Homélie de Mgr Laurent Ulrich - Messe dans la Chapelle Zélie et Louis Martin avec les responsables du Pôle Mission
Dimanche 19 mars 2023 - Chapelle Zélie et Louis Martin (Notre-Dame des Victoires (2e))
Illumination.
– 4e dimanche de Carême – Année A
- 1 S 16, 1b.6-7.10-13a ; Ps 22 (23), 1-2ab, 2c-3, 4, 5, 6 ; Ep 5, 8-14 ; Jn 9, 1-41
D’après transcription
La liturgie d’aujourd’hui est toute centrée sur la lumière, nous avons la chance d’entendre ce grand chapitre 9 de l’évangile de saint Jean. Comme nous avons de la chance d’entendre tous ces dimanches de l’année Saint Matthieu, l’année A, ces grands chapitres de saint Jean pour nous introduire à ce que nous vivrons dans la Semaine Sainte, dans l’accompagnement de Jésus dans sa Passion, sa mort et sa résurrection. Comme le dit l’apôtre Paul aux Éphésiens : « Autrefois vous étiez ténèbres, maintenant dans le Seigneur vous êtes lumière, conduisez-vous comme des enfants de lumière. » Voilà ce qui nous est proposé, c’est une promesse qui nous est faite, que nous pourrons un peu détailler.
Ce passage que nous venons d’entendre, dans l’évangile de saint Jean, c’est comme une évangélisation de rue. L’exemple qui nous est donné, cela n’est pas comme dans d’autres récits de guérison que nous lisons dans les évangiles. Comme par exemple dans l’évangile de Marc, la guérison de Bartimée, le fils de Timée, qui était mendiant et aveugle, c’est Bartimée qui réclame, il demande à voir Jésus, et c’est Jésus qui lui demande : que veux-tu que je fasse pour toi. Ici, pas du tout. Ici Jésus sort du temple, donc il a accompli son devoir de croyant, il est allé avec ses coreligionnaires, prier dans le temple, rendre grâce à Dieu, peut-être offrir le sacrifice. Et il sort de ce moment de la prière et sa charité remarque cet homme qui est là, comme un mendiant et un aveugle de naissance. Et la guérison qui va s’en suivre elle intervient comme une sorte d’appel à Dieu, que Jésus fait devant tout ce peuple qui est là. L’aveugle de naissance est là comme un signe de Dieu, comme un signe de l’action de Dieu, comme un signe de ce que Dieu promet de faire à tout homme, lui ouvrant les yeux et l’illuminant. Je n’oublie pas que le baptême était appelé par les premières pères de l’Église : l’illumination. Le baptême c’est une illumination. C’est une lumière qui se fait dans la vie des hommes et des femmes qui en sont touchés. Évidemment c’est par rapport à des exemples comme celui-ci, par rapport à ce chapitre 9 de saint Jean que ce terme d’illumination a été choisi pour parler du baptême dans la première tradition chrétienne.
Mais il ne suffit pas d’être illuminé par la présence du Christ, par l’action du Christ, par le salut que le Christ vient apporter à cet homme-là et à tous ceux qui l’entourent, pour être vraiment éclairé et pour commencer à voir. Cela c’est la description de toutes ces rencontres qui suivent dans le récit.
