Homélie de Mgr Laurent Ulrich - Messe de Clôture de la semaine du jubilé du bienheureux Vladimir Ghika, à la Chapelle Notre-Dame de la Médaille-Miraculeuse
Mardi 16 mai 2023 - Chapelle Notre-Dame de la Médaille-Miraculeuse (7e)
– 6e Semaine du Temps Pascal – Année A
- Ac 16, 22-34 ; Ps 137 (138), 1-2a, 2bc- 3, 7c- 8 ; Jn 16, 5-11
D’après transcription
Mgr Brizard m’a dit que toute cette belle neuvaine s’est passée magnifiquement pour nous préparer à cette journée du 16 mai qui est le jour où l’on célèbre le Seigneur à travers les bienfaits vécus, reçus et offerts par le Bienheureux Vladimir Ghika, de bonne mémoire bien sûr dans ce diocèse de Paris. Mais aussi, puisque nous avons la joie de célébrer avec le curé de la cathédrale de Bucarest, avec le curé gréco-catholique de la paroisse qui est ici à Paris, et avec d’autres prêtres qui manifestent l’universalité de l’Église dans leur diversité, et avec vous bien sûr qui manifestez aussi cette grande diversité de l’Église qui tend toujours davantage à l’unité que le Seigneur veut pour elle.
Mais d’abord commençons par évoquer la première lecture que nous venons d’entendre. L’apôtre Paul et l’un de ses compagnons du moment, qui s’appelle Silas, sont arrivés depuis peu en Europe. Ils sont arrivés à la ville de Néapolis puis à Philippes qui est en Macédoine, au nord de la Grèce aujourd’hui. Et là ils ont commencé à annoncer l’Évangile dans cette partie du monde où nous habitons aujourd’hui. Mais voilà que leur prédication, au dire de quelques-uns, a semé du trouble dans la ville. Une prédication qui n’était pas faite pour attirer la violence mais quand même l’annonce de Jésus qui libère les hommes, qui les ouvre à la grâce de Dieu, est une prédication dérangeante. Et voilà qu’elle a suscité, en effet, des échauffourées dans cette ville de Philippes qui nous est bien connue à nous, à cause de l’épître de Paul aux Philippiens. Et voilà que cela conduit Paul et Silas en prison.
C’est ce qui est arrivé aussi au Bienheureux Vladimir, et la lecture, qui est la lecture du jour, est bien adaptée pour comprendre ce qui lui est arrivé à lui aussi. A la fin de sa vie, alors qu’il avait déjà eu une assez longue vie, il se trouve lui aussi emprisonné à cause de la foi et à cause de l’unité de l’Église à laquelle il voulait contribuer par son apostolat et par sa prière. Il ne renonce pas à cela, et cela va le conduire à la mort. Mais vous avez entendu ce détail dans la première lecture, Paul et Silas dans la prison chantaient les louanges de Dieu. Et de la même façon, le Bienheureux Vladimir chantait la louange de Dieu en prison et réconfortait ceux qui étaient avec lui. C’est un grand et beau signe qui a été bien repéré par, je crois, un de ses compagnons qui disait de lui : je n’ai jamais vu un homme aussi libre, les murs de la prison n’existaient pas pour lui. Parce qu’il faisait la volonté de Dieu jusque dans ces deux dernières années de sa vie, marquées par cette situation d’emprisonnement et de sévices qui l’ont affaibli et l’ont conduit à la mort à l’infirmerie de la prison en ce 16 mai de 1954. Il avait accompli ainsi un chemin magnifique de dépouillement de lui-même. Comment avait-il pu arriver à cette liberté de témoigner de la foi y compris au milieu de la prison et des sévices qui lui étaient faits, sinon en se laissant dépouiller de lui-même et habiter tout entier par le Seigneur Jésus-Christ auquel il avait voué son existence ?
Mais comment se dépouillement s’est-il opéré ? Dans sa longue vie, cet homme de naissance princière, habitué très tôt à la vie de grande culture et aux rencontres internationales, à une aisance dans le monde tel qu’il est et pas simplement dans le monde qui l’entoure, dans le vaste monde qu’il connaissait, habitué à parler des langues, cet homme qui aurait pu prétendre à de belles carrières, voilà qu’il rencontre sur son chemin, lui né orthodoxe, le catholicisme qu’il veut adopter pour lui-même. Mais non pas comme une sorte de rupture plutôt pour manifester le désir d’unité de Jésus pour son Église, pour qu’habite en lui à la fois l’Orient et l’Occident, rapprochant en lui l’orthodoxie et le catholicisme, et prêt à souffrir pour que dans son corps, dans son âme, son esprit à lui, vive le désir le plus grand d’unité. Il désirait être catholique pour être mieux encore orthodoxe, ainsi qu’il l’a exprimé.
