Homélie de Mgr Laurent Ulrich - Ordinations sacerdotales à Saint-Sulpice
Samedi 24 juin 2023 - Saint-Sulpice (6e)
– Voir l’album-photos de la messe d’ordination.
– Nativité de Saint Jean-Baptiste
- Is 49, 1-6 ; Ps 138 ; Ac 13,22-26 ; Lc 1, 57-66.80
La naissance d’une vocation et le récit que l’on en fait sont propres à chacun, et c’est d’ailleurs pour cela que nous sommes friands d’en entendre souvent. Les prêtres, les religieuses, les évêques et quelques autres spécimens de vie chrétienne sont régulièrement sollicités de donner leur témoignage. Ainsi le récit qui concerne le prophète Isaïe dans ce chapitre 49 rapporte une vocation qui trouve sa racine dès avant sa naissance : c’est dans le sein de sa mère qu’il est repéré par Dieu, appelé par son nom, déjà sur la route d’un destin incomparable. Nombre d’entre vous qui sont familiers de la lecture de l’Écriture savent qu’un autre récit, au chapitre 6 du même livre, donne une version plus factuelle : dans une vision, une sorte de moment mystique, ou en tout cas dans une prière instante, ce prophète voit une situation tragique qui se prépare pour son peuple et comprend qu’il aura besoin de la force de son Dieu pour mettre en garde ce peuple contre les dangers qui le menacent de l’extérieur comme de l’infidélité qui le mine de l’intérieur. De la même façon, parmi vous cinq, la perception de l’appel ne s’est pas faite au même moment de l’existence et les façons de le raconter peuvent varier. Mais il y a toujours cette certitude qui s’impose : « j’ai du prix aux yeux du Seigneur, c’est mon Dieu qui est ma force » que l’on peut traduire : je suis aimé à un point tel que je ne peux garder cet amour pour moi seul, surtout dans les circonstances toujours difficiles de la vie des personnes dont je suis proche et de la vie de ce monde qui ne manque ni de beauté ni de tragique. Il y a une prédication en parole et en acte qui se révèle nécessaire, intensément nécessaire.
Autre vocation, celle de Jean-Baptiste : Luc, l’évangéliste, rapporte le récit d’une vocation in utero. C’est l’ange du Seigneur qui a désigné cet enfant de Zacharie et Élisabeth dès avant sa naissance, lui a déjà donné son nom dont la signification est « Dieu fait grâce » et c’est tout un programme. C’est là encore une histoire singulière qui commence à s’écrire ; chacun retient son souffle et se demande ce que Dieu veut à cet homme et à sa génération qui n’entend pas clairement sa voix : même le prêtre Zacharie s’est montré incrédule ! Mais, dans le récit des Actes des apôtres que nous venons d’entendre, l’apôtre Paul parlant de l’appel de Dieu à la conversion du peuple, fait référence à la vocation de David et à celle de Jean qui est celle de l’annonce du Sauveur que Dieu désire envoyer au monde. Vocation d’adulte qui a pris conscience que le monde dans lequel il baigne a grand besoin d’entendre une bonne nouvelle de salut, de pardon, de réconciliation.
Mission redoutable, mission bien au-dessus des forces humaines, ainsi que le comprennent tous les prophètes de l’Ancien Testament comme Isaïe : « je me suis fatigué pour rien, c’est pour le néant, c’est en pure perte que j’ai usé mes forces ». Isaïe, comme on le voit, fait référence à sa vocation d’avant la naissance, mais c’est alors qu’il a déjà vieilli et revient sur son passé qu’il a le sentiment de n’avoir rien fait ! Mission pourtant demandée aux hommes fragiles que sont ces prophètes : « le Seigneur m’a dit : Tu es mon serviteur, Israël, en toi je manifesterai ma splendeur. »
Mystère étonnant de l’appel adressé par Dieu, c’est impossible et pourtant cela se fait… avec la puissance de l’amour de Dieu ! Mystère incroyable de cet appel : cela existait dès avant la naissance, mais cela se comprend peu à peu, dans une vie d’adulte qui ouvre les yeux sur le monde et sur sa propre vie, sur les fragilités humaines et ecclésiales et sur les attentes du monde et des hommes d’être délivrés du mal, du mensonge, des violences et de la mort.