Il y a d’abord l’aveugle lui-même. L’aveugle lui-même il voit qu’il voit. Et pour lui c’est un fait simplement. Il ne voyait pas et maintenant il voit. Il ne sait pas très bien pourquoi. Il sait que quelqu’un est intervenu pour lui. Il y a les voisins, ceux qui le connaissaient, qui le rencontraient jusque-là et qui savaient qu’il était aveugle, et qui se mettent à discuter et à se dire : c’est lui ? Ce n’est pas lui ? C’est un autre ? Non, non, c’est bien moi. Et eux aussi ils restent un peu dans le noir, ils ne savent pas ce qui s’est passé, ils ne le comprennent pas. L’aveugle a été éclairé, a vu le jour. Eux, ont vu l’aveugle être transformé, mais ils ne savent pas attribuer à qui cela est dû. Puis les Pharisiens, qui jugent de toute situation par rapport à leur savoir, par rapport à leur théorie, par rapport à leur doctrine, et qui n’en bougent pas, eux n’arrivent pas à comprendre ce qui se passe. Leur théorie est prise en défaut, et ils restent dans les ténèbres, parce que ce qu’ils ont appris et ce qu’ils essayent de vivre - peut-être honnêtement et avec au fond d’eux-mêmes le sentiment de faire ce qui est vrai. Et avec un jugement que les premiers chrétiens poseront sur eux en disant : volontairement ils ne veulent pas savoir - peut-être que cela n’était pas aussi clair que cela – mais en tout cas ils sont tellement déstabilisés qu’ils sont obligés de rester là où ils en sont. C’est inexplicable à leurs yeux, cela n’a pas de raison d’être. Et entre les deux il y a les parents de l’aveugle. Eux, peut-être qu’ils pourraient être un peu déplacés. Ils ont bien reconnu que c’était leur fils, ils ont bien reconnu qu’il était aveugle, ils ont bien reconnu aussi qu’il ne l’est plus. Ils peuvent se laisser déplacer mais ils sont embarrassés par l’entourage au milieu duquel ils se trouvent. S’ils disent c’est Jésus, ils vont être condamnés, ils vont être mis à l’écart, ils vont être rejetés. S’ils disent ce n’est pas Jésus, ils se mettent dans un mauvais pas par rapport à leur fils, et d’une certaine façon ils vont éviter de choisir. Ils restent aussi dans les ténèbres d’une certaine façon, peut-être cela s’ouvrira-t-il pour eux, mais pour l’instant ce n’est pas encore le moment. Et puis, il y a la relation qui s’instaure entre l’aveugle et Jésus. A travers ces discussions qui ont lieu entre tous les témoins de cet événement, entre toutes les raisons qui sont données, entre toutes les réponses aux objections qui sont fournies. L’aveugle guéri, transformé, avance peu à peu, il prend le parti de Jésus. Il dit : peut-être que vous voulez être ses disciples ? Il dit : c’est curieux que vous ne compreniez pas ce qui s’est passé ? Et peu à peu il laisse de la place à Jésus pour comprendre quelle est l’illumination dont il a été le bénéficiaire. Et s’acheminant tout au long de ce chapitre, tout au long de cette histoire, se prépare son acte de foi : Seigneur, je crois. J’ai compris que tu n’étais pas simplement un personnage de passage. J’ai compris que tu agissais au nom d’un autre. J’ai compris que je pouvais marcher avec toi. J’ai compris que la parole que tu dis est une parole incarnée et qui est faite pour me transformer, et peut être bien pour transformer peu à peu les autres par le témoignage que j’en donnerai. Et dans l’acte même de la rencontre, dans l’acte même des paroles échangées, il y a cette puissance transformatrice de l’aveugle lui-même, guéri, et redonné à la vue, peut être de son entourage, de ses parents, de ses voisins, peut-être avec espérance nous pouvons le dire, de quelques pharisiens qui eux aussi suivront Jésus, et de proche en proche de tous ceux qui accepteront de se laisser transformer par la rencontre de Jésus.
Il y a une quinzaine d’années, j’ai reçu une lettre d’un monsieur, qui m’écrivait : il y a 20 ans je vous ai écrit - ce n’était pas à moi c’était à mon prédécesseur -. Je vous ai écrit pour vous demander de me rayer des registres du baptême, parce que je n’y croyais pas. Je ne croyais pas à la foi qu’on avait voulu m’inculquer, j’étais révolté, je n’en voulais plus. Et depuis 20 ans j’ai cherché partout, dans les philosophies, dans les religions, dans les groupuscules, j’ai cherché un sens, j’ai cherché une direction à ma vie. Et aujourd’hui je vous écris pour vous dire que vous pouvez effacer la mention que vous avez ajouté à mon baptême : « a renoncé à son baptême », parce que je reviens, il n’y a que le Christ. Je n’ai jamais raconté cette histoire sans une émotion profonde parce que je me dis : quel chemin, et tout ce chapitre de saint Jean le dit, il a été pris entre des explications contraires cet homme, et tout d’un coup la lumière se fait dans sa vie. Quoiqu’il en soit de l’Église, de ses fragilités, de ses faiblesses, de ses erreurs, de ses fautes, quoiqu’il en soit du témoignage des uns et des autres, quoiqu’il en soit des événements de sa vie, finalement le Christ est la lumière pour lui et pour tous.
C’est une promesse formidable, c’est ce qui fait que dans l’acte même d’accepter la rencontre avec Jésus il y a ce dynamisme missionnaire qui ne peut jamais s’effacer.
Que le Seigneur reçoive de nous une complète reconnaissance de ce qu’il fait en nous, une joie profonde qu’il installe au fond de notre cœur parce qu’il a décidé de se montrer à nous dans la lumière et que nous soyons illuminés pour toujours.
+Laurent Ulrich, archevêque de Paris