Homélie de Mgr Laurent Ulrich - Messe à Saint-Germain l’Auxerrois

Dimanche 27 novembre 2022 - Saint-Germain l’Auxerrois (1er)

« Gardons cette espérance ».

– 1er dimanche de l’Avent – Année A

- Is 2,1-5 ; Ps 121, 1-9 ; Rm 13,11-14a ; Mt 24,37-44
D’après transcription

Que ce soit au jour de Noé, avant le déluge, et au jour de la venue du Seigneur, de la venue du Fils de l’Homme, juste avant c’est comme la vie de tous les jours. On mange, on boit, on se marie, on fait des courses, on va où on veut, il y a des foules qui s’agitent, c’est quelque chose de tout à fait ordinaire. Il n’y a là rien de bizarre, rien de forcément pécheur, il n’y a pas de comportement mauvais en cela. Mais c’est simplement l’ordinaire des jours où on oublie le sens de la vie, où on oublie le vrai, où on oublie le beau. On se conduit sans trop réfléchir, on est préoccupé, tout simplement. Cela n’est pas nouveau, cela n’est pas la situation de l’époque d’aujourd’hui, cela n’est pas une situation particulière au moment du déluge, c’est tous les jours comme cela. On s’arrange pour oublier ce qu’il y a de plus important dans la vie. Pascal disait : « le divertissement. » Il évoquait ainsi le fait que nous occupions nos journées sans penser au plus profond de l’existence. Alors tout d’un coup surgit le déluge, l’avalanche, la crise comme on dit. Les crises sont multiples dans l’existence humaine, et le déluge figure la crise d’une façon ou d’une autre, le type même de la crise.

Les crises sont variées et nous en connaissons beaucoup dans notre monde d’aujourd’hui. D’abord la guerre, la guerre en Europe, comme si c’était nouveau, mais cela revient, et depuis la Deuxième Guerre mondiale il y a eu aussi la guerre en Europe, dans les Balkans, il y a trente ans, et on disait déjà : c’est terrible la guerre dans les Balkans, la guerre en Europe.

La crise peut être aussi la crise sanitaire, on vient de la vivre. Elle nous a complétement surpris, bousculés, elle a complétement changé nos habitudes de vie, elle nous a beaucoup gênés. Elle a été pour nous une source d’interrogations, mais des interrogations qui sont arrivées soudainement, alors qu’on les avait tout à fait oubliées.

La crise écologique aussi, qui, par des lanceurs d’alerte de toutes sortes, nous émeut et tout d’un coup nous nous disons : où va notre terre ? Qu’avons-nous fait à notre terre ? Cette crise écologique, ce bouleversement climatique qui nous inquiète. Mais il ne nous inquiétait pas tant que cela il y a quelques années.

Et puis la crise économique qui revient, la pauvreté, la misère qui se développe, la difficulté de vivre pour un certain nombre qui nous interroge. Qui nous interroge, heureusement, puisque nous voulons être davantage justes dans nos comportements.

On vivait, on se mariait, et tout d’un coup tout est bouleversé dans l’existence humaine. Et Jésus dit : « veillez, veillez car vous ne savez pas quand cela arrivera, veillez et restez solides. » Cela ne veut pas dire : affolez tout le monde autour de vous. Cela ne veut pas dire : il faut que vous alliez porter le feu partout et dire que rien ne va plus. Non, veillez, soyez en attente, soyez prêts à revenir à ce qui est plus essentiel, plus profond, plus vrai dans la vie.

Saint Paul le dit autrement : « réveillez-vous de votre sommeil. C’est le moment de sortir, parce que le Salut est proche. » Mais vous comprenez que le Salut est proche de nous tous les jours, pas simplement à la fin du monde, voilà ce que dit Paul.

J’aime bien citer aussi sainte Thérèse d’Avila, qui au XVIe siècle disait : « le monde est en feu ». Au XVIe siècle, comme au temps de Noé, comme aujourd’hui, le monde est en feu, ce n’est pas le moment d’entretenir Dieu d’affaires de peu d’importance.