Hadrien, Paul, Maxime, Paul et Baudoin, votre histoire est là et vous la reconnaissez. Dans nos conversations récentes, si profondes, si riches, si denses et émouvantes pour moi, j’ai vu que vous identifiiez bien cet appel du Seigneur à le servir en servant vos frères. Depuis l’année de discernement à la Maison Saint-Augustin et les années de séminaire, vous avez profondément changé, vous vous êtes laissé transformer par le Seigneur qui vous appelle. Vous avez laissé mûrir en vous un véritable amour du Christ qui vous fait signe chaque jour, même si ce n’est pas toujours évident : vous avez vu grandir en vous un réel amour de l’Église.
L’Église qui ne manque pas de mettre à la disposition du plus grand nombre possible la Parole qui ne lui appartient pas mais qui la traverse et la bouscule.
L’Église qui, avec d’autres croyants ou d’autres personnes de bonne volonté qui ne reconnaissent aucune démarche religieuse en eux, se présente de mille façons auprès de personnes en précarité économique, sociale, relationnelle, psychique pour une rencontre simple et journalière : connaître, aimer, servir des personnes sur le chemin, recevoir beaucoup d’elles, et nouer des liens simples et fraternels qui redonnent confiance dans la vie.
L’Église qui rend grâce pour ce que notre temps, parfois difficile et inquiétant, nous apprend et nous dévoile des recherches humaines, par exemple dans les domaines scientifiques.
L’Église qui aime ce monde paradoxal, usant désormais trop vite ses forces, ses ressources, et conscient aussi qu’il faudrait réduire cette sorte de boulimie destructrice, et adopter un style plus sobre, sobrement heureux. C’est l’Église de la charité du Christ : elle connaît les douleurs et accompagne ceux qui les portent quotidiennement.
Mais aussi l’Église qui aime ce monde parce qu’il est le monde que Dieu aime depuis qu’Il l’a créé et parce qu’Il ne cesse pas de le tenir en vie chaque jour.
L’Église telle qu’elle est, trop humaine d’une certaine façon, entachée de multiples misères et défaillances.
Et l’Église qui est le Corps du Christ que nous formons, le Corps qu’Il forme en nous pour que nous ne perdions jamais courage et confiance au milieu des difficultés que nous traversons. C’est l’Église de l’espérance que Dieu met en elle depuis deux mille ans à travers les soubresauts de l’Histoire.
Et enfin l’Église qui sait pouvoir compter sur le Seigneur seul. Elle chante et elle prie sans cesse : dans les monastères et dans les modestes églises de quartier, dans les cathédrales – la nôtre qui se reconstruit – et dans les chambres les plus retirées, dans les hôpitaux et les prisons, dans la rue et dans les familles, chez les désespérés et les solitaires… l’Église qui prie pour que se lèvent de nouveaux disciples, des amoureux de l’Écriture et des prédicateurs, des théologiens et des catéchètes, des pasteurs et d’humbles serviteurs… L’Église qui tient ouvertes les portes de ses églises et prend les visiteurs pour des personnes en quête de vérité, de bonté et de don de soi.
Vous aurez à cœur de prier pour toutes les vocations qui feront rayonner l’amour de Dieu, le don de la vie du Christ et la force bienfaisante de leur Esprit commun.
Vous avez et vous aurez à cœur de prier et faire prier pour que d’autres suivent le même chemin que le vôtre.
Vous aurez à cœur de croire que le Seigneur ne cesse d’appeler, même si vous êtes déroutés par ses façons de faire.
Oui, vous aimez l’Église, cet amour a grandi en vous ces dernières années et plaise à Dieu qu’il continue de grandir en vous, de vous transformer jour après jour et de se transmettre autour de vous, aussi mystérieusement que sûrement.
+ Laurent Ulrich, archevêque de Paris