Consacrés pour réveiller le monde
Paris Notre-Dame du 24 janvier 2019
« Soyez témoins d’une manière différente de faire, d’agir, de vivre ! Vous pouvez réveiller le monde. » L’appel pressant lancé aux religieuses et religieux par le pape François en 2013 illustre bien le charisme spécifique des ordres religieux au sein de l’Église et du monde. Alors que la Journée mondiale de la Vie consacrée se tient le 2 février prochain, quel rôle ont ces communautés au sein de l’Église ? Et ont-elles toute la place qui leur revient ?
« Le charisme propre des religieux au sein de l’Église ? Je dirais qu’il est de rendre témoignage : non seulement de l’amitié intime qui nous lie au Christ par la prière, mais aussi de la vie fraternelle qui est la nôtre au sein de nos communautés. » Frère carme au sein du couvent des Carmes Déchaux de Paris, F. Anthony-Joseph insiste sur cette dimension d’amitié qui, en liant les frères et sœurs d’une même communauté, les lie au monde. « Sainte Thérèse d’Avila, en introduisant la réforme du Carmel au XVIe siècle, avait insisté sur cette dimension fraternelle, exhortant ses sœurs à être d’abord des amies. » Sr Véronique Margron, présidente de la Conférence des religieux et religieuses de France (Corref) et membre des Sœurs de la Charité dominicaine ne dit pas autre chose quand elle parle de la force que représente la vie commune. « Cette vie n’est pas une vie de famille, car il n’y a ni parents ni enfants, mais elle s’en approche. Vivre ensemble empêche d’être en représentation. En communauté, impossible de se dissimuler ; ici, les frères et les sœurs vous voient tel que vous êtes. Et prendre soin les uns des autres vous lie intimement au monde, plus peut-être que ne le fait la situation de prêtre diocésain. » Autre force propre aux communautés religieuses, cette grande liberté que donne l’absence de trop d’attente de reconnaissance extérieure. « La vie commune, même si elle est loin d’être parfaite, est un lieu d’estime mutuelle, qui ne tient pas à ce que nous réalisons à l’extérieur, mais à ce que nous sommes. Vous y êtes aimé comme membre de la communauté, comme une ou un parmi d’autres », poursuit Sr Véronique. « Cette assise permet d’être moins en attente d’une reconnaissance extérieure que ne pourrait l’être un prêtre au sein d’une paroisse, par exemple. » Ou un laïc en mission ecclésiale. Appartenir à une com- munauté est donc un facteur de liberté intérieure. Toutefois, pas question pour autant de parler d’indé- pendance. Les ordres religieux et les congrégations, s’ils sont autonomes dans leur organisation, ont le devoir de s’insérer dans le tissu diocésain. Et les diocèses ont le devoir de respecter leurs charismes propres, comme le rappelait le pape François dans son discours aux religieux de Rome en mai 2015, année dédiée à la Vie consacrée : « L’unité entre les différents charismes, l’unité du presbyterium, l’unité avec l’évêque… n’est pas facile à trouver : chacun œuvre dans son intérêt, […] cette tendance est humaine. » Évoquant une révision probable de Mutuæ relationes (14 mai 1978), texte traitant des relations entre le religieux et l’évêque, le Saint-Père poursuit : « La relation des religieux avec l’évêque, avec le diocèse et avec les prêtres non-religieux n’est pas facile. Mais il faut s’engager dans le travail commun. […] L’évêque ne doit pas utiliser les religieux comme bouche-trous, mais les religieux ne doivent pas utiliser l’évêque comme s’il était le patron d’une entreprise qui donne un travail. » « Le pape évoque souvent la nécessaire insertion ecclésiale des ordres religieux, explique le P. Guillaume de Menthière, délégué à l’archevêque de Paris pour les Instituts de vie consacrée et les Sociétés de vie apostolique. « La vie religieuse ne doit pas être une Église à côté d’une Église. Elle doit prendre toute sa place en s’inscrivant dans l’élan donné par l’évêque au diocèse et en lui apportant ses charismes particuliers. »
