Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe du 1er dimanche de Carême à la Maison Marie-Thérèse
Dimanche 21 février 2021 - Maison Marie-Thérèse (14e)
– 1er Dimanche de Carême – Année B
- Gn 9, 8-15 ; Ps 24, 4-9 ; 1 P 3, 18-22 ; Mc 1, 12-15
Frères et Sœurs,
Nous sommes invités en ce début de carême à mettre nos pas dans les pas du Christ, puisque le temps des quarante jours au désert est le moment où il inaugure son mystère apostolique, l’entrée dans le chemin où l’Esprit qu’il a reçu au baptême le pousse pour aller vers Jérusalem où il va subir la Passion et la mort et où il ressuscitera.
L’évangile de Marc, à la différence de Matthieu et de Luc, ne nous dit rien sur le débat intérieur vécu par Jésus, en quoi consiste la tentation pour lui. L’évangile nous le montre comme pris entre deux mondes, le nôtre et celui des anges qui le servent, comme si cette vision de Jésus placé au cœur de forces contraires était le signe du combat qu’il va mener jusqu’au bout, combat contre les forces de mort, combat au service de la vie. Les temps sont accomplis. C’est pour ce combat que Dieu a patienté, et la patience de Dieu qui s’est manifestée dans l’alliance avec Noé est une patience universelle car l’alliance avec Noé ne concerne pas seulement le peuple élu. Elle concerne non seulement tous les êtres humains, mais aussi tous les êtres vivants. C’est comme une sorte de nouvelle création qui va surgir du déluge, comme si Dieu recommençait, faisait une nouvelle tentative pour lancer l’histoire de l’humanité sur de bons rails. Et pour garder l’humanité éveillée à cette alliance, il lui donne un signe, qui est un signe cosmique, universel. L’arc en ciel sera le signe que Dieu veille toujours sur l’humanité et que l’alliance est toujours offerte.
Mais, nous savons - parce que nous connaissons (même si c’est de façon grossière) l’histoire de cette alliance -, qu’à travers les générations, non seulement l’humanité issue de Noé, mais aussi le peuple élu avec lequel Dieu a conclu une alliance particulière en lui donnant ses commandements, ce peuple élu qu’il a établi dans sa terre, ce peuplé élu qui a été tant de fois exhorté par les prophètes à être fidèle à l’Alliance, ce peuple, comme le reste de l’humanité, a fait défaut dans l’Alliance. Par conséquent, quand les temps furent accomplis, en ces derniers temps comme dit l’Épître aux Hébreux, après avoir parlé de toutes sortes de façons, Dieu a envoyé son fils comme ultime opportunité de manifester sa patience et de renouer l’alliance avec l’humanité.
Mais justement, le fait que la mission de Jésus qui concerne l’humanité tout entière, commence par cette épreuve au désert entre les forces du mal et la puissance de Dieu au service de l’humanité, nous montre que la tentation, avant d’être l’épreuve psychologique de notre liberté à laquelle nous sommes tellement habitués par notre éducation, c’est d’abord un combat universel qui concerne toute l’humanité.
Jésus nous appelle à la conversion : « les temps sont accomplis ; convertissez-vous et croyez à la bonne nouvelle ». L’appel à la conversion n’est pas un appel à nous ensabler dans des débats intérieurs pour mesurer au millimètre si nous sommes conformes ou non, pour scruter - avec quelquefois quelques scrupules - les pensées qui traversent notre esprit, comme si le combat était principalement le combat de notre liberté psychologique, alors que le combat est principalement le combat pour la vie de toute l’humanité.
Ainsi, nous sommes invités à préparer Pâques en nous convertissant. Et je mesure ce que cet appel peut avoir d’exceptionnel, d’extraordinaire pour des gens dans notre condition. Sommes-nous encore capables de pécher ? S’il faut nous convertir, est-ce que c’est parce qu’il reste dans le fond de notre mémoire des traces, des cicatrices que nous voulons effacer ? Est-ce que nous sommes invités à scruter notre histoire, ou plutôt est-ce que nous sommes invités, dans l’état où nous sommes, là où nous en sommes, avec nos faiblesses, nos infirmités, nos difficultés de vivre chaque jour, à nous unir intérieurement au combat que le Christ entame entre les bêtes sauvages et les anges qui le servent pour le salut de l’humanité ? Nous ne pouvons plus faire grand-chose, nous ne sommes plus en situation de transformer le monde par nos initiatives ou nos activités mais du moins nous pouvons nous unir à ce combat du Christ et vivre les multiples tracas, les souffrances, les incommodités, les handicaps qui marquent notre âge, non pas comme une fatalité sur laquelle nous ne pouvons rien, mais comme une opportunité pour être plus décidément dans la proximité et dans la communion du Christ jusqu’au bout de sa mission.
Oui, chacune et chacun d’entre-nous, nous sommes invités à nous convertir non pas pour faire de l’introspection mais pour donner sens à ce que nous vivons, en le vivant comme notre participation à la Passion du Christ. Ce que je vis dans ma chair, nous dira saint Paul, c’est la Passion du Christ
Demandons au Seigneur qu’il nous fasse connaître cette joie de l’accomplissement des temps où nous pouvons enfin lui tenir la main et rester proche de lui, non pas par nos activités et nos réalisations, mais simplement parce que nous complétons dans notre chair ce qui manque encore à la passion du Christ et nous nous avançons vers Pâques dans la force de notre baptême et la consolation de l’Esprit Saint.
Amen.
+André cardinal Vingt-Trois, archevêque émérite de Paris.