Lettre pastorale de Mgr Laurent Ulrich pour l’Avent 2025 : “Un temps pour chercher ensemble : que Ta volonté soit faite”
Jeudi 27 novembre 2025
Chers prêtres et diacres, chers fidèles du diocèse de Paris, et vous tous qui lirez ce message,
Un temps pour chercher ensemble ! Lisant ces mots, vous vous reportez probablement à ce célèbre passage de Qohélet [1] : « Il y a un moment pour tout, et un temps pour chaque chose sous le ciel … ». Me semble en effet venu un temps pour chercher ensemble ce que le Seigneur attend de nous, tous ensemble, nous, l’Église que Dieu forme avec nous. Le changement d’époque dans lequel nous nous trouvons mérite que nous cherchions sa volonté, non pas seuls, mais ensemble, mettant en commun nos forces. Je vous propose deux sujets de réflexion au cours de cette lettre : la « Prospective Paroisses Paris 2035 », et le futur concile provincial au sujet des catéchumènes et néophytes dans nos diocèses d’Île-de-France.
C’est l’appel de Dieu qui fait l’Église
« L’ensemble de ceux qui regardent avec la foi vers Jésus, auteur du Salut, principe d’unité et de paix, Dieu les a appelés, il en a fait l’Église, pour qu’elle soit, pour tous et pour chacun, le sacrement visible de cette unité salutaire. » [2] C’est le Concile Vatican II qui s’exprime ainsi au sujet de l’Église et de sa mission. Ainsi, nous comprenons que toute vocation particulière dans l’Église s’inscrit dans le contexte général d’appel lancé par Dieu à tous pour entrer dans sa grande lumière et suivre le chemin qui mène à Lui.
Dans la prière pour les vocations que j’ai proposée au diocèse dans une précédente lettre pastorale, je l’exprime ainsi : « Que les familles, les paroisses et tous les groupes chrétiens soient des lieux où s’épanouissent toutes les vocations : dans la vie laïque, dans le mariage ou dans le célibat, dans la vie consacrée et la vie religieuse, dans les ministères de prêtre et de diacre. Que chacun éprouve la joie de se savoir aimé, infiniment aimé de Toi au point de désirer mettre sa vie au service de ton amour. »
C’est l’appel de Dieu qui fait l’Église, c’est donc l’appel de Dieu qui la constitue sans cesse au long de l’Histoire et lui fait rencontrer les situations les plus variées, dans lesquelles il lui faut chercher la volonté de son Seigneur, son désir pour qu’elle y annonce l’Évangile de la façon la plus fidèle et la plus adaptée au monde dans lequel elle se trouve.
Blaise Pascal (1623-1662) écrivait dans l’une de ses nombreuses Pensées : « Si Dieu nous donnait des maîtres de sa main, ô qu’il faudrait leur obéir de bon cœur. La nécessité et les événements en sont infailliblement. » [3]
La démarche à laquelle je vous invite maintenant est de nature spirituelle : il nous faut regarder lucidement les événements que nous traversons et, en regard de la Parole de Dieu qui nous rejoint quotidiennement, que nous apprenions à discerner le sens de ce que nous avons à faire. Et que nous le fassions en Église : un groupe chrétien, une paroisse, un diocèse, l’Église universelle !
Une recherche spirituelle
Nous connaissons le conseil évangélique que nous rapporte l’évangéliste saint Luc : « Quel est celui d’entre vous qui, voulant bâtir une tour, ne commence par s’asseoir pour calculer la dépense et voir s’il a de quoi aller jusqu’au bout ? Car, si jamais il pose les fondations et n’est pas capable d’achever, tous ceux qui le verront vont se moquer de lui : “Voilà un homme qui a commencé à bâtir et n’a pas été capable d’achever !”
Et quel est le roi qui, partant en guerre contre un autre roi, ne commence par s’asseoir pour voir s’il peut, avec dix mille hommes, affronter l’autre qui marche contre lui avec vingt mille ? S’il ne le peut pas, il envoie, pendant que l’autre est encore loin, une délégation pour demander les conditions de paix. Ainsi donc, celui d’entre vous qui ne renonce pas à tout ce qui lui appartient ne peut pas être mon disciple. » [4]
Nous n’avons plus à proprement parler de tour à construire ! Notre-Dame nous a été heureusement rendue. Mais il fallait d’abord et surtout la rendre disponible à la prière et aussi à la visite sans la laisser devenir un musée, une oeuvre du passé. Nous avons encore certainement à chercher comment douze millions de visiteurs annuels peuvