Encyclique : l’urgence d’une conversion écologique
Paris Notre-Dame du 2 juillet 2015
Dans sa lettre encyclique, publiée le 18 juin, le pape François lance à tous les hommes, catholiques ou non, un cri d’alarme sur la dégradation de la Terre, « notre maison commune », tout en gardant un regard d’espérance. Laudato Si’ (Loué sois-tu) entremêle réflexion théologique et philosophique, critique virulente du fonctionnement de nos sociétés modernes, méditation spirituelle et propositions concrètes. Éclairage avec trois catholiques, experts des questions environnementales.
Extraits de Laudato Si’ du Pape François [1]
« “Laudato si’, mi’ Signore”, - “Loué sois-tu, mon Seigneur”, chantait saint François d’Assise. Dans ce beau cantique, il nous rappelait que notre maison commune est aussi comme une sœur, avec laquelle nous partageons l’existence, et comme une mère, belle, qui nous accueille à bras ouverts. (…) Cette sœur crie en raison des dégâts que nous lui causons par l’utilisation irresponsable et par l’abus des biens que Dieu a déposés en elle. Nous avons grandi en pensant que nous étions ses propriétaires et ses dominateurs, autorisés à l’exploiter. (…) Le défi urgent de sauvegarder notre maison commune inclut la préoccupation d’unir toute la famille humaine dans la recherche d’un développement durable et intégral. »
Père Pascal Roux , vicaire à Ste-Marguerite (11e) et membre depuis quinze ans de l’antenne « Environnement et modes de vie » de Pax Christi France (au service de la Conférence des évêques de France)
« Le cri de la Terre, c’est le cri des pauvres ! »
« C’est un monument doctrinal qui fera sûrement date dans l’histoire de l’Église. Un document très exigeant et pourtant rayonnant de foi, d’amour et d’espérance. Riche des enseignements des papes précédents, il mentionne aussi des travaux de nombreuses conférences épiscopales à travers les continents, ce qui n’est pas courant dans une encyclique. Ce que j’ai aimé et qui tranche avec la quasi-totalité des discours écologiques que j’ai lus depuis vingt ans, c’est que le pape ne sépare jamais le souci de la planète du souci des hommes, en commençant par les plus pauvres. Le cri de la Terre, c’est le cri des pauvres ! Tel pourrait être le résumé de ce texte dense. Le premier chapitre sur l’état de “la maison commune” donne une vision dramatique et culpabilisante de la situation. Certains pourront juger le pape alarmiste. D’autres loueront sa lucidité courageuse. Dans le deuxième chapitre, un excellent résumé de la théologie de la Création, le pape s’inscrit dans la continuité de ses prédécesseurs. Il rappelle que le Christ ressuscité a permis l’achèvement de la Création et que le livre de la Genèse présente l’Homme comme le maître de “ la maison commune”, non pas pour dominer ses habitants, mais pour les servir. Le pape développe aussi sa conception de l’écologie intégrale qui trace le programme d’une immense révolution écologique et anthropologique pour les années à venir. Au-delà des passages plus techniques, mais riches d’une méditation philosophique et théologique, le dernier chapitre parle de la nécessaire conversion écologique et invite à la prière contemplative de l’oeuvre de Dieu, avant de se plonger dans le combat pour la justice et la fraternité. »
Xavier Houot, cadre dirigeant, directeur Environnement d’une entreprise internationale
« Changer l’économie en vue de changer le monde »
« Le pape pointe avec justesse la non durabilité des modèles de surconsommation et nomme l’irresponsabilité de leurs moteurs. Il décrit aussi des forces à l’œuvre au sein de l’entreprise ou de l’administration, faisant émerger des décisions où le prochain et la Terre sont parfois ignorés, le plus souvent par manque d’information (la pollution de la rivière lointaine, les conditions climatiques de la génération d’après, etc.), et plaide pour plus de transparence. L’encyclique critique avec clairvoyance le cynisme de certains programmes de responsabilité sociale d’entreprise (RSE) et rappelle que certaines organisations spolient les ressources naturelles et polluent les écosystèmes, actions nommées comme autant de “péchés”. J’ai apprécié que soit parallèlement reconnu le rôle très “fécond” de nombre d’entreprises, sources de solutions concrètes “au service du bien commun” (efficacité énergétique, technologies propres, énergies renouvelables, modèles collaboratifs, etc.) et pourvoyeuses de travail et de sens. Sur un autre registre, l’encyclique est remarquable en rappelant la nécessaire fraternité entre l’Homme, l’animal et la Terre, “notre soeur” et “mère”. Elle reconnaît aussi le rôle essentiel de l’écologie et des acteurs engagés, en entreprise ou ailleurs. Tout en louant les énergies positives à l’oeuvre, le pape a raison de rappeler que leurs effets sont encore largement contrebalancés par l’augmentation des productions et consommations. Il nous appelle donc, en synthèse, chrétiens ou non, salariés en entreprise ou non, à inventer de nouveaux modèles plus frugaux en ressources et efficaces en énergie, à respecter l’environnement comme on respecte le prochain, pour changer l’économie en vue de changer le monde. »
Thierry Jaccaud, rédacteur en chef de la revue L’Écologiste [2]
« Une encyclique stupéfiante »
« Laudato si’ : quelle surprise extraordinaire ! Voilà une encyclique qui nomme avec une immense empathie l’eau, l’air, la terre, les champignons, mollusques, crabes, reptiles, oiseaux, mammifères, glaciers, récifs coralliens, forêts d’Amazonie ou du Congo, etc. Et qui réaffirme avec la Genèse : “Dieu vit tout ce qu’il avait fait : cela était très bon” (Gn 1, 31). Le pape adresse son encyclique à chacun : et vraiment, voilà un texte majeur qu’il faut lire. On découvrira une synthèse exceptionnelle des causes de la dégradation de “notre maison commune”, la conception du monde à laquelle le pape invite 1,2 milliard de catholiques, ainsi que des propositions concrètes. Pour les catholiques eux-mêmes, le pape précise que, jusqu’à aujourd’hui, beaucoup se moquaient ou étaient indifférents à l’écologie. Il ajoute même : “Ils ont donc besoin d’une conversion écologique” (n° 217) ! Et de souhaiter des “débats sincères et honnêtes” (n° 16). Il y a urgence : le pape reconnaît les symptômes d’un « point de rupture » des écosystèmes (n° 63), la crise climatique comme l’un des principaux défis pour l’humanité (n° 25), les millions de morts causés par la pollution, les plus pauvres étant particulièrement touchés (n° 20). “Tout est lié” : François appelle au respect de la nature de l’homme lui-même, qu’il ne peut manipuler à volonté (n° 155), et à changer une technoscience “mégalomane” et sans finalités (en particulier, n° 101-114). Une encyclique stupéfiante donc, car elle permet d’espérer un réel changement de mentalités à grande échelle. »
Propos recueillis par Céline Marcon
[1] Extraits des paragraphes 1, 2 et 13 de Laudato Si’, Éd. Parole et Silence, version avec un guide de lecture du cardinal Gerhard Müller, préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, 224 p., 4,50€.