Homélie du Cardinal André Vingt-Trois - Messe du 3e dimanche de l’Avent à la Maison Marie-Thérèse
Dimanche 13 décembre 2020 - Maison Marie-Thérèse (14e)
– 3e dimanche de l’Avent – Année B
- Is 61,1-2a.10-11 ; 1 Th 5,16-24 ; Jn 1,6-8.19-28
Frères et sœurs,
Comment ne serions-nous pas touchés par la prophétie d’Isaïe qui annonce la joie et l’allégresse du salut ? Et pourtant, nous savons tous aujourd’hui qu’à travers le monde, des foules d’hommes et de femmes, d’enfants, de vieillards, sont comme abandonnés au bord du chemin. Nous savons tous que beaucoup de familles sont touchées dans leurs membres. Nous savons tous que pour beaucoup, chaque journée qui commence est une journée faite d’épreuves et qu’ils l’affrontent ou plutôt ils la subissent sans voir comment le jour se lèvera… Et même chacun de nous, pour lui-même, connaît ces moments où le chemin de la vie est comme vide, barré.
Comment entendre ce cri d’exultation du prophète ? Comment entendre l’appel de Paul aux Thessaloniciens : Réjouissez-vous sans cesse, « soyez toujours dans la joie » (1 Th 5,16). Mais de quelle joie parlons-nous ? De quelle joie s’agit-il ? Notre société, notre culture, notre civilisation ont fabriqué un commerce du loisir, un commerce de la réjouissance qui se fabrique, comme tout se fabrique, avec des ingrédients connus, mais qui, peu à peu, aboutit à instiller dans le cœur de l’homme l’idée que la source de la joie, c’est la fête, au lieu de reconnaître que c’est la joie qui est la source de la fête. Et quand la fête est finie, quand la fête est suspendue, tous sont comme désarmés, démunis : comment se réjouir s’il n’y a plus de lumière ? Comment se réjouir s’il n’y a plus de bruit ? Comment se réjouir s’il n’y a plus d’agitation ? Sommes-nous encore, aujourd’hui, capables de reconnaître une joie silencieuse, une joie intime, une joie qui monte du cœur de l’homme devant la merveille que nous avons sous les yeux ?
Alors oui, cette invitation à la joie, c’est une invitation à nous demander d’où nous attendons cette joie. D’où attendons-nous le bonheur, le salut ? Les Pharisiens et les Lévites qui ont été envoyés à la rencontre de Jean-Baptiste passent sommairement en revue les têtes de chapitres d’un salut possible : Élie ? Un autre prophète ?... Comme nous entendons tous les jours, à la radio ou à la télévision - et il faut dire dans un peuple qui est parmi les plus intelligents de la terre - une quantité de prophètes analyser tout ce qui arrive, et proposer chacun un chemin de salut, surtout s’il ne doit pas le mettre en œuvre… Nous sommes habitués à cette concurrence, à cette sorte de compétition de celui qui en promettra le plus pour en obtenir davantage ! Mais, il y a au milieu de vous quelqu’un que vous ne connaissez pas et dont personne ne parle. Il y a au milieu de vous une source du salut à laquelle personne ne fait allusion, tellement nous avons été habitués à imaginer, organiser et construire le salut de l’homme par l’homme.
Et nous qui essayons d’être des fidèles du Christ, et qui nous préparons à célébrer sa venue dans ce monde, nous avons conscience d’être témoins d’une source de salut inconnue, méconnue, oubliée, occultée. Nous avons conscience d’être la source d’une joie qui ne correspond pas aux critères de la joie commune. Ce qui se voit, ce sont les causes de mélancolie, de tristesse, de résignation, et elles sont nombreuses, elles nous touchent aussi. Mais ce qui fait le cœur de notre foi, c’est précisément que nous savons qu’au cœur de ces causes de mélancolie, de résignation, de colère, il y a une lumière qui a brillé, une lumière qui brille encore. Il y a une visite de Dieu à l’humanité qui s’est accomplie, une visite de Dieu à l’humanité qui s’accomplit encore aujourd’hui, même si nous ne voyons pas où et comment, une visite à l’humanité qui change le regard que nous portons sur notre vie et qui transforme la peur en confiance, qui transforme l’effroi en abandon, qui transforme la tristesse en joie.
Oui, comme tous, comme chacun et chacune de nos contemporains, nous avons des motifs de nous inquiéter pour nous-mêmes et pour le monde, mais à la différence de beaucoup, nous savons qu’au cœur de ces problèmes, de ces difficultés, de ces souffrances de l’histoire humaine, il y a quelqu’un que nous ne connaissons pas, mais dont nous ne doutons pas. Il y a quelqu’un que nous ne voyons pas, mais dont nous sommes sûrs qu’il est présent. Il y a quelqu’un qui est le compagnon de route de cette humanité et qui la conduit vers la lumière.
C’est pourquoi avec saint Paul, nous sommes dans l’action de grâce, et nous prions avec confiance pour être toujours dans la joie, parce que nous invoquons, en toutes circonstances pour rendre grâce, celui qui est présent au milieu de nous et que nous essayons de reconnaître jour après jour et dont la présence illumine notre cœur.
Amen.
+André Cardinal Vingt-Trois, archevêque émérite de Paris.