Homélie de Mgr Laurent Ulrich - Messe à Saint-Louis-des-Français à l’occasion du Jubilé 2025 des Pouvoirs publics

Dimanche 22 juin 2025 - Saint-Louis-des-Français (Rome)

 Le Saint Sacrement du corps et du sang du Christ — Année C

- Gn 14, 18-20 ; Ps 109 (110), 1, 2, 3, 4 ; 1 Co 11, 23-26 ; Lc 9, 11b-17

On disait autrefois, et peut-être le dit-on encore aujourd’hui, la « Fête-Dieu », avec procession, pétales de roses et adoration au reposoir, puis, la fête du Saint-Sacrement, abrégé de « solennité du Saint-Sacrement du corps et du sang du Christ ». C’est au XIIIe siècle, d’abord à Liège, puis moins de vingt ans plus tard dans toute l’Église catholique, que l’on a commencé à célébrer cette fête : il y avait manifestement un besoin, une nécessité pastorale de redonner sens et force à la pratique des sacrements, et on peut dire que c’est un peu le cas aussi aujourd’hui.

Certes nous voyons un renouveau prometteur mais ce n’est pas pour faire oublier une chute immense dans la foi et la confiance dans la signification puissante de la célébration des sacrements pour convertir le cœur des croyants, pour solidifier une foi neuve, pour certains, une foi neuve en l’assurance de la présence active du Seigneur dans nos vies personnelles, dans nos vies en société, dans nos vies en Église et comprendre comment les sacrements agissent, travaillent au cœur du monde comme un feu, comme la fission nucléaire qui engendre des conséquences immenses et en chaîne, pour reprendre une expression du pape Benoît XVI.

Que se passe-t-il, selon l’apôtre Paul dans le passage de la Première Lettre aux Corinthiens que nous avons lu ? Il a reçu d’abord cela : « Je vous ai transmis ce que j’ai moi-même reçu. » Le Seigneur prit du pain, raconte Paul, fit la bénédiction, le rompit et le donna. C’était la veille de sa Passion et Jésus ainsi donnait sens à l’offrande de lui-même qu’il accomplirait le lendemain : « Ma vie nul ne la prend mais c’est moi qui la donne. »
Le récit que nous appelons « multiplication des pains », dans saint Luc au chapitre 9, est surtout l’annonce et la première manifestation d’un don surabondant du Fils de Dieu, manifestation du Salut devant une foule qui n’a peut-être rien vu de la chose mais qui a reçu le don. Ce récit utilise les mêmes mots : « Il prit les cinq pains et les deux poissons » - et pour le groupe des élus français qui sont là nous avons vu hier au réfectoire du couvent des Minimes de la Trinité-des-Monts le miracle de Cana qui dit d’une certaine façon la même chose. Il prit le pain, prononça sa bénédiction, rompit le pain et le donna aux disciples pour qu’ils les distribuent. Il y a donc une mission de faire profiter de la surabondance du don de Dieu pour des foules, c’est-à-dire pour tous.

Dans la Première Lettre aux Corinthiens c’était : « Chaque fois que vous ferez cela faites-le en mémoire de moi, proclamez ainsi la mort du Seigneur dans l’attente de son retour. »

Quatre gestes que nous faisons à chaque eucharistie - nous le dirons dans un instant : il prit le pain, il dit la bénédiction, il le rompit et le donna à ses disciples. Tout ceci pour dire que l’eucharistie ce n’est pas un morceau de pain plus ou moins magique, mais ce sont des gestes que le Christ fait encore parmi nous. Il prend ce que nous avons apporté ou fait avec les fruits de la terre, il rend grâce à Dieu pour cela. Il le fractionne pour commencer la réaction en chaîne et il le donne pour que cela touche, que cela concerne les personnes que nous sommes et beaucoup d’autres. Signe de sa présence, signe de son attention au besoin des hommes, signe de son action qui nous ouvre au vrai don de la vie qui est en nous. La révolution de l’amour, du don de soi qui sauve le monde et nous y convertit commence là. Le philosophe Jean-Luc Marion a écrit, en pensant à l’eucharistie notamment : « Le don fait oublier le donateur. » C’est-à-dire que ce que nous recevons, nous avons tendance à l’enfermer à notre seul usage, mais Jésus-Christ, lui, demande que ce que nous recevons nous transforme au point de devenir semblables à lui, de vivre à sa ressemblance, de vivre comme lui qui se donne.

C’est le début de la mission : l’eucharistie est une nourriture non pas pour satisfaire notre besoin mais pour développer en nous la faim de Dieu, le désir même de Dieu pour tous, le désir de partager notre vie, de la donner. Tous nos engagements, et bien sûr je pense tout particulièrement à vous qui êtes engagés dans la vie publique, mais aussi à chacun d’entre nous dans nos vies ordinaires, concrètes, personnelles et interpersonnelles, tous nos engagements, pour la paix, la paix dans le monde, la paix autour de nous, la paix dans les cœurs, tous nos engagements pour le bonheur d’une société juste, honnête, serviable, respectueuse de tous et particulièrement des plus oubliés, des pauvres, des fragiles, tous nos engagements pour l’ouverture du monde à Dieu trouvent dans la confiance en Dieu la plus belle des énergies et dans la vie sacramentelle la plus grande des forces pour y participer avec le Christ.

Adorons donc le Christ présent et agissant en nous par son eucharistie et ses autres sacrements. Recevons-le pour que notre vie se laisse transformer par lui et que, dans cette puissance qui rejoint les extrémités de la terre, le monde soit lui-même gagné par le don du Christ à tous.

+Laurent Ulrich, archevêque de Paris

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