Homélie de Mgr Laurent Ulrich - Messe de l’Ascension au Carmel de Montmartre

Jeudi 18 mai 2023 - Carmel de Montmartre (18e)

« le Seigneur ne nous a pas quittés »

– Ascension du Seigneur – Année A

- Ac 1 ;1-11 ; Ps 46,2-3.6-9 ; Ep 1,17-23 ; Mt 28, 16-20
D’après transcription

Dans l’évangile de saint Matthieu que nous venons de lire nous entendons les ordres, les commandements que Jésus donne à ses disciples : « De toutes les nations faites des disciples : baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, apprenez-leur à observer tout ce que je vous ai commandé. » Et c’est la finale, avec cette indication : « Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde ». Mais il n’y a pas de récit de la disparition aux yeux des disciples de Jésus. Nous le savons par les autres récits et nous le savons par le récit des actes des apôtres que nous venons d’entendre aussi. Le Seigneur s’éleva et disparut à leurs yeux.

Aussi bien, il n’est pas étonnant que certains puissent avoir des doutes comme il est dit dans cet évangile. « Quand ils le virent, ils se prosternèrent, mais certains eurent des doutes. » Avoir des doutes c’est quelque chose qui nous traverse nous aussi dans notre vie de croyant. Nous connaissant nous-mêmes, nous savons bien que la foi n’est pas un long fleuve tranquille et qu’elle est parsemée de ce doute qui met en valeur, justement, le don que Dieu nous fait de croire qu’il est là tous les jours avec nous et que sa parole nous entraîne. Il n’est pas tout à fait étrange que dans l’Évangile lui-même, les doutes des apôtres, nos doutes à nous, les doutes de tous les disciples puissent être signalés comme ce qui fait le quotidien de nos existences. Nous sommes arrimés dans la foi, mais en même temps la foi ne peut s’exprimer que si elle est capable aussi de dire qu’elle est faible et qu’elle a besoin du secours du Seigneur pour se vivre pleinement.

Et puis, il y a non seulement ces doutes qui peuvent nous assaillir mais aussi, nous le comprenons, des erreurs dans la façon de vivre et de croire. Quand dans le récit des Actes des Apôtres, que nous avons entendu, nous voyons les disciples dire à Jésus : est-ce que c’est maintenant le moment où tu vas rétablir la royauté ? Nous comprenons que, attachée à l’existence de la foi il y a aussi cette possibilité de la pervertir et de se laisser aller à une vue toute humaine de comportements des chrétiens, la tentation de vouloir réaliser par nos propres forces ce que la grâce de Dieu prépare. De vouloir réaliser par nos propres forces le bonheur de l’humanité, de vouloir devenir nous-mêmes impeccables et capables de transformer le monde. Ce que le Pape François dénonce souvent quand il parle dans ses textes du néopélagianisme, reprenant un terme un peu technique, rappelant une hérésie ancienne, dans laquelle des hommes sous la conduite d’un moine, Pélage, pensaient pouvoir compter seulement sur les forces humaines pour réaliser ce que l’Évangile annonce, désirant montrer la capacité d’une Église, des croyants, de faire une société belle, bonne, juste et fraternelle par les simples forces des organisations mises en place par nous. Et c’est une tentation permanente que de confondre l’accueil de la foi et du Royaume de Dieu qui grandit au milieu de l’humanité, avec des réalisations temporelles, dont nous savons bien qu’elles sont marquées par le péché, l’insuffisance, la volonté de puissance et non pas par le désir de laisser Dieu nous transformer et faire de nous des créatures à son image.

Alors il semblerait que la mission qui nous est confiée soit soumise à bien des aléas. J’allais presque dire : impossible mission. Et pourtant, nous accueillons la nouvelle de l’incroyable soutien du Christ lui-même. Il nous dit : « je suis avec vous jusqu’à la fin du monde ». Il ne nous quitte pas. Il ne se sépare pas de nous et nous entendons, dans la lettre de Paul aux Éphésiens, cette grande annonce, qui nous réconforte, que vous sachiez quelle espérance vous ouvre son appel. La gloire sans prix de l’héritage que vous partagez avec les fidèles. Cette puissance incomparable qu’il déploie pour nous, c’est la force, la vigueur, l’énergie qu’il a mise en œuvre dans le Christ quand il l’a ressuscité d’entre les morts.

