, mais cela doit plutôt nous réjouir parce que cela fait ressortir notre dignité, en termes chrétiens, notre dignité d’être créés à l’image et à la ressemblance de Dieu. En tout cas, c’est cela, je crois, le principal moteur de tout le texte du pape : la responsabilité des êtres humains les uns à l’égard des autres et donc l’approfondissement de notre condition de créature. Chacun de nous est capable de se réjouir du cosmos et de la présence des autres, nous pouvons apprendre à nous réjouir d’avoir à partager ces richesses du cosmos avec beaucoup d’autres.

La tentation première que nous affrontons consiste à essayer d’accaparer pour soi la plus grande part, le maximum des ressources qui passent à notre portée parce que nous ne pouvons être sûrs que les autres nous en laisseront une part. L’encyclique nous appelle à une grande conversion : nous sommes invités à nous réjouir d’avoir à partager avec beaucoup d’autres les richesses de cette planète en faisant confiance que les ressources du cosmos et l’ingéniosité humaine peuvent permettre à beaucoup d’hommes et de femmes de vivre, et de vivre longtemps, du moment que chacun fait les efforts qu’il faut.

Au jour du jugement – puisque pour nous chrétiens un jour il y a un jugement - ce que nous aurons fait pour exercer concrètement cette responsabilité à l’égard de tous comptera beaucoup parce qu’ainsi se révèlera ce que nous aurons fait, ou pas fait, « au plus petit d’entre les miens » [1] de Jésus.

Cette remarque initiale faite, mon propos est double, c’est le cahier des charges que j’ai reçu : vous proposer une lecture de l’encyclique et vous dire ce que le diocèse de Paris va faire concrètement pour essayer d’aider à la mise en œuvre de cette encyclique et dans la perspective de la COP 21.

Comme lecture de l’encyclique – je ne vais pas vous faire une lecture chapitre par chapitre : c’est un texte relativement lisible, certainement plus lisible que bien des encycliques de beaucoup de papes car il parle de sujets très concrets – je voudrais plutôt essayer de repérer quatre attitudes à laquelle le pape nous invite.

L’émerveillement

La première de ces attitudes, c’est l’émerveillement. Le pape nous invite à renouveler sans cesse un regard d’émerveillement sur le cosmos, sur le cosmos habité par les êtres humains que nous sommes, si nombreux soient-ils. Il y a des tas de citations possibles, j’en glane quelques-unes : § 12 : « Le monde est plus qu’un problème à résoudre, il est un mystère joyeux que nous contemplons dans la joie et dans la louange. ». On peut vivre toutes ces questions de développement et d’écologie stimulé par la peur, la peur de manquer, la peur de voir tout se détruire. Essayons que notre premier moteur soit l’émerveillement devant la richesse, la variété, les ressources qui nous sont offertes. Ne soyons pas seulement accablés par les problèmes, mais sachons nous réjouir.

Une phrase encore plus significative au § 77 : « Chaque créature est l’objet de la tendresse du Père, qui lui donne une place dans le monde. Même la vie éphémère de l’être le plus insignifiant est l’objet de son amour, et, en ces peu de secondes de son existence, [Dieu] l’entoure de son affection. ». Cette phrase nous donne une sorte de spiritualité possible de notre regard sur le monde qui nous entoure, en particulier sur la variété des êtres vivants. Quand le pape parle des êtres qui vivent quelques instants à peine, il pense à certains insectes. On peut aussi regarder, à partir de là, un être humain qui vivrait très peu de temps d’années, ou même de jours. Nous, chrétiens, nous osons regarder tout être vivant, tout objet de ce cosmos, porté par la tendresse du Père et nous disant quelque chose de la bonté de Dieu. Entrer profondément dans cette attitude demande un certain changement de notre regard, ou en tout cas, demande que nous veillions à garder toujours ce regard émerveillé.

De cela, le pape tire, un peu plus loin, § 84 : « Tout l’univers matériel est un langage de l’amour de Dieu ». À travers le cosmos qui nous entoure, nous pouvons reconnaître quelque chose de l’amour de Dieu pour nous, de l’amour de Dieu pour les hommes, et, en particulier, nous pouvons reconnaître la confiance qu’il nous fait parce qu’il nous donne une certaine responsabilité à l’égard de tous ces êtres.