Quels sont donc les charismes propres aux ordres religieux ? « Les services sont divers, explique Sr Véronique Margron, du fait même de la diversité des ordres religieux, mais s’il y a un élément commun à tous, c’est la proximité humaine. Même si nos communautés sont vieillissantes, et si le nombre de religieux a diminué en France (voir encadré), leurs membres sont présents dans les interstices de nos sociétés. Car la vie religieuse comporte une attention à l’humain qui est constitutive d’elle-même. » Même si, en France, cette présence n’est plus la même, du fait de l’âge moyen des communautés, le souci de l’autre reste une marque de fabrique. « Mes soeurs âgées qui sont dans un Ephad n’en sont pas moins religieuses. Elles assurent cette présence communautaire, cette même passion d’être au plus près des plus vulnérables, alors qu’elles-mêmes ont besoin de soins. » Le pape exhorte ainsi les religieux et les religieuses du monde à s’impliquer « dans les situations d’exclusion et de marginalisation ». Le Saint-Père explique aussi que la vie religieuse est « un signal d’alarme » car elle propose « des attitudes peu communes » comme la générosité, le détachement, le sacrifice, l’oubli de soi pour les autres. Et François d’appeler les religieuses et les religieux à « réveiller le monde », car la vie consacrée doit être une « prophétie », insiste le pape. « D’une manière générale, poursuit le P. de Menthière, la vie consacrée témoigne de la place du Royaume de Dieu dans le monde. » Il est également une autre vertu que les communautés religieuses peuvent enseigner à l’Église, celle d’une organisation fraternelle, structurée mais non hiérarchique, loin de cet élitisme dénoncé par le pape dans sa Lettre au peuple de Dieu. « Le pape a des mots très durs contre le cléricalisme, rappelle le P. de Menthière, cette forme d’aristocratie d’Église, qui est le contraire de l’insertion. » « Ainsi, rappelle le F. Anthony-Joseph, au sein de notre commu¬nauté, notre supérieur, qui est appelé prieur, est certes le premier parmi les frères mais c’est un frère parmi les autres. Il est élu pour trois ans, et son mandat ne peut être renouvelé qu’une fois. Et au réfectoire, il ne siège pas au centre. Le centre, c’est la place du Christ. » « Le concile Vatican II, insiste Sr Véronique Margron, l’a rappelé : la vie religieuse est une force charismatique de l’Église. Nous ne sommes pas dans une relation hiérarchique. Et de ce point de vue-là, il n’y a donc aucune raison que les religieux aient une place distincte de celle des laïcs. » Mais la question de la place des religieux au sein des structures de décision ecclé¬siale mérite aussi d’être posée. « Plus exactement, de la place de leur parole et de leur savoir-faire, précise Sr Véronique. Au même titre, d’ailleurs, que les laïcs ou que les femmes dans l’Église, tout simplement parce qu’ils ont une expérience de terrain et qu’ils peuvent avoir un avis éclairé sur telle ou telle question. Tant que seront confondus, au sein de l’Église, l’autorité et le fait d’être prêtre, il sera difficile de sortir de ce schéma clérical qui est encore le nôtre. » « Il y a des progrès à faire pour la juste place de tous au sein de l’Église, poursuit le F. Anthony-Joseph, pour que la diversité des charismes et des vocations soit prise en compte. Pour une meilleure connaissance de chacun. Après, si nous religieux, vivons ce que nous avons à vivre comme frères, j’ai l’espérance que le sens de la fraternité rayonnera sur l’Église entière et inspirera davantage tous ses membres ! » • Priscillia de Selve
Quelques chiffres
En l’an 2000, la France comptait 66 000 religieux (dont plus de 70% de femmes) contre 30 000 aujourd’hui, soit moitié moins. Autre fait notable, alors que la France a longtemps été un pays de mission, implantant ses communautés à l’étranger, elle accueille aujourd’hui nombre d’instituts venus des Philippines, d’Afrique, d’Inde…