Discours de Mgr Laurent Ulrich à l’occasion du 15e anniversaire du Collège des Bernardins
Mardi 5 décembre 2023 - Collège des Bernardins
Chers amis,
Je suis heureux d’être ici et de saluer tous ceux qui ont contribué depuis vingt ans au moins à la naissance et au développement de cette belle institution ; je me sens plutôt comme un héritier.
S’il est bien un mot qui nous vient à l’esprit en cette soirée c’est celui de dialogue. Cet anniversaire des 15 ans du Collège des Bernardins nous est proposé, bien sûr, par l’écoulement du temps. Mais il nous arrive dans une période qui révèle de façon brûlante le caractère essentiel du dialogue. Il est hélas des moments comme celui que nous vivons, où les échanges entre les nations et jusqu’à l’intérieur d’un même peuple, paraissent impossibles. Travailler au dialogue constitue donc une préoccupation qui pourrait s’ajouter à la liste des œuvres de miséricorde, si cette tâche n’était pas déjà implicitement présente en chacune d’elle. C’est la leçon de foi, c’est l’enseignement de l’histoire et de la sagesse que mon prédécesseur, de vénérable mémoire, le Cardinal Lustiger, avait réfléchis longuement ; c’est le fruit de la médiation du dialogue d’alliance entre Dieu et l’humanité, c’est le service du Christ, Verbe incarné, qui lui avaient fait désirer que cet édifice soit rendu à sa vocation initiale. Il exprimait cette ambition clairement : « En ce lieu, comme déjà il y a sept siècles, la Sagesse que nous propose la Parole de Dieu entrera en dialogue avec les diverses entreprises de notre civilisation. » Et il en dévoilait l’enjeu considérable pour cette civilisation, en ajoutant : « Ce dialogue est nécessaire pour comprendre ses échecs et satisfaire à ses plus hautes ambitions. »
La vocation du Collège des Bernardins n’a donc pas pris une ride en quinze ans… pas plus d’ailleurs que lors des 7 siècles précédents. Elle était résumée dans le quaerere Deum médiéval qui animait les fils de saint Bernard ; le pape Benoît XVI, lors de sa venue le 12 septembre 2008, a aimé en rappeler l’intemporalité ; et elle se révèle tout autant dans les disciples missionnaires que le pape François encourage à annoncer la Joie de l’Évangile. C’est que, comme nous l’enseigne la théologie de l’histoire, ce temps est, de façon irrévocable, marqué par la venue du Christ. C’est sur le Christ que les moines ont établi leur œuvre ; c’est en vain que ceux qui entendaient bâtir des temps nouveaux ont cru pouvoir rejeter cette pierre angulaire ; et ce temps qui est le nôtre nous révèle encore, comme je le disais, la nécessité de promouvoir, par le dialogue, la recherche inlassable de la Vérité, comme une source d’équilibre pour l’humanité.
Je relisais aujourd’hui ce grand discours de Benoît XVI dont il résumait la grande démonstration en ces quelques mots : « l’Écriture a besoin de l’interprétation et elle a besoin de la communauté où elle s’est formée et où elle a vécu. » Comment mieux fonder les exigences du dialogue auquel nous aspirons pour retisser les liens qui tendent à se défaire ? Pour se tenir loin de tout « arbitraire subjectif » autant que de tout « fanatisme fondamentaliste », selon les mots mêmes de Benoît XVI.
Cette promotion du dialogue, le Président de la République, le 9 avril 2018, en soulignait ici-même l’importance devant les évêques de France, reconnaissant à travers eux la légitimité de l’Église catholique à apporter sa contribution à la cohésion d’une société mise à mal par la tentation individualiste et les objectifs à courte vue. Nous devons donc saisir toute occasion pour l’Église « d’entrer en conversation » avec le monde, et n’avoir de cesse d’élargir cet horizon en refusant un entre soi certes sécurisant mais mortifère. C’est bien là ce que le Cardinal Vingt-Trois pressentait à l’ouverture de ce Collège. Je ne veux pas manquer de lui rendre également hommage ce soir, puisqu’il a dû mettre en œuvre l’intuition du Cardinal Lustiger. Et il entrevoyait déjà combien était nécessaire dans cette tâche « l’immense effort de confrontation de la sagesse chrétienne avec les courants qui traversent notre monde ».