Nous, hommes du XXIe siècle, par rapport à beaucoup de nos prédécesseurs dans l’histoire de l’humanité, faisons l’expérience de notre incroyable emprise sur l’univers. L’homme du néolithique essayait péniblement de tirer de la nature hostile, agressive, dont il ne savait pas bien se servir, de quoi survivre. Nous, hommes du XXIe siècle, avons rempli la planète de notre présence, nous l’avons remplie des objets que nous avons construits nous-mêmes, nous vivons très souvent en ne voyant presque que la trace de notre présence. Il est difficile de trouver aujourd’hui un lieu où notre regard n’est pas arrêté par une production humaine. Pendant des millénaires, on a pu se promener dans des forêts, des déserts, sans rencontrer de constructions des hommes. Aujourd’hui, c’est extrêmement difficile. Nous ne pouvons nulle part nous dire : « je suis le premier homme à arriver ici » sur cette planète. Sur Mars, sans doute, mais sur cette planète, c’est fini, et c’est une expérience à vivre. La planète est remplie de nous, humains, et notre emprise sur notre planète, sur les êtres vivants ou non, est considérable. Y compris dans le cosmos : si nous nous promenions dans l’espace autour de notre planète nous vérifierions qu’il est encombré d’objets de toutes sortes que nous y avons laissés. Je ne parle même pas des dégâts que nous pouvons occasionner. En tout cas, partout, la présence humaine est perceptible comme jamais. C’est l’aboutissement d’une très longue histoire et cela modifie certainement beaucoup de notre compréhension, de ce que nous sommes comme hommes au milieu du cosmos. Précisément, à cause de cela, il est très important que nous cultivions un regard d’émerveillement, que nous ne regardions pas le cosmos uniquement comme un ensemble de ressources pour nous nourrir, pour nous protéger, pour nous procurer du confort, pour nous procurer des sensations, fussent-elles esthétiques, selon la gamme la plus large. Il faut que nous apprenions un émerveillement plus gratuit. Il y a là certainement une grande responsabilité à l’égard des jeunes générations et de leur éducation. Comment peut-on regarder des animaux, des plantes, pour la joie de les regarder ? Avant même d’être très savants, de les ranger dans un livre, de les classer dans toutes sortes de systèmes, commençons par nous émerveiller tout simplement.

Croire que nous pouvons changer quelque chose

Deuxième attitude à laquelle le pape nous invite, qui est le cœur de ce qu’il veut obtenir de nous tous : croire que nous pouvons changer quelque chose. C’est un point sur lequel le pape insiste régulièrement, tout au long de ce texte. Nous pouvons changer quelque chose ; il n’est pas trop tard pour changer quelque chose. Le pape ose même dire qu’il n’est jamais trop tard pour changer quelque chose, que, par conséquent, il vaut la peine de faire des efforts. C’est ce qu’ont bien compris ceux qui ont pris l’initiative du jeûne pour le climat. Et le pape n’hésite pas à donner un fondement théologique à cette conviction. Par exemple, au § 13, il écrit : « Nous savons que les choses peuvent changer. Le Créateur ne nous abandonne pas, jamais il ne fait marche arrière dans son projet d’amour, il ne se repent pas de nous avoir créés. », ou par exemple au § 53 : « Nous n’avons jamais autant maltraité ni fait de mal à notre maison commune qu’en ces deux derniers siècles. Mais nous sommes appelés à être les instruments de Dieu le Père pour que notre planète soit ce qu’il a rêvé en la créant ». Et au § 61 : « L’espérance nous invite à reconnaître qu’il y a toujours une voie de sortie, que nous pouvons toujours repréciser le cap, que nous pouvons toujours faire quelque chose pour résoudre les problèmes. ».

