Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe des étudiants d’Île-de-France 2014
Jeudi 13 novembre 2014 - Notre-Dame de Paris
Comme à l’époque du Christ, la question de l’origine et de la fin des temps surtout nous interroge. On pense trouver une clef de compréhension universelle. La venue du Règne de Dieu n’est pas de l’ordre du naturel mais s’inscrit dans le mystère de l’histoire des hommes, dans leur existence quotidienne.
– Phm 7-20 ; Ps 145, 6-10 ; Lc 17,20-25
Frères et Sœurs, Chers amis,
Les Pharisiens ne sont pas les seuls à s’inquiéter de savoir quand, comment et où viendra le règne de Dieu. Ils sont les seuls à l’exprimer dans ces termes qu’ils ont hérités de la tradition juive. Mais la question de l’accomplissement, de l’achèvement de l’humanité, du monde, du cosmos, est une question qui habite le cœur de tout homme, soit pour scruter les origines, soit pour spéculer sur la fin. On voudrait tellement savoir comment cela a commencé, et on voudrait surtout tellement savoir comment cela finira. Aussi, tout le monde s’interroge : qu’est-ce qui devient signe ? Qu’est-ce qui peut nous apporter une étincelle de vérité sur ce déroulement de l’histoire dont notre petit créneau de quelques millions d’années a réussi à se convaincre qu’il en est le centre ? Puisqu’il en est le centre, il pense qu’il doit pouvoir en maîtriser toutes les dimensions. Et puisque l’homme est habité par cette inquiétude de son devenir, de son devenir personnel, de ce que chacune et chacun d’entre nous va devenir et du devenir collectif de l’humanité, alors tous sont aux aguets. Quand le règne de Dieu va-t-il venir ? Quand tout cela va-t-il arriver ? Faut-il scruter le cosmos ? Nous vivons depuis 48 heures dans la fébrilité d’une réussite qui a marqué l’exploration de l’espace. Au XIXe siècle, on explorait les continents inconnus, maintenant on est passé à une autre dimension. Et avec toujours cette idée qu’il y a quelque part… le secret, la clef ! Et si on se débrouille bien, on finira peut-être par la trouver. Mais qu’est-ce que l’on en fera ? Comment cette découverte, ces découvertes successives peuvent-elles contribuer au développement de l’homme ? Ou bien peuvent-elles contribuer à l’enfermer ? Est-ce que ces clefs que nous découvrons peu à peu dans l’univers ouvrent notre intelligence ? Ou est-ce que ces découvertes des clefs de l’univers nous referment sur les craintes de ce qui pourrait advenir ?
La réponse du Christ aux Pharisiens doit nous aider à comprendre. Le règne de Dieu, l’accomplissement de l’humanité, de l’histoire, du cosmos, n’est pas un phénomène naturel, ce n’est pas le terme d’une évolution naturelle, ce n’est pas une sorte de phénomène géologique qui arrivera. C’est un événement d’un autre ordre. Aussi bien, nous pouvons scruter le ciel et la terre et les abîmes, nous pouvons user nos yeux et nos cellules grises pour essayer de mettre en forme la logique de ce monde, et nous devons le faire pour que ce monde soit vivable et habitable, mais quand nous aurons fait tout cela, nous n’aurons toujours pas la clef, car la clef ne se laisse pas trouver ici ou là, à tel moment où à tel moment, elle n’est pas comme un objet qui serait caché à nos yeux. Elle est comme un mystère qui habite l’histoire des hommes. Et le mystère qui habite l’histoire des hommes, nous ne pouvons pas le découvrir au terme de nos spéculations, nous devons y entrer et le découvrir dans la puissance de son signe. Ce que nous vivons ce soir, en priant pour la paix dans le monde, franchement, en comparaison des événements universels, c’est moins qu’une tête d’épingle, cela ne représente pas grand-chose, à l’échelle des événements du monde, non seulement de tous les siècles mais même du présent ! Peut-être que les discussions entre le président Obama et le président chinois ont eu plus d’importance pour l’avenir de l’humanité que notre soirée ! Et pourtant, ce que nous faisons ce soir peut devenir un levier, un élément de transformation. Vous êtes quelques milliers ici ce soir, on va multiplier par deux par ceux qui auraient pu venir et qui ne sont pas venus ou qui auraient voulu venir et qui n’ont pas pu venir, ou par trois, allons jusqu’à quinze milles cela ne fait pas cher… C’est rien du tout ! Enfin, c’est très bien… mais ce n’est rien du tout par rapport à la masse des étudiants en France et même en Ile-de-France. Un tout petit troupeau ! Certes vous êtes très beaux et on peut être fier de votre présence et de votre implication, mais nous sommes très peu de chose, du levain dans la pâte. Un peu de levain dans la pâte, mais si ce levain est vivant, il fait lever toute la pâte.
Et donc notre problème n’est pas de trouver les signes et les manifestations les plus fortes pour impressionner les seuls qui comptent aujourd’hui, c’est-à-dire les médias, mais de chercher au fond de notre cœur, la présence de ce règne de Dieu qui est parmi nous. Comme il est dit dans l’Écriture, la parole n’est pas cachée au loin, elle est dans ton cœur. Le royaume n’est pas dans les galaxies, il est sur notre terre, avec nous, parmi nous, si nous arrivons, si nous apprenons à le déchiffrer, à le reconnaître et à comprendre que la force qui bouleverse le monde n’est pas le côté people, ou un événement exceptionnel, c’est la profondeur de l’amour par lequel le Christ a changé le monde en acceptant de livrer sa vie.
C’est pour cela que la petite épître à Philémon est très intéressante. Elle nous montre un régime de relations humaines, fraternelles, délicates qui ne correspond pas à la vision habituelle que nous avons des relations sociales. Vous avez entendu avec quelle délicatesse Paul essaye de convaincre Philémon que son esclave n’est plus un esclave. Certes il pourrait user de la puissance de l’autorité apostolique, de la reconnaissance que Philémon a envers lui, etc. Ce n’est pas à cela qu’il fait appel ; il fait appel à son amour, à sa charité : « J’ai besoin ».
Frères et sœurs, nous sommes appelés par le Christ à vivre cette réalité du règne de Dieu à travers le tissu ordinaire de nos existences, pas nécessairement à travers des événements spectaculaires mais à travers la fidélité quotidienne qui inscrit le règne de Dieu parmi nous. Dispersés que vous êtes dans vos universités, vos facultés, vous êtes le levain dans la pâte, vous actionnez le règne de Dieu si vous entrez vraiment dans des relations de charité et d’amour. Amen.
+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.