Voilà ce que c’est que d’être éveillé, c’est d’être attentif à ce qui se passe dans le monde, et de se dire : c’est le moment, aujourd’hui, de se préparer à la rencontre du Seigneur, la rencontre que l’on peut faire tous les jours, la rencontre qui compte.

Voilà ce à quoi les lectures d’aujourd’hui nous préparent en ce premier dimanche de l’Avent. Rester éveillés sur l’espérance qui nous habite. Parce que, comme il est dit au livre d’Isaïe, dans la première lecture que nous avons entendue tout à l’heure, n’oubliez pas, les derniers jours c’est toujours aujourd’hui - : « Il arrivera dans les derniers jours que la montagne de la maison du Seigneur se tiendra plus haut que les monts, s’élèvera au-dessus des collines. Vers elle afflueront toutes les nations et viendront des peuples nombreux. » (Is 2,2-3) Ça c’est l’espérance, la grande espérance qui a toujours habité le peuple de Dieu, qui a toujours été rénovée, renouvelée par les prophètes, qui a toujours été annoncée par les priants de la Bible, c’est l’espérance que Jésus vient faire revivre en nous, qu’il vient ressusciter. Nous croyons vraiment que Dieu aime le monde tel qu’il est. Il erre peut-être sur des chemins de traverse, il ne fait pas tout ce qu’il faut pour être juste et bon. Mais Dieu l’aime, et il veut rassembler les peuples de la terre en une seule humanité, joyeuse d’être vivante, joyeuse d’avoir été créée par le Seigneur, joyeuse d’être promise au Salut. N’oublions jamais cette espérance, elle marque notre existence, elle marque notre foi. C’est parce que nous avons confiance dans le Dieu qui nous aime et qui nous a créés, c’est parce que nous avons confiance dans le Christ Seigneur, que nous continuons de croire, malgré les apparences, que le monde est appelé à être toujours plus uni, plus beau, plus juste. C’est Dieu qui l’appelle à cela, une seule humanité, réconciliée ; une seule humanité qui chante sa louange. Même si nous avons le sentiment que ce n’est pas ce qui domine dans le monde d’aujourd’hui, comme dans le monde de tous les siècles, de toutes les époques, gardons cette espérance.

Et cette espérance, elle est traduite tout particulièrement, par l’attente, qui nous est proposée du Fils de l’Homme, celui dont nous célébrerons la venue le jour de Noël, dans quelques semaines. Le Fils de l’Homme c’est le type même de l’humanité réconciliée, de l’humanité qui pratique un amour fraternel, juste. C’est le type même de ce que nous espérons, et il est manifesté en Jésus. Alors, nous attendons cette présence : nous savons qu’elle est déjà là, mais nous l’attendons pour le moment de Noël, pour pouvoir la faire grandir dans nos cœurs. Nous attendons cette présence du Fils de l’Homme qui nous montre quel homme nous devrions être, quel homme nous pourrions être, quel homme nous attendons nous-même d’être : un homme réconcilié, un homme qui fait attention aux autres ; un homme qui sait que, peut-être, sa façon de consommer dans le monde d’aujourd’hui a besoin d’être ralentie pour que tout le monde puisse vivre ; un homme qui sait que la misère est à nos portes, à ses portes, et qu’il est invité à davantage de charité ; un homme qui sait que le bien commun, que nous recherchons, ne peut pas être oublié dans ce monde qui paraît souvent égoïste, souvent fermé sur lui-même.

Voilà l’image de celui que nous attendons. Il est déjà là, au milieu de nous, nous allons célébrer sa venue, et notre foi, notre espérance, peuvent se traduire en charité, en charité exquise pour tous, parce que Dieu aime tous les hommes qu’il a faits. C’est notre joie du temps de l’Avent, restons-y fidèles.

+Laurent ULRICH, archevêque de Paris

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