On pourrait dire qu’il y a de la part du pape François une sorte de volontarisme de principe qui permet d’affirmer qu’il est toujours temps de faire quelque chose. Même si, pour toutes sortes de réalités, c’est trop tard, malgré tout, ce qui reste à faire mérite qu’on s’y consacre. Ce n’est pas parce que nous sommes sur des rails que nous ne pouvons pas les faire obliquer, légèrement ou de manière plus marquée. Nous les hommes, nous avons une certaine maîtrise de notre destinée. Et nous l’avons, pour le pape François, parce que Dieu nous la donne, parce que Dieu nous l’assure, parce que Dieu agit – d’une manière que précisément nous ne percevons pas puisqu’il agit à travers nous – mais il agit pour que nous soyons maîtres de notre destinée. Nous ne pouvons jamais nous dire : « C’est trop tard, c’est fichu, laissons-nous aller, le train court vers le précipice. Eh bien tant pis, profitons-en, au moins on aura eu du bon temps ». Il est toujours temps de faire quelque chose et cela vaut la peine de faire quelque chose et d’infléchir ce cours. Dans cette perspective, le pape insiste sur le fait que l’action de chacun d’entre nous, de chaque être humain, est indispensable.

Accepter d’être responsable

C’est donc la troisième attitude, intimement liée à la seconde : il nous faut accepter d’être responsables. Il ne suffit pas de dire : « C’est l’affaire des hommes d’État, ou c’est l’affaire des grands industriels : ils discutent, ils négocient, ils n’y arrivent pas, ce sont des méchants, ils sont prisonniers de l’esprit du lucre ou bien ils sont prisonniers du paradigme technico-financier » – je vais y venir. Nous tous, chacun de nous – le pape en tout cas nous y exhorte – doit accepter d’être responsable. Si mon action à moi est microscopique, puisque ce n’est que la mienne, le pape veut nous assurer que cette action microscopique a une portée macroscopique.

Le pape y insiste à tout bout de champ, je prends par exemple le § 14 : « Beaucoup d’efforts pour chercher des solutions concrètes à la crise environnementale échouent souvent, non seulement à cause de l’opposition des puissants, mais aussi par manque d’intérêt de la part des autres. ». Les puissants vont se réunir à Paris pour la COP21 – ou plutôt au Bourget (ce qui n’est pas dans Paris) – ils vont faire ce qu’ils ont à faire, ils vont négocier s’ils en sont capables, ils y arriveront plus ou moins. Mais en réalité, tout ce qu’ils décideront, ou ce qu’ils ne décideront pas, n’aura d’effet que si tout le monde se mobilise, si nous tous changeons quelque chose à nos vies. Les puissants peuvent décider que l’on va limiter la production de CO2 pour que la hausse de la température ne dépasse pas 2°C à l’horizon de 2020, mais en réalité cela ne se fera que si nous, nous faisons chacun quelque chose et si nous acceptons des changements dans nos modes de vie. Que les grandes entreprises modifient légèrement ou fondamentalement leur manière de faire ne transformera pas les choses, notre façon de vivre à chacun est en cause.

Mais là encore, ce que je trouve important, c’est que le pape François présente cela de manière positive. Nous devons nous réjouir d’être responsables. Accepter d’être responsable, ce n’est pas se sentir accablé par un défi que l’on n’est pas capable de relever, d’autant plus que l’on risque d’avoir à en rendre compte devant Dieu, mais plutôt se réjouir d’être un être humain, créé à l’image et à la ressemblance de Dieu dont tout ce qu’il fait a du poids. Et même si ce n’est qu’un petit poids, ce poids n’est pas négligeable. Et nous devons oser croire à cela et nous engager de cette façon.

Cette responsabilité, le pape la souligne à l’égard des plus pauvres, je l’ai dit en introduction. Les populations pauvres sont dans des conditions géographiques moins favorables que nous ne le sommes. Cette responsabilité s’exerce aussi à l’égard des générations à venir, nos enfants, nos petits-enfants, nos arrière-petits-enfants. C’est pour cela que la manière dont nous, êtres humains du XXIe siècle, allons transformer un peu ou beaucoup leur mode de vie, aura des conséquences sur le cadre de vie dont hériteront les générations à venir.