Cette force incroyable qui était dans le Christ, qui l’a conduit tout au long de sa vie terrestre à lutter contre le mal, cette force incroyable qui le conduit de la mort à la vie, c’est celle-là qu’il met en nous, c’est cette force étonnante de sa présence qui chemine à travers nos propres vies et l’histoire du monde. Devant les périls que je décrivais juste avant, nous pouvons relire l’histoire de vingt siècles de vie de l’Église, tellement soumise à des contradictions, à des événements douloureux, à des comportements insupportables des chrétiens, à des événements de l’histoire tellement tragiques, à des injustices si fortes, à des persécutions, à des empêchements de dire la foi, et pourtant l’Église traverse ces moments et continue de susciter par l’annonce de la Parole de Dieu et par la grâce de Dieu, des nouveaux disciples. Le renouvellement est constant et permanent, l’appel qui se fait à travers l’histoire et qui revitalise à des moments inattendus l’Église, qui met en route des nouveaux chrétiens à l’âge adulte, par exemple en ce moment. Et je pense aux plus de 400 qui vont recevoir la confirmation dans quelques jours, à la Pentecôte. Cette énergie incroyable on ne sait pas toujours d’où elle vient, et nous devons l’accompagner sans avoir le mérite de l’avoir nous-mêmes suscitée. Voilà quelle est la grâce qui nous est faite. Nous recevons tout du don de Dieu. C’est lui qui anime et transforme toutes les énergies qu’il met en nous qu’elles soient sources de vie, pour que l’Évangile ne cesse d’être annoncé et que la grâce de Dieu touche des hommes et des femmes si divers, et les mette en route à la suite du Christ. Cet incroyable soutien est véridique, le Seigneur ne nous a pas quittés et il ne nous quittera jamais.

Alors comment se fait-il que nous soyons des instruments ? Je le lis dans les deux premiers mots du Livre des Actes des Apôtres que nous avons entendus : Cher Théophile. Ces deux mots sont incroyablement porteurs de vie. Des « Théophile », des amis de Dieu, le Seigneur nous assure qu’il y en aura toujours. Des amis de Dieu qui se préparent à écouter la Parole, la Parole de vérité et de vie, la Bonne Nouvelle de l’Évangile. Des amis de Dieu il y en aura toujours et ce sont ceux qui nous montrent le chemin à travers l’histoire de l’Église, les saints bien sûr, mais à travers le présent de l’Église, les saints de la porte d’à côté comme dit encore le Pape François, ceux de la vie quotidienne qui ne cessent de se tourner vers le Seigneur, de se prosterner devant lui, de le prier, de lui rendre grâce et d’essayer humblement de mettre en œuvre ce que sa puissance veut développer en eux. Les « Théophile » nous avons besoin de les admirer, de les regarder, de nous laisser inspirer par eux. Mais ces « Théophile » parfois ils ont besoin qu’on leur annonce la Bonne Nouvelle qu’ils pressentent au fond de leur cœur mais ne connaissent pas. Ce sont ceux qui viennent au Christ par le témoignage de notre parole et de nos actes, par la force de la prière que le Seigneur met en nous.

Et si ces « Théophile » nous sont chers, c’est parce que nous les aimons et que nous avons le désir qu’ils connaissent cette Bonne Nouvelle. « Cher Théophile », c’est une formule qui a une grande puissance et nous invite à nous laisser tout simplement aller à la puissance de Dieu. Il met sur notre chemin des témoins et nous sommes à notre tour des témoins. Mais si nous nous rencontrons, si nous nous parlons, si nous échangeons la Bonne Nouvelle de Dieu, c’est que le Seigneur lui-même nous a mis sur le chemin les uns des autres.

Rendons grâce à Dieu qui, ainsi, nous inspire de témoigner de lui auprès d’hommes et de femmes qui le cherchent et qui nous sont chers.

+Laurent Ulrich, archevêque de Paris

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