Et ce chemin, il va le vivre en recevant des missions diverses et en demandant un jour, un peu tardif peut-être mais beaucoup d’obstacles se sont présentés dans sa vie, à devenir prêtre du diocèse de Paris. Et c’est une immense joie de savoir que ce prêtre du diocèse de Paris, né et ayant vécu ailleurs qu’à Paris, va remplir son ministère de telle façon que le Pape Pie XI parlera de lui comme du vagabond apostolique, capable d’aller très loin pour porter cette nouvelle. Et puis, finalement, après avoir exercé son ministère à Paris et ailleurs, ayant exercé son ministère à Villejuif - là où notre neuvaine a commencé – il retourne en Roumanie au moment si difficile où commençait cette période de la Seconde Guerre mondiale, pour être au plus près des plus pauvres, des plus souffrants, se laissant repousser aux périphéries, comme dirait le Pape François, accueillant en sa propre vie la proximité et le dénuement. Dans la proximité des plus oubliés, les accueillant dans sa vie, se laissant accueillir par eux, il désire sans cesse s’approcher de ceux qui avaient le plus de mal à vivre, et aussi de ceux qui représentaient pour lui le plus grand désir de l’unité dans ce pays de Roumanie, là où vivent des Églises chrétiennes, encore aujourd’hui séparées, afin que puisse se manifester dans l’action apostolique, dans la prière, le soutien à la vie chrétienne, le soutien à la petite Église gréco-catholique, la plus grande gloire de Dieu. Et c’est un chemin à travers lequel il a ainsi appris à se défaire de lui-même, et à se remettre tout entier à la volonté du Seigneur.
On peut dire que les derniers mots de l’évangile que nous venons d’entendre sont parfaitement illustrés par le destin extraordinaire, de cet homme. L’évangile met dans la bouche de Jésus ces mots, avec la force de l’Esprit Saint, quand il viendra, lui le défenseur, il établira la culpabilité du monde en matière de péché, puisqu’on ne croit pas en moi, dit Jésus. Et le Bienheureux Vladimir accepte de comprendre que - dans le monde où nous sommes, dans le monde de son époque marqué par les idéologies, les idéologies communistes implantées dans l’Europe centrale et l’Europe orientale -, en effet on n’accepte pas, on ne croit pas en Jésus. Mais il porte le témoignage de Jésus.
Il est dit dans la phrase suivante, le Défenseur établira la culpabilité du monde en matière de justice - ce qui concerne l’apôtre, l’évangéliste, mais aussi celui qui part en mission comme le prêtre dont nous parlons aujourd’hui -, puisque je m’en vais auprès du Père. C’est cela la vraie justice, c’est de croire que Jésus va vers le Père et que nous, nous sommes en chemin avec Jésus pour aller vers le Père. C’est cela que croyait le Bienheureux : accepter de ne plus voir Jésus, de le savoir auprès du Père et auprès de nous, invisiblement mais vraiment. Ce témoignage de la foi, il le rend, et à cause de ce témoignage de la foi, il va donner sa vie, comme son maître.
Et en matière de jugement - c’est la dernière phrase de notre passage - puisque le prince de ce monde est déjà jugé, le Bienheureux Vladimir savait que même si le don de sa vie conduisait à sa mort comme martyr, à sa mort dans l’oubli, à sa mort après des souffrances, des sévices et dans la prison, il savait que les forces du Mal, contre lesquelles il avait lutté toute sa vie, les forces du Mal qui enferment les hommes, qui les mettent dans des prisons, qui les soumettent à la violence, les forces du Mal sont déjà vaincues par le combat de Jésus.
Immense espérance dont il a voulu témoigner par toute sa vie, en se laissant dépouiller de lui-même et habiter par le Christ.
C’est un chemin qui arrive si souvent dans la vie de ceux auxquels nous nous recommandons : les bienheureux, les saints, les disciples du Seigneur. Chacun de nous nous essayons de vivre ce chemin où nous nous laissons transformer par le Seigneur, où nous nous laissons habiter par lui, où nous nous laissons dépouiller de nos richesses personnelles, de culture, de bien-être, pour être au service de la volonté de Dieu.
Que le Seigneur nous permette de demander au Bienheureux Vladimir de nous accompagner sur le chemin du don de nous-même, à lui et aux autres, pour le bien de son Église, pour le bien de l’unité des Églises, pour le bien de l’unité des chrétiens et de l’unité de toute la famille humaine.
Bienheureux Vladimir Ghika, priez pour nous.
+Laurent Ulrich, archevêque de Paris