Cette responsabilité, il nous faut accepter de la porter, dit le Pape, dès le commencement de notre action. C’est-à-dire – et c’est sans doute le point sur lequel il va nous falloir travailler activement pendant des années – que la préoccupation environnementale est souvent pour nous une préoccupation dernière. Quand nous avons un peu de temps, quand nous avons organisé les choses, quand nous avons travaillé, que nous nous sommes nourris, habillés, etc., nous avons un peu de loisir mental pour nous poser des questions environnementales. La transformation à vivre c’est que cette préoccupation environnementale, aux prises avec la solidarité de l’ensemble de l’humanité, présente et à venir, et l’ensemble du cosmos, s’exerce dès le commencement de notre action. Il faut accepter qu’à l’origine de nos choix, nous nous demandions quelle portée environnementale ce que nous allons faire aura, pour l’environnement global et pour les pauvres. Ce n’est pas seulement une préoccupation de loisir, de week-end ou de l’été quand on se promène dans un beau paysage et que l’on fait attention à ne pas jeter de papier – même si ceci est extrêmement nécessaire. (J’ai eu l’occasion de me promener, comme vous tous je pense, cet été, et je suis impressionné par la quantité de papiers, de bouteilles en plastique, de bouchons de bouteilles, – puisque maintenant on ne peut plus faire 100 mètres sans avoir une bouteille d’eau, dans sa poche ou dans son sac –, on trouve dans des endroits où on ne voit pas vraiment pourquoi ils sont là. Mettre un bouchon dans sa poche n’est pourtant pas un fardeau insupportable). Il faut absolument faire ce genre d’effort. Cela ne concerne pas uniquement l’été : si nous nous comportons mal quand nous nous promenons dans de beaux paysages, c’est peut-être parce que nous ne nous comportons pas si bien que cela dans notre vie ordinaire à Paris, dans notre ville. Comment faisons-nous attention, le pape évoque cela, à ce que nous laissons comme trace de notre passage sur cette terre ?

Notre manière de penser

Quatrième attitude à laquelle le pape nous invite, être lucides sur le conditionnement de nos manières de penser. Cela me paraît être une thématique très forte du pape François. Il me semble qu’il a essayé de préciser un discours qu’il tient depuis le début de son pontificat et certainement depuis longtemps dans sa réflexion privée. Je vous lis une phrase § 108 : « Aujourd’hui le paradigme technocratique est devenu tellement dominant qu’il est très difficile de faire abstraction de ses ressources, et il est encore plus difficile de les utiliser sans être dominé par leur logique. ». Le pape François est un jésuite, donc il est un peu intellectuel quoi qu’il en ait, et il aime beaucoup le mot paradigme. « Paradigme » veut dire : « modèle de pensée ». Nous avons un modèle de pensée, tous, qui est façonné par une vision technocratique. Que nous le voulions ou non, nous sommes tous plus ou moins façonnés par cette manière-là de penser, de regarder l’univers qui nous entoure, notre relation avec les autres hommes, avec les êtres vivants et avec le cosmos. Le Pape le reconnaît : ce paradigme technocratique offre beaucoup de ressources. Grâce à lui, à cette manière de penser, nous avons en Occident, à partir de la fin du XIXe siècle, créé un fonctionnement économique et social qui fait que nos pays ne connaissent plus de famine. Jusqu’à la Révolution française et même un peu après, même un pays comme la France a connu des famines ou des disettes. Ce qui est devenu le paradigme technico-financier a permis d’introduire de la rationalité dans l’agriculture grâce à quoi nos pays ne connaissent plus la famine et la disette. Et c’est un grand bienfait. Nous pouvons affirmer qu’à partir des ressources que nous procure la technique, appliquée à l’agriculture, à l’élevage, à l’industrie, on peut faire vivre des milliards d’êtres humains. Le pape n’a pas qu’une vision négative de ce paradigme. Il sait bien qu’il offre d’immenses ressources et qu’il procure aux peuples riches, favorisés, une situation extrêmement enviable. Jamais les hommes n’ont vécu une situation aussi aisée que nous, Occidentaux du XXIe siècle. Ce qui était réservé pendant des siècles à une élite sociale est très largement partagé par tout le monde. C’est-à-dire manger à sa faim, manger de la viande quand on en a envie, manger des fruits variés, avoir chaud en hiver, avoir frais en été. Pendant longtemps, même pour les plus riches, la seule solution pour avoir frais en été, c’était d’agiter des éventails. Une particularité de l’éventail, c’est qu’en même temps, vous ne pouvez pas travailler, vous ne pouvez pas bêcher. Pour agiter un éventail, il faut qu’il y ait quelqu’un qui bêche à votre place. Et quand on est un peu plus riche, il y a quelqu’un qui agite l’éventail à votre place, ce qui permet de ne pas bêcher mais de lire tranquillement et de réfléchir… Nous avons inventé la climatisation qui permet de vivre au frais, ou le ventilateur d’avoir frais en été. Et nous avons du mal à imaginer de renoncer à cela.

