Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe de Pentecôte à la Maison Marie-Thérèse (Paris 14e)
Dimanche 31 mai 2020
– Pentecôte – Année A
Frères et Sœurs,
Il y a bien des façons d’être enfermé. Les disciples étaient enfermés, porte verrouillée, par peur des Juifs. Nous sommes nous aussi enfermés, les portes ne sont pas verrouillées mais nous n’en sommes pas loin ! Nous sommes enfermés, non pas par peur des Juifs mais par peur du virus. Et la visite de Jésus au milieu de ses disciples enfermés, arrivé comme passant à travers les murs, franchissant les barrières, vient manifester le sens de cette réunion. Quel est le moteur de la communion entre les disciples et Jésus ? Quel est le moteur de la communion ecclésiale ? Est-ce que c’est la peur ou est-ce que c’est le don de l’Esprit ?
Si nous ne pensons qu’à nos corps, dans leur dégradation, dans leur faiblesse, dans leur fragilité, si nous ne pensons qu’à nos corps, c’est la peur qui nous enferme. Mais la visite du Christ nous invite à mieux prendre conscience que nous ne sommes pas seulement faits d’un corps biologique susceptible d’être attaqué et détruit, mais que nous sommes faits aussi d’un cœur et d’une âme, et que sur ce cœur et sur cette âme, le virus n’a pas de prise !
Ainsi nous pouvons peut-être comprendre un peu la différence entre la prudence et la peur, entre la crainte et la peur, car la crainte est un don de l’Esprit aussi. La peur, c’est une sorte de dynamisme réflexe devant un danger qui mobilise toutes nos capacités de réaction pour nous protéger. La prudence, c’est l’évaluation juste du danger qui nous menace et des valeurs qui sont en jeu. La crainte de Dieu, ce n’est pas que nous soyons victimes de l’épidémie, « ne craignez pas ce qui peut seulement détruire votre corps, craignez surtout celui qui peut détruire nos âmes ». Ainsi, nous pouvons être enfermés, nos corps peuvent être enfouis dans une chambre, dans une maison, dans la terre, mais ce qui fait de nous des êtres uniques devant Dieu, c’est que nous ne sommes pas seulement des corps que l’on peut enfermer. Ce qui donne sens à l’enfermement que nous subissons, c’est l’amour qui habite notre cœur. Ce qui donne sens à notre isolement, c’est notre communion avec toute l’Église et avec l’humanité. Ce qui donne un autre horizon que les quatre murs de notre cachot, c’est l’horizon de l’universalité de l’amour de Dieu.
Nous sommes enfermés par prudence, nos corps sont enfermés par prudence mais nos âmes ne peuvent pas être enfermées. Si nous laissons nos corps dominer nos âmes, si nous laissons notre prudence dominer l’horizon universel de l’amour qui habite nos cœurs, nous ne sommes plus disciples du Christ, nous sommes disciples de nous-mêmes. C’est pourquoi la peur qui produit l’enfermement, l’isolement, la fuite, le rejet, ne correspond pas à la prudence et à la crainte que le Seigneur met en nos cœurs. C’est pourquoi au cœur de cet enfermement, nous accueillons la venue du Messie comme celui qui va redonner à notre esprit, à notre cœur, à notre âme, la dimension universelle de l’amour de Dieu. Alors même que nous sommes prisonniers comme tant d’apôtres qui ont connu cette situation, nous sommes libres parce que le don de notre personne ne peut pas être dominé par la peur, mais il est animé par l’amour. Là où règne l’amour, la crainte n’a plus de place, l’amour bannit la crainte comme nous dit saint Jean. Là où l’amour habite nos cœurs, les contraintes qui s’imposent à nos corps ne peuvent pas éteindre la flamme de l’Esprit que nous avons reçu et qui fait de nous, non pas une juxtaposition d’individus mais les membres d’un corps unique qui est le Corps du Christ et pour lequel nous acceptons que notre corps individuel soit enfermé, pour que notre âme vive à la dimension du Corps du Christ, à la dimension de la communion de l’Église, à la dimension de l’humanité.
André cardinal Vingt-Trois, archevêque émérite de Paris.