« Il manque une éducation du peuple de Dieu à ce genre de phénomène »
Paris Notre-Dame du 24 octobre 2024
Depuis le 19 septembre, le Saint-Siège reconnaît la validité de l’expérience spirituelle vécue par les millions de pèlerins à Medjugorje. Joachim Bouflet, historien et spécialiste des phénomènes de piété populaire et des miracles, analyse la note du dicastère pour la doctrine de la foi.
Propos recueillis par Marie-Charlotte Noulens
Paris Notre-Dame – Par la publication de ce texte, le dicastère entend « conclure une histoire longue et complexe ». Est-ce vraiment le point final ?
Joachim Bouflet – Les phénomènes spirituels relatifs à Medjugorje, en Bosnie-Herzégovine, durent depuis 1981. C’est effectivement une histoire longue mais qui n’est pas terminée. Si la publication du dicastère a clarifié certains points, il laisse aussi des portes ouvertes. Par exemple, les messages des voyants présumés continuent d’être publiés à condition qu’ils soient soumis à l’imprimature de l’envoyé spécial du pape pour Medjugorje. Il y a tout un discernement de l’Église autour de ces messages. Certains, comme le souligne le texte, sont contraires à la doctrine et à l’Évangile. Ce ne peut donc pas être la Vierge qui les a transmis. Il faut analyser message par message ou thème par thème depuis 1981 ; cela représente un travail de grande ampleur et c’est la raison pour laquelle le phénomène est loin d’être clos. Les voyants eux-mêmes ajoutent de la com¬plexité. Le nombre de voyants présents le premier jour de l’apparition présumée est confus mais l’on sait qu’ils sont six le deuxième jour. Contrairement à l’apparition mariale à Fatima, au Portugal, chacun évolue dans sa sphère et reçoit, ou non, ses propres messages avec une spécialisation comme « la famille » ou « les non croyants ». Marija, l’une des voyantes, diffuse le message officiel, qu’elle est seule à recevoir tous les 25 du mois, tandis que d’autres parlent de dix secrets qui devaient être révélés de façon imminente depuis 1981... Je suis convaincu, par exemple, que Vicka n’a jamais rien vu (cf mon livre Impostures mystiques, éd. Cerf 2023). Mais personnellement, et je l’affirme avec nuances, je pense qu’il y a bien eu quelque chose au départ. Mais il s’agit de définir quoi et avec qui.
P. N.-D. – Comment se déroulent ces vérifications et qui en a la charge ?
J. B. – Les polémiques autour de Medjugorje ont poussé l’Église à se saisir du sujet. Dès les années 1980, des vérifications ont été diligentées par la commission d’enquête du diocèse de Mostar- Duvno. Les évêques de l’époque – Mgr Pavao Žanić puis Mgr Ratko Perić – ont condamné catégoriquement les apparitions et affirmé qu’il n’y avait rien de surnaturel. Mais leur avis n’a pas été pris en compte, même pas par le Vatican. Il faut rappeler ici que Medjugorje a la particularité de se dérouler dans un pays communiste, au moment de l’éclatement de l’URSS. Pour Jean-Paul II, pape polonais très concerné par la lutte contre le communisme, il était important de laisser une chance à cette apparition. Il y avait aussi un conflit entre les Franciscains – en charge de la pastorale à Medjugorje – et le clergé séculier. Pour avoir longtemps étudié le phénomène d’imposture mystique, la désobéissance est un critère commun, tout comme l’extraordinaire banalité des messages et les graves erreurs doctrinales. Mais, il me semble important de bien faire la part des choses concernant le texte du dicastère. Le Vatican estime qu’il n’y a rien à redire sur l’accompagnement spirituel des pèlerins et c’est pour cette raison qu’il a accordé le Nihil obstat. En revanche, il émet des réserves sur les messages et sur les personnes des voyants. Avec le recul et la non réalisation des promesses qui remontent aux années 1980 – sans parler de l’enrichissement éhonté des voyants – ce n’est pas anodin qu’il ait fallu attendre 2024 pour la publication d’un tel texte. Il y a des enjeux terriblement humains à tous les niveaux : les personnes impliquées, la politique, l’Église universelle…
P. N.-D. – Comment discerner en tant que croyant ?
J. B. – La pastorale est bien encadrée à Medjugorje, ce qui, à mon avis, prémunit des abus et des dérives spirituelles. C’est un lieu de prière et de pénitence sans que cela implique nécessairement une apparition mariale qui, en somme, n’apporte rien à la foi. D’une manière générale, il manque une éducation du peuple de Dieu à ce genre de phéno¬mène. C’est le rôle des prédicateurs. Il me semble important d’éviter de courir après les phénomènes extraordinaires. Ils sont souvent davantage l’objet d’une curiosité humaine, que la source d’une démarche spirituelle ou d’un développement des vertus chrétiennes.
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