La feuille de route apparaît donc claire autant qu’ambitieuse. Je dirai que cette vaste nef enfin rendue à la navigation de haute mer a dû aussi trouver une vitesse de croisière pour mieux avancer au large. Comme cette soirée nous permet de le rappeler, 15 années représentent autant d’occasions de rencontres pour les chercheurs, les enseignants, les élèves, les auditeurs, les spectateurs et visiteurs ; et autant de projets interdisciplinaires mêlant formation, recherche, art et culture. Mais la quête, jamais achevée, de la sagesse et l’intuition initiale maintenant enrichie de l’expérience, nous obligent. C’est alors que nous devons regarder ces puissantes voûtes moins pour y voir le solide édifice qui nous protège, qu’une invitation à nous élever toujours pour nous ouvrir à de nouvelles dimensions du savoir, du dialogue de la foi et de la raison. Et en filant cette métaphore, rappelons-nous combien il a fallu d’obstination aux rénovateurs du Collège pour réussir à stabiliser les fondations de ce vénérable édifice : mais sans cela, il n’aurait jamais été possible d’imaginer de telles possibilité de développement des superstructures. C’est qu’il faut des racines solides à un arbre qui n’entend pas freiner son épanouissement vers le ciel.
Aussi, je me réjouis de tout ce que le collège a déjà produit. Il était bon de s’arrêter aujourd’hui, après une décennie et demie, pour mesurer le chemin accompli. C’est l’occasion d’exprimer notre profonde gratitude à tous ceux qui ont déjà contribué à cette aventure extraordinaire. En remerciant Jean-Marc Liduena, président de la Fondation des Bernardins, et Laurent Landete, directeur du Collège, je rends hommage à leurs prédécesseurs dans ces fonctions qu’ils occupent actuellement, et plus largement encore à l’ensemble des personnels administratifs ou enseignants de cet établissement, comme de toutes les institutions qu’il accueille. Et, bien évidemment, cette reconnaissance s’élargit à l’ensemble des soutiens financiers et institutionnels qui témoignent d’un engagement sans faille et tout aussi certainement d’une foi dans sa mission.
Tous vous avez à cœur, tous nous avons à cœur de transformer l’essai et de relever les défis qui s’annoncent et s’annonceront dans les années à venir. L’héritage que nous venons de saluer nous fait le devoir de veiller sans cesse à l’adéquation avec les enjeux d’un contexte toujours renouvelé. C’est à cette fin que j’ai voulu qu’une revue stratégique des Bernardins soit entreprise. En philosophe il m’apparaît indispensable de définir les concepts avant toute analyse ; en pasteur, je sais l’importance d’entendre tous ceux qui participent à la vie et à l’essor du Collège pour établir avec eux une collaboration confiante ; et comme l’archevêque chargé de veiller sur les Bernardins, je vois aujourd’hui avec enthousiasme, tout le potentiel qui se dévoile au terme de cette démarche. Je vais étudier de près les enseignements tirés de cette écoute de beaucoup d’acteurs de ce Collège et y apporter les conclusions nécessaires.
Ainsi, l’intuition originelle garde toute son actualité. L’ardeur apostolique des premiers temps reste bien présente. Les structures établies sont solides. Et il faut à l’ensemble garder assez de souplesse pour répondre aux attentes d’un monde devenu liquide. Il convient à cette fin de s’interroger continuellement sur la portée de nos actions : c’est vers la multitude que nous sommes envoyés ; c’est à toutes les nations et jusqu’à leurs périphéries que s’adresse la sagesse chrétienne. Pour voir aussi loin que le Cardinal Lustiger, c’est ce chantier perpétuel qu’il nous faut entretenir. La société contemporaine n’a de cesse d’édifier des tours qui conduisent à un vertige de la connaissance, chacun risquant toutefois de méconnaître jusqu’à l’existence de celui qui, à l’étage inférieur, a œuvré comme lui à cette entreprise. C’est dans notre capacité à éviter cet écueil que nous reconnaissons l’éthos chrétien. Nous devons nous y consacrer : avec les Bernardins, cultivons donc le dialogue avec passion, pour transmettre au monde cette passion chrétienne du dialogue !
+Laurent Ulrich, archevêque de Paris