Homélie du Cardinal André Vingt-Trois - Messe du 1er dimanche de l’Avent à la Maison Marie-Thérèse
Dimanche 29 novembre 2020 - Maison Marie-Thérèse (14e)
– 1er dimanche de l’Avent – Année B
- Is 63, 16b-17.19b ; 64, 2b-7 ; Ps 79 (80), 2ac.3bc, 15-16a, 18-19 ; 1 Co 1, 3-9 ; Mc 13, 33-37
Frères et Sœurs,
Dans les temps que nous vivons, beaucoup d’événements graves affectent toute l’humanité, et des événements moins importants touchent chacune de nos vies. La foi au Christ qui est venu, qui nous a donné toutes les richesses de sa grâce comme nous dit saint Paul, et qui reviendra au moment où on ne l’attendra pas, la foi au Christ vivant aujourd’hui, présent parmi nous comme il l’a promis à ses disciples quand ils seraient réunis en son nom, ne nous fait pas contourner les événements qui surviennent. Cette foi ne nous fait pas échapper aux dangers qui menacent l’humanité, ni ne nous donne davantage la possibilité d’échapper aux événements ou de les dominer. Elle nous donne cependant la certitude intérieure que Dieu n’abandonne pas les hommes, et que, quoi qu’il arrive, Dieu reste notre Père et veille sur l’humanité qu’il a créée. Mais cette foi en la présence de Dieu, cette certitude que Dieu est avec nous à tout moment et chaque jour, nous savons qu’elle est fragile, nous savons qu’elle requiert pour chacun de nous un combat : il ne va pas de soi de croire en Dieu ! Il ne va pas de soi de vivre dans la certitude de sa présence. Il ne va pas de soi de s’appuyer sur lui à tout moment de notre vie. C’est pourquoi le Christ appelle ses disciples à être vigilants, à veiller comme le portier qui doit attendre le retour de son maître, et que son maître ne veut pas trouver assoupi ou endormi.
Veiller, qu’est-ce que cela veut dire ? Qu’est-ce que cela veut dire pour nous à l’âge que nous avons ? Dans l’état de santé qui est le nôtre ? Dans les handicaps qui nous frappent ? Dans les risques de l’épidémie qui circule ? Il vous arrive peut-être, comme il m’arrive à moi souvent de me dire : mais qu’est-ce que je peux faire ? Est-ce que je peux faire quelque chose ? Est-ce que je suis dans la situation et dans l’état de faire quelque chose non seulement pour moi, mais pour les autres ? Se poser cette question, c’est accueillir une réponse, hélas trop facile et trop rapide : je ne peux rien faire ; je ne suis plus en état de faire quoi que ce soit… Sauf une chose que rien ne peut m’enlever : ni l’usure de mes forces, ni les handicaps de ma vie, ni l’inquiétude qui peut habiter mon cœur, rien ne peut m’enlever la certitude que Dieu est avec moi, et que mon travail, ma mission, mon devoir, c’est de me tenir éveillé à la présence de Dieu.
Je ne peux plus rien faire, ou si peu, et pour les gens qui ont mené une vie d’activité intense, qui se sont donnés beaucoup de mal pour faire des choses simples de la vie quotidienne, ou des choses plus importantes, ne plus pouvoir rien faire, c’est avoir le sentiment qu’on est devenu inutile, qu’on ne peut plus aider, soutenir, accompagner. Et pourtant, quelle que soit notre faiblesse, quelle que soit notre incapacité à agir, il nous reste quelque chose à faire : c’est de veiller, veiller pour nous-mêmes, être en éveil pour accueillir la venue du Seigneur. Accueillir la venue du Seigneur quand il reviendra à la fin des temps, mais d’abord, pour préparer ce retour du Seigneur, accueillir la venue du Seigneur aujourd’hui. Car aujourd’hui il vient, comme il est venu et comme il reviendra. Aujourd’hui, il vient parler à notre cœur, il vient parler à l’humanité, il vient parler au monde entier.
Ce témoignage rendu au Christ n’est pas simplement ce que l’on peut faire, mais c’est d’abord croire en sa présence, croire en sa venue, nous réjouir qu’il vienne nous visiter, même si sa visite paraît difficile à déchiffrer. « Ah si tu déchirais les cieux, si tu descendais, les montagnes trembleraient » (Is 63,19). Mais il a déchiré les cieux, il est descendu, et les montagnes n’ont pas tremblé. Il a déchiré les cieux, il est descendu, et les cœurs des hommes, comme nous le dit le prophète Isaïe, n’ont pas été ramenés à Lui de façon stable et sûre. Ils ont continué de mener leur vie, comme si de rien n’était. Il déchire les cieux et il vient pour moi, il vient pour chacun d’entre nous, il vient pour nous tous, il vient pour les hommes, mais sommes-nous éveillés pour reconnaître sa visite ? Sommes-nous suffisamment pénétrés de la certitude de sa présence pour que notre cœur puisse reconnaître qu’il vient malgré les événements contraires ? Sommes-nous suffisamment convaincus de sa présence pour interpréter les événements et comprendre ce qui arrive au monde ? Ce qui arrive à chacun d’entre nous ? Ce qui arrive à notre communauté ? Sommes-nous suffisamment réveillés pour discerner le doigt de Dieu dans les événements qui surviennent, pour rendre grâce, parce que, comme nous le dit saint Paul dans l’Épître aux Romains, « rien, ni la mort, rien ne peut nous séparer de l’amour de Dieu » (Rm 8,38).
Frères et sœurs, veiller ce n’est pas simplement avoir des insomnies, ça, nous savons faire ! Mais que ces insomnies soient choisies pour accueillir le Christ ! Veiller, c’est ouvrir les yeux sur la souffrance du monde pour reconnaître la plénitude de la miséricorde et de l’amour de Dieu malgré les événements.
Veiller, c’est chaque jour accueillir le jour qui vient comme la venue du Christ. Oui, Dieu a visité son peuple, Dieu a visité l’humanité. Dieu nous visite, mais nous risquons d’être distraits, ou absents, ou inconscients et de ne pas reconnaître le passage de Dieu parmi nous.
Que par cette eucharistie nous soyons fortifiés dans la certitude de la présence du Christ, que nous soyons fortifiés dans la certitude du salut qu’il veut apporter aux hommes, que nous soyons fortifiés dans notre désir de l’accueillir quand il vient, Lui qui est venu pour que nous ayons la vie ! Amen.
+André cardinal Vingt-Trois, archevêque émérite de Paris