« PMA, l’Église catholique semble prise dans une contradiction »
La Croix – 16 juillet 2019
Tribune du père Laurent Stalla-Bourdillon, directeur du Service pour les Professionnels de l’Information et ancien aumônier des parlementaires, alors que le Conseil d’État rendra son avis le 18 juillet sur l’avant-projet de loi sur la bioéthique parue dans La Croix.
Face aux bouleversements scientifiques, face à la force des marchés, trouver les moyens de s’élever pour contempler et comprendre, est une nécessité. Lorsque société roule sur la technique et dans le même temps semble congédier la raison, il n’est plus temps d’interroger les dramatiques effets des techniques ni les égarements de la raison. Il convient de revenir en profondeur aux enjeux de l’existence.
L’élargissement de la PMA et ses conséquences pour la filiation
D’où vient la nécessité de l’élargissement de la PMA et la mystification du droit de la filiation que va induire le vote de la loi de bioéthique ?
La réponse appartient au champ du débat social. Il faut, sur ce terrain, que des élus parlent sinon pour le peuple dont on nous dit qu’il serait acquis à la « filiation pour tous », du moins au nom de la raison dont on sait qu’elle seule peut préserver des blessures à venir. Si personne ne peut s’arroger dans les faits une filiation par soi seul, c’est qu’il y a sans doute une bonne raison, et non une simple malfaçon de la nature qui prive l’individu d’un droit.
Lorsque le droit décrète un possible qui demeure impossible dans les faits, c’est que l’homme est entré dans un autre univers que celui du monde commun dont les lois nous gouvernent. L’humanité technicienne se crée son nouvel univers de vie au sein de ce monde jugé étroitement soumis à des contingences devenues insupportables.
Lorsque la technique est parvenue à produire ses effets de séduction et de sidération sur l’esprit des hommes, il n’est plus temps de perdre ses forces à la lutte d’arguments que la partie adverse n’a nullement l’intention de considérer. Il faudrait naturellement que les parlementaires s’interrogent et débattent. Ils s’imaginent hélas parfois devoir être les prophètes d’un monde nouveau à défaut de servir un monde meilleur. Il faudrait l’engagement de citoyens, de mouvements, au nom de convictions philosophiques ou anthropologiques qui sont les leurs pour questionner et réfléchir à la suite des États généraux de la bioéthique.
D’où je viens ?
Il faudrait surtout sortir de l’absurde. Ab-surde veut dire « être sourd à » la possibilité d’un sens, d’une cohérence de l’existence humaine, bornée dans le temps et cependant ouverte sur l’infini que chacun porte en soi. Cet horizon intérieur qui est la vie véritable de l’homme bien au-delà de sa biologie fragile et temporaire n’a pas de poids aujourd’hui.
Qui fait cas de ce que la vie temporelle est d’abord un appel à devenir ? Faire des enfants au moyen de techniques procréatives, ne dit rien de ce qu’il faut encore annoncer à l’enfant dans l’ordre du sens de son existence. Or précisément, ce sens se décrypte en premier lieu à travers la modalité concrète de la survenue de la vie de l’enfant. D’où je viens ? Le terme n’est-il pas contenu dans l’origine ?
Les évêques de France face aux prouesses techniques reproductives.
Les responsables de l’Église catholique de France ne manqueront pas d’inviter chacun à s’interroger sur les principes qui garde une société unie. Nul n’ignore, à moins de feindre l’étonnement, les réserves des pasteurs de l’Église catholique sur toutes les techniques d’assistance à la procréation, dès lors qu’elles font intervenir un tiers dans l’intime de l’union des parents. Nul n’ignore combien l’écart s’est considérablement agrandi entre les recommandations des pasteurs de l’Église et les pratiques de notre société, – dont celles de nombreuses personnes de confession catholique. Si bien que l’Église catholique semble prise dans une contradiction, et n’est plus perçue que comme l’institution s’opposant systématiquement à tout.
Les évêques de France assument une position avec tout ce qu’elle implique de possible disqualification dans les débats difficiles d’une société acquise aux prouesses des techniques reproductives.
L’Église doit cependant, aujourd’hui, oser offrir les raisons de son espérance sur l’humanité fut-elle une humanité prisonnière des menottes douces des facilités techniques. Elle va sortir de la majorité qui décide pour les autres, et se souvenir que sa seule raison d’exister est d’apporter au monde une parole d’espérance : la personne de Jésus, le Christ, en qui le terme ultime de notre vie ici-bas est dévoilé. L’Église catholique n’a pas reçu mandat de régenter le monde, mais de lui offrir le Christ ressuscité des morts.
Par-là, elle annonce à tous que la vie pour laquelle nous sommes faits est la vie qui vient. Son appel à vivre pleinement sa vie sur terre, éclairé par sa Parole d’amour, atteste qu’il y a une vie dans et par-delà la mort, à laquelle il faut se préparer. C’est ainsi que l’Église catholique, unissant pasteurs et fidèles, demeure l’indispensable pourvoyeuse d’espérance au service d’un monde qui tend à ne plus savoir où la trouver et s’aveugle dans une illusion technicienne. Les effets de la réforme du code de la filiation comme l’usage de multiples dépistages se feront sentir dans plusieurs années après que les générations conçues se soient affrontées au sens de la vie, aux raisons de leur sélection et aux conditions de leur développement et de leur croissance.
L’attention de l’Eglise sur le plus vulnérable
C’est à tous, qu’elle annoncera le sens de l’existence, quel que soit son mode de conception. Ce n’est pas la technique qui déçoit, c’est la saveur qu’elle laisse dans l’âme lorsque a fait croire qu’elle comblera d’un bonheur qui demeure inaccessible. L’Église catholique sait de quelle soif les âmes sont habitées. Si les évêques ne peuvent que regretter l’insouciante accélération de la marchandisation du vivant, ils sauront aussi semer l’espérance dans toutes les âmes, car ils ne sont pas les serviteurs de quelques-uns mais de tous.
L’Église ne se trompe jamais lorsqu’elle place au centre de son attention et attire celle du monde sur le plus vulnérable et le plus pauvre.
C’est depuis les hauteurs que l’horizon est courbe. Qui ne s’élève ne peut le dire, seul celui qui s’élève peut le constater. Aux pasteurs de l’Église catholique, aux fidèles qui vivent de l’Esprit de Jésus, et à tous ceux qui cherchent, revient la responsabilité d’aider la nation tout entière à s’élever afin qu’elle juge par elle-même de l’horizon authentique de l’existence.