Homélie de Mgr Laurent Ulrich - Messe à l’occasion du Congrès Mission en l’église Saint-Sulpice

Dimanche 2 octobre 2022 - Saint-Sulpice (6e)

Faire confiance à l’Esprit Saint qui conduit l’Église

– 27ème dimanche du Temps Ordinaire – Année C

- Ha 1,2-3 et 2,2-4 ; Ps 94 1-2.6-9 ; 2 Tm 1,6-8.13-14 ; Lc 17,5-10

Que d’effervescence durant ces trois jours ! Que de beaux moments de rencontres ! que de projets dans toutes nos têtes ! que de chants et de prières ! Que de joie ! la joie de l’évangile, la joie de croire, la joie du Seigneur ! Et puis ce moment de célébration qui unit les cœurs dans le Seigneur, parce que c’est Lui, toujours Lui et uniquement Lui qui est la source de la joie, de la force d’espérer, de la puissance de l’amour et de toute vie …

Mais aussi, à l’instant, peut-être une certaine déception dans l’écoute et l’accueil des textes que la liturgie nous propose …

La prière du prophète Habacuc ne semble pas écoutée par Dieu. Pourtant ce que le prophète demande c’est la paix pour son peuple. Or celui-ci est une fois de plus la proie d’un empire voisin qui ne va pas tarder à l’annexer. Les prières ne font rien contre la guerre, Dieu les entend-il ? N’est-il pas capable de l’arrêter cette guerre, cette violence qui court partout ? « Vais-je crier vers toi : Violences ! sans que tu sauves ? » Comprenons bien qu’il y a une part importante de ceux qui, pourtant baptisés, ont cessé de croire pour cette raison que Dieu ne semble pas trop s’intéresser à notre monde, à ses souffrances, aux violences qui opposent les humains entre eux ; ou bien parce que Dieu est une illusion qui n’a pas d’efficacité. N’ayons pas peur de considérer cela, ne nous cachons pas les yeux : dans un monde de rationalité et d’efficience, Dieu paraît, à beaucoup de nos contemporains, incapable de résoudre nos problèmes terrestres et c’est une cause de l’abandon de la foi.

Et pourtant le prophète n’hésite pas à transcrire la réponse de Dieu : ceux qu’il appelle les insolents ne trouvent pas la réponse, ils sont enfermés en eux-mêmes, souvent d’ailleurs parce qu’ils souffrent sans le montrer ; ceux qui sont sur le chemin qui mène à Dieu, ils sont simplement dans la fidélité, dans la posture de toujours demander, de ne pas se lasser, de ne pas attendre de résultat immédiat, de croire que les transformations profondes sont dans le cœur et donc qu’elles prennent du temps. Entrer dans le chemin de Dieu, c’est entrer dans le temps long des transformations intérieures, des engagements qui coûtent.

L’exemple de Timothée, le destinataire de cette lettre de l’apôtre Paul, vient à point nommé. Lui, c’est un de ces fidèles, il a été choisi par Dieu, Paul lui a imposé les mains pour qu’il devienne un collaborateur de la mission ; il a dû partir tout feu, tout flamme. Mais sur le chemin difficile de cette mission d’annonce de l’évangile et, peut-être, de fondation de communautés de disciples-missionnaires, comme aime à les appeler le Pape François, ou encore sur le chemin parfois décevant de maintien des communautés dans le dynamisme de la foi et de l’espérance, Timothée est passé par une étape de découragement. Il faut la confirmation de l’appel de Timothée non seulement par l’apôtre, mais par Dieu lui-même dont l’imposition des mains par Paul a été et demeure le signe. Nous qui avons un jour reçu cette imposition des mains et vous qui répondez à l’appel de l’Église, nous ne sommes pas plus solides que Timothée lui-même, nous sommes aussi guettés par la fatigue, et des échecs possibles. L’annonce de l’évangile, ce n’est pas seulement la joie des commencements, c’est aussi l’affrontement aux oppositions et aux refus. Avancer avec le Christ, c’est s’attendre aussi à la croix de Jésus. Mais Paul dit : n’aie pas peur, n’aie pas honte ! À l’intérieur même de l’Église il y a des occasions de chute, et certains de nos contemporains trouvent dans ces pierres d’achoppement des raisons de s’éloigner : nous en avons une réelle conscience, cela nous est rappelé régulièrement par des enquêtes d’opinion, des analyses savantes, mais aussi par notre expérience quotidienne de l’indifférence religieuse qui s’est installée au milieu de nos sociétés encore aisées, même si elles sont inquiètes de l’avenir. Le propos de Paul est clair : garde le dépôt de la foi dans sa toute beauté. Oui la confiance que nous mettons dans le Seigneur est belle et elle est source de paix pour nous et pour tous. Et Paul conclut : avec l’aide de l’Esprit Saint qui habite en nous.

