L’enfant : un dû ou un don ?
Le 19 mars 2009
Paris Notre-Dame du 19 mars 2009
Le recours aux mères porteuses, en cas d’impossibilité pour les parents de donner la vie, pose de sérieux problèmes humains et juridiques. Ce « service pour autrui » masque l’intérêt du sujet principal, l’enfant.
L’union conjugale n’a pas pour unique finalité la filiation. Elle est d’abord la manifestation d’un amour personnel. L’enfant est la confirmation et l’accomplissement de la donation réciproque de ses parents. Aussi, il n’est pas un « droit » mais un « don ». Il doit donc être accueilli pour lui-même et son intérêt doit être premier. Dans le cas de la « maternité pour autrui », est-ce le cas ? La structuration de la personne est la conjugaison de l’identité chromosomique, de la relation foeto-maternelle et de l’accueil des parents qui font grandir l’enfant dans une société et une culture particulières. Or, dans le cas d’un embryon obtenu des parents par fécondation in vitro, il y a dissociation entre la filiation génétique et la filiation gestationnelle. Dans le cas où la mère porteuse est inséminée par les spermatozoïdes du père, elle est à la fois la mère gestative et biologique. Le développement harmonieux de l’enfant peut donc en subir les conséquences. En outre, si l’enfant, avant même sa conception, est imaginé et voulu pour un autre motif que lui-même, s’il ne correspond pas au « projet », que deviendra-t-il ? On passe subrepticement de l’accueil de l’enfant à la programmation de l’enfant avec nombre de conséquences ruineuses pour le développement de sa personne. Autre question à se poser : l’abandon de l’enfant à lanaissance peut-il être sans séquelle pour la mère porteuse ? Sur le plan juridique, la maternité pou rautrui remettrait en cause des principes fondamentaux touchant à la dignité de la personne.
En France, « La loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie. Le corps humain, ses éléments et ses produits ne peuvent faire l’objet d’un droit patrimonial. » (articles 16 et 16-1 du Code civil). Même avec son consentement, la personne ne peut renoncer à sa dignité (Conseil d’Etat 1995). Or, dans le cas des mères porteuses, le corps est instrumentalisé. Le Code civil (article 16-7) déclare donc nulle toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour compte d’autrui. Ces dispositions sont fondées : comment admettre en effet l’exécution obligatoire des « prestations » : livrer l’enfant, avorter en cas de non-conformité au projet parental (handicap) ?
En droit français, donner naissance à un enfant rend juridiquement effectif la filiation maternelle.Revenir sur ce principe fondamental introduirait une confusion dommageable pour la structuration personnelle de l’enfant qui, elle, ne dépend pas du droit. En outre, céder un enfant en établissant un contrat veut dire que l’enfant n’est pas sujet de droit mais objet dû en raison du contrat. Il est donc, suivant la classification du droit entre chose et personne, l’objet d’une réification intenable juridiquement. Si les choses ont un prix, la personne a une dignité qui n’a pas de prix.
L’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 25 décembre 2007 (concernant une maternité pour autrui) a argué de l’intérêt supérieur de l’enfant pour rendre sa décision.C’est aussi la position retenue lorsqu’il s’agit de l’adoption : on donne des parents à un enfant qui n’en a pas. Dans le cas de la gestation pour autrui, on donne un enfant à des parents qui n’en ont pas. L’enfant n’est plus le sujet principal du droit de naissance et de filiation.
L’avis d’un expert
Sylviane Agacinski, philosophe, professeur à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales.
Mardi 20 janvier, Sylviane Agacinski expliquait aux parlementaires que lorsque l’on qualifie la maternité pour autrui de “gestation”, on fait délibérément l’impasse sur le reste : mettre au monde un enfant, ce n’est pas seulement une gestation, c’est aussi une grossesse et un accouchement. Lorque l’on parle de gestation, expliquait-elle, on adopte une terminologie fonctionnelle, détachée de façon trompeuse de la grossesse et de l’accouchement. Or, un embryon ne devient pas un enfant s’il ne se développe pas dans un corps féminin, dans un utérus. L’accouchement, ajoutait-elle, implique un risque. Il est l’acte qui “fait la mère”. La dissimulation de ces réalités sous un vocabulaire fonctionnel va de pair avec le déploiement d’une rhétorique altruiste : porter un enfant “pour autrui”, serait faire preuve d’esprit de don, de générosité, de secours.