Le pape souligne que tous, même ceux qui parmi nous sont les plus militants de l’écologie, nous sommes tous marqués par ce paradigme. Le problème est qu’il est tellement puissant, il est tellement efficace, que nous n’arrivons plus à penser en dehors de lui. Nous n’arrivons plus à imaginer de vivre en dehors des ressources, des biens qu’il nous propose. Or il y a d’autres manières de vivre qui sont meilleures pour une raison très simple : elles sont partageables.

Aujourd’hui, certains doutent du réchauffement climatique, certains plus encore doutent qu’il soit dû à l’action de l’homme. Soit. En revanche, il est certain que notre mode de vie à nous occidentaux, n’est pas extensible à la totalité de l’humanité. Cette seule raison est suffisante, devrait être suffisante, pour que nous acceptions d’essayer de réfléchir autrement à nous-mêmes, à notre relation aux autres, à la manière dont nous construisons notre confort. Ce sont des représentations : nous nous représentons notre confort comme nous nous le représentons, mais on pourrait tout à fait essayer de développer une autre idée, une autre compréhension de ce confort qui soit plus humaine parce qu’elle serait davantage partageable, parce qu’il serait possible à beaucoup plus, voire à tous, d’y avoir part.

Cette lucidité sur le conditionnement de notre manière de penser, le pape insiste sur le fait que, nous chrétiens, nous sommes très armés pour l’acquérir. Notre foi nous amène à vivre selon une certaine sobriété. On ne peut pas à la fois croire en la vie éternelle et se griser de consommation perpétuelle. Nous le savons bien. Je pense que beaucoup de chrétiens, en raison de leur foi, essaient d’avoir un mode de vie relativement maîtrisé, chacun mettant la barre où il veut. Je suppose que dans un tas de famille, on essaie de ne pas changer de vêtements tous les deux mois, seulement parce qu’on les a portés deux mois. On essaie d’apprendre aux enfants qu’on n’est pas obligé de changer d’ordinateur tous les ans. On fait comme on peut pour résister à une pression constante. De l’autre côté, nous subissons la forte pression de tout un système économico-social qui pousse à la consommation et pour pousser à la consommation, pousse au remplacement accéléré de tous les produits. Nous sommes tous à la fois victimes et bénéficiaires de ce vaste système. Nous chrétiens, nous avons un certain nombre de ressources spirituelles pour être un peu lucides et essayer de trouver notre jouissance dans d’autres relations.

Le pape écrit par exemple § 222 : « C’est un retour à la simplicité qui nous permet de nous arrêter pour apprécier ce qui est petit, pour remercier des possibilités que la vie offre, sans nous attacher à ce que nous avons ni nous attrister de ce que nous ne possédons pas. ». Plus loin § 223 : « Ceux qui jouissent plus et vivent mieux chaque moment, sont ceux qui cessent de picorer ici et là en cherchant toujours ce qu’ils n’ont pas, et qui font l’expérience de ce qu’est valoriser chaque personne et chaque chose, en apprenant à entrer en contact et en sachant jouir des choses les plus simples. ».

Conclusion

Quatre grandes attitudes que le Pape nous invite à essayer d’accueillir et dans lesquelles il nous invite à progresser : s’émerveiller, croire que l’on peut changer quelque chose, accepter d’être responsable et être lucide par rapport à notre conditionnement, à notre mode de pensée. Ce n’est pas parce que, moi, je suis gentil et que j’ai l’esprit ouvert, que je suis indemne de cette manière de penser, et que cette manière de penser qui permet de prendre en compte la totalité de l’humanité et du cosmos serait simplement le fait des autres. Non, moi aussi, j’en suis partie prenante, moi aussi il faut que je fasse un effort pour consentir à me priver de certains comportements, à renoncer à certaines manières de faire qui jusque-là m’apparaissaient comme m’apporter un confort légitime. Moi, j’ai aussi des choses à changer.