C’est bien pour cela que le pape François a appelé au synode, à une manière de vivre dans l’Église qui soit synodale. Nous avons besoin de tout le monde pour assurer l’Église dans sa marche présente, ouverte à un avenir qui est rempli de confiance en Dieu. Il ne s’agit pas que chacun ait sa petite idée sur le monde et sur l’Église et, encore moins, qu’il veuille la défendre comme s’il était le seul à penser juste ! Il s’agit de se parler et de s’écouter vraiment en apprenant ensemble à discerner ce qui est bon pour rendre un témoignage juste au Christ. Cela s’appelle faire confiance à l’Esprit Saint qui conduit l’Église. La variété des sujets abordés au cours de ce Congrès Mission, la diversité des acteurs qui sont intervenus, le partage simple de la parole de Dieu comme nous l’avons fait hier soir au Banquet de l’Amitié autour de la parabole des invités au festin sont un bon gage de la volonté d’une Église qui soit fraternelle et qui n’ait pas peur de l’avenir. Synode, tout le monde le dit, signifie la route que l’on parcourt ensemble ; il faut ajouter une signification très heureuse : sur cette route, nous franchissons ensemble des seuils. Manifestement, dans le monde d’aujourd’hui, nous avons des seuils à franchir. Demandons la joie de les franchir vraiment ensemble. Et sans peur.

Eh bien oui, nous avons toujours besoin que le Seigneur augmente en nous la foi, comme les apôtres le lui demandaient. Mais de nouveau la réponse de Jésus peut nous rebuter aujourd’hui, refroidir notre enthousiasme : la foi vous n’en avez, semble-t-il, pas beaucoup, dit-il. Vraiment vous avez toujours besoin de signes visibles et de succès immédiats ! Ne vous suffit-il pas de savoir que vous êtes avec le Christ et à son service ? Vous voudriez que son Royaume soit déjà réalisé sur terre, comme si c’était le résultat des promesses politiques et d’un projet trop humain. Oui le royaume de Dieu commence maintenant dans nos cœurs qui se laissent transformer : voilà le signe majeur. Demeurer de simples serviteurs du Maître, des « ouvriers de son désir » comme dit en psaume : nous ne sommes pas le Maître, nous ne savons pas la fin de l’Histoire. Le Royaume de Dieu c’est un don que nous recevons, un paquet peut-être mais que nous n’aurons jamais fini de déballer, une surprise de chaque instant et de chaque rencontre. Cela suppose que nous soyons vraiment disposés à la rencontre des autres, sans vouloir les amener sur notre propre terrain ; que nous ayons le désir de vivre avec eux, même s’ils ne partagent pas nos convictions et ne comprennent pas le secret de la rencontre du Christ qui anime nos vies. Cela demande de rester de simples serviteurs de l’amour, travaillant aux champs ou ailleurs, servant à table ou ailleurs, mettant leur vie à disposition des frères et des sœurs, en comptant sur Celui qui demeure le plus grand serviteur.

Nous vivons aujourd’hui même cette surprise de la rencontre ; chacun de nous aura de ces journées le souvenir de moments intenses, de paroles échangées qui feront trace dans notre vie, de communion forte avec des personnes que peut-être nous ne reverrons pas. Des fils invisibles à l’œil nu nous relient, nous savons que le Seigneur lui-même sait où vont ces routes où nous nous sommes croisés : elles vont vers ce Royaume qui n’est pas définitivement dévoilé, elles sont aussi les routes difficiles où se forge notre espérance. Dans cette eucharistie que nous célébrons, le Seigneur s’offre à nous et à la multitude pour que nous avancions avec Lui.

+Laurent Ulrich, Archevêque de Paris.

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