Homélie de Mgr Laurent Ulrich - Messe de la nuit de Noël avec l’aumônerie à la chapelle de l’Hôpital Tenon
Dimanche 24 décembre 2023 - Chapelle de l’Hôpital Tenon (20e)
– Nuit de Noël
- Is 9,1-6 ; Ps 95, 1-3.11-13 ; Tt 2,11-14 ; Lc 2,1-14
En cette messe de la nuit de Noël, nous venons d’entendre un évangile qui commence par ces mots : « En ces jours-là, parut un édit de l’empereur Auguste, ordonnant de recenser toute la terre. » C’est tout à fait comme si, dès le début de l’évangile, l’évangéliste voulait dire : ce qui arrive dans cette nuit étonnante de la naissance du Sauveur concerne toute la terre. Bien que cela se passe dans un tout petit coin de la Palestine, dans une époque où ce pays est occupé par les Romains, c’est déjà le signe que cela concerne le monde entier. Et nous retenons cette leçon qui nous est donnée à travers cette ouverture de l’évangile de la Nativité de Jésus. Nous comprenons que, même au tout début de l’histoire de l’Église, aux premiers chrétiens, qui n’étaient que quelques centaines ou quelques milliers, l’évangéliste dit : ce qui arrive aujourd’hui, ce que je vous raconte dans l’évangile ne concerne pas que les croyants mais bien le monde tout entier. Dans des moments où nous sentons que nous ne sommes plus le grand nombre ni la multitude, nous savons pourtant que notre foi et ce que nous professons, ce pourquoi nous continuons de prier et de faire confiance à l’Esprit de Dieu, concernent non seulement ceux qui sont croyants, ceux qui se savent touchés par cet évangile, ceux qui en ont entendu parler, mais aussi ceux qui n’en n’ont jamais entendu parler et qui ne semblent pas touchés par cela. Pourtant, nous le croyons, nous savons que c’est le mystère même de l’histoire humaine résumée dans la venue du Sauveur qui fait comprendre que tout homme, toute femme, peut se sentir un jour ou l’autre touché par cette bonne nouvelle de l’amour de Dieu pour l’humanité tout entière et pour le monde tout entier qu’il a créés et qu’il maintient en vie jour après jour.
Retenons d’abord cette première leçon de cet évangile et de cette nativité : la prière que nous faisons pour nous-même et pour nos proches, elle peut sans cesse se porter vers le monde entier en croyant et en espérant que Dieu ne l’abandonne jamais, mais que la venue de son Fils sur notre terre est un signe de cet amour universel.
Ensuite, deuxième chose, que je tire de la première lecture du prophète Isaïe : ce sont les circonstances dans lesquelles se passe l’annonce de la venue d’un Sauveur. Ce sont des circonstances difficiles. « Le peuple qui marchait dans les ténèbres » : voilà quelque chose de fort ! Le peuple qui ne savait pas vers où il allait ; le peuple qui croyait que c’était la nuit sans cesse parce que la vie était trop difficile ; le peuple qui fuyait probablement ceux qui en voulaient à sa vie et par conséquent qui évitait la force et la puissance de ceux qui le mettaient en captivité ou en joug. Le joug qui pesait sur le peuple, la barre qui meurtrissait son épaule, et le bâton du tyran avons-nous entendu. C’est-à-dire que toutes les circonstances qui font souffrir les hommes, les circonstances tyranniques que créent ceux qui exercent des pouvoirs injustes, mais aussi les circonstances de violence et de guerre, mais aussi les circonstances de maladie, de faiblesse, de fragilité économique, de précarités de toutes sortes, sont concernées par le message de l’évangile. Quand le prophète Isaïe annonce la naissance d’un Sauveur, une naissance qui pourrait changer la face du monde, il n’ignore pas que la vie des hommes est difficile. Il n’est pas dans la vie rêvée, il n’est pas dans une vie idéalisée. Il sait que la vérité c’est en effet la difficulté de vivre. Il connaît les souffrances, il les prend en compte et il sait, dans sa foi de prophète de l’Ancien Testament, que Dieu vient au secours des faiblesses, des fragilités, des violences et de la vie des personnes qui sont victimes, de quelque façon que ce soit.
Alors, ayant considéré que Dieu s’occupe du monde entier, que Dieu s’occupe du monde qui souffre, voilà que nous entendons l’annonce de la naissance d’un enfant. Et qu’est-ce qu’elle change dans notre existence ? Eh bien elle dit que le salut vient par la douceur. Le salut ne vient pas par la violence, le salut ne vient pas par la réponse à la violence, le salut ne vient pas par la force et la magnificence mais par la naissance d’un enfant qui apporte la douceur de l’amour de Dieu.
Dans les circonstances violentes que notre monde traverse, entendre ce langage a évidemment quelque chose de très fort et de très beau : nous entendons que des hommes et des femmes sont touchés par la force de l’Esprit de Dieu qui vient dans le cœur des hommes, les convertit, les fait changer et les fait désirer qu’il y ait plus de paix, plus de justice, plus de douceur pour l’humanité.
Il est très clair que ce qui se passe dans un hôpital, avec des médecins, des soignants et tout un personnel qui prend soin de ceux qui sont dans la maladie, et parfois dans la détresse, est un signe de cette douceur. La présence d’une aumônerie dans un hôpital signifie aussi que c’est dans la douceur que l’on accompagne les situations douloureuses de la vie et que c’est un signe de renaissance, que c’est un signe de vie, que c’est un signe de paix, que c’est un signe de la proximité de Dieu qui est donné pour continuer sur des chemins difficiles, non pas par la puissance mais par la douceur. Nous en avons vraiment besoin à tous les niveaux de nos existences et à tous les niveaux de souffrance et de dureté de la vie des hommes de notre époque comme de toutes les époques. Le salut vient par le don de Dieu dans la vie de Jésus. Le salut vient par le message de paix et de douceur qu’il apporte au monde. Chacun peut se mettre en relation avec Lui, accepter la relation qu’il veut nouer avec nous, qui apaise et qui porte le bien plutôt que la violence, qui porte la paix plutôt que l’injustice, qui porte la joie plutôt que la tristesse.
+Laurent Ulrich, archevêque de Paris