Dans le diocèse de Paris

Je voudrais maintenant vous décrire brièvement ce que le diocèse de Paris compte faire à la fois pour lui-même et pour mettre en œuvre l’encyclique Laudato si’.

Il y a deux niveaux d’action.

Depuis 2 ou 3 ans, on essaie de réfléchir à la perspective de la Conférence des parties, la COP 21, cette réunion organisée sous l’égide des Nations Unies, des États, des entreprises pour essayer de prendre des décisions susceptibles de limiter ou de ralentir le réchauffement climatique avec toutes ses conséquences.

Pour vous dire les choses très ouvertement, les autorités même de l’État, de la République, ont demandé depuis 2 ans à l’Église catholique et aux différentes religions en France de prendre au sérieux cette COP 21 et d’agir pour que cela soit un succès. Nos responsables politiques ont réalisé qu’il est difficile d’intéresser les populations là-dessus, qu’il est difficile de mobiliser les énergies. Ils sont tout à fait conscients qu’il ne suffira pas que les chefs d’État prennent des décisions. Il faut que le maximum de population humaine intériorise les enjeux et consente à changer un peu ou beaucoup son mode de vie. Nos hommes politiques se sentent assez peu armés pour agir sur les consciences – et c’est d’ailleurs très bien comme ça. Donc, ils ont exprimé à plusieurs reprises qu’ils attendaient beaucoup des religions pour faire cela. Je suppose que c’est parce qu’ils croient beaucoup à la force de la prière, ils ont raison. J’espère que cela n’est pas parce qu’ils s’imaginent qu’il suffit que l’évêque dise : « Désormais, on fera du tri sélectif » pour que tous les catholiques disent « oui » comme un seul homme et fassent du tri sélectif du mieux possible – il y a plus de liberté quand même ! Grâce à Dieu, l’Église ne fonctionne pas ainsi, nous le savons bien. Cependant, nous avons une certaine capacité à réfléchir, et surtout je crois que nous avons la chance de pouvoir donner des motivations profondes. Chercher des motivations profondes de ce changement, c’est ce que je tire de la lecture de l’encyclique, pas seulement, pas premièrement la peur des catastrophes qui peuvent arriver, mais la joie d’être des êtres à l’image de Dieu, responsables les uns des autres, avec toutes les conséquences de cette joie-là.

En vue de cette conférence, à Paris, il nous a paru utile d’ouvrir une réflexion. Il ne faut pas se faire d’illusion, beaucoup de catholiques participent comme les autres au paradigme technico-financier et eux aussi ont profité de cette croissance que le développement de la technique et de la technologie nous a permis d’atteindre, et eux aussi vivent de tous les bénéfices que nous avons acquis depuis la seconde guerre mondiale avec l’extension de ce modèle de société de consommation qui nous permet de vivre dans les conditions qui sont les nôtres aujourd’hui. Donc les catholiques ont aussi besoin d’être convaincus qu’il y a quelque chose à faire, encore une fois, quelques soient les théories scientifiques que l’on peut toujours discuter, car toutes les théories sont discutables. Mais quelques soient les théories scientifiques, il est évident, il est clair que jamais l’humanité n’a été si nombreuse et la planète si remplie d’êtres humains. Puisque nous, catholiques, ne voulons pas voir cela comme une catastrophe, mais plutôt comme une chance, comme une raison de nous réjouir, il faut aussi que nous acceptions que cela ait des conséquences sur notre manière de vivre, notre relation aux autres êtres vivants et au cosmos.

Donc nous aurons, à Paris, au Collège des Bernardins, le 29 octobre, et puis les 17, 24 novembre et le 1er décembre, une série de conférences. La première sera une table-ronde organisée en lien avec la COMECE : Madame Connie Hedegaard, qui fut commissaire européen, et le cardinal Reinhard Marx, archevêque de Munich, viendront dialoguer sur ces sujets au Collège des Bernardins.

Ensuite, il y a une série de conférences, le 17, 24 novembre et le 1er décembre. Le 17 novembre, le cardinal Angelo Scola, archevêque de Milan, viendra nous parler du Christ « Tête de l’univers ». Le 24 novembre, Mgr Nicholas Holtam, évêque anglican de Salisbury, qui est le spécialiste anglican de ces questions d’écologie, viendra nous parler de « La nature et de l’homme à l’image de Dieu ». Et le 1er décembre, le patriarche Bartholomée, dessinera « Une spiritualité de l’écologie ».

Le 7 décembre, une table-ronde inter-religieuse rassemblera avec le cardinal André Vingt-Trois, Matthieu Ricard, moine bouddhiste, le rabbin Haïm Korsia, grand-rabbin de France, et monsieur Abdennour Bidar, philosophe et spécialiste de l’islam et qui s’occupe de l’émission musulmane sur France Culture.

Au départ, l’idée était de mobiliser des chrétiens pour qu’ils réfléchissent et qu’ils nous donnent des éléments de réflexion à partir de notre foi chrétienne, sur les enjeux écologiques. Et de cela est venue naturellement l’idée qu’il fallait associer les autres religions et les associer dans une conférence plus institutionnelle.

L’idée est de nourrir notre réflexion et notre raison. Travailler la raison de tous ceux qui voudront bien écouter cela en commençant par les catholiques. Toujours pour la COP 21, mais d’une manière un peu plus large, les évêques d’Île-de-France célébreront une messe à Notre-Dame de Paris le 22 novembre pour prier précisément pour tous ceux qui vont se réunir, pour que cette rencontre se fasse en paix, qu’elle soit fructueuse.

Le 29 novembre aura lieu la grande marche, qui n’est pas spécifiquement chrétienne, dont on vous a parlé.

Il y aura aussi le 3 décembre un temps de prière œcuménique à Notre-Dame de Paris.

Enfin, pendant la durée de la COP21, il y aura dans les églises de Paris, à Saint-Merry, à Saint-Denys de la Chapelle, à Saint-Ignace, à Saint-Honoré d’Eylau et à Saint-Pierre de Montrouge des veillées de prière organisées. L’idée est d’accompagner cette période intense. Il y aura beaucoup de monde dans Paris, alors que par ailleurs, les Parisiens seront occupés à préparer leurs cadeaux de Noël, et les élèves à subir les contrôles de fin du premier trimestre. Tout le monde sera bien occupé, mais il nous a paru important de pouvoir offrir des temps de prière, des lieux de méditation, d’apaisement. Il sera utile de demander encore et toujours à Dieu d’éclairer les esprits et les cœurs, que l’Esprit-Saint vienne susciter des décisions, des générosités nécessaires. Il y aura bien d’autres choses que vous découvrirez progressivement.

Pour la mise en œuvre de l’encyclique, nous avons édité un carnet proposant une réflexion à mener en famille, en petits groupes, à l’échelle de la paroisse sur des gestes concrets. Ce carnet s’adresse aux familles, aux ménages, aux célibataires. L’idée est de tirer un certain nombre de thématiques de l’encyclique, et d’inviter à réfléchir à la manière dont chacun se loge, se chauffe, se nourrit, s’habille, se transporter etc. en proposant des gestes simples et peu engageants, ou des gestes plus engageants.

Va paraître aussi un guide de lecture de l’encyclique, dont le but est de favoriser la lecture de l’encyclique. Et enfin un ouvrage rassemblant des réactions à l’encyclique de personnalités très diverses, des chrétiens, des non-chrétiens, certains parlant au nom de leur foi et d’autres au nom de leurs compétences techniques.

Tout cela, le diocèse de Paris le fait parce que ce qui est estampillé par le diocèse peut rejoindre et convaincre plus directement tel ou tel paroissien qui veut s’y intéresser. Mais des tas de maisons d’éditions, de groupes ou de communautés réfléchissent à des outils de ce genre. Il vaut la peine de se procurer quelques-uns de ces outils et de réfléchir concrètement à ce qui peut changer notre mode de vie.

La COP 21 produira les effets qu’elle peut produire, mais la transformation de notre mode de vie pour la sauvegarde de notre maison commune, comme dit le pape, c’est un travail qui durera aussi longtemps que l’humanité.

Merci de votre attention et, plus encore, de votre engagement aux uns et aux autres, et aussi pour ce que vous ferez pour diffuser l’esprit que le pape essaie d’insuffler grâce à son encyclique.

 Lire l’encyclique Laudato si’ du pape François.

Écologie : notre responsabilité commune envers l’humanité

Autour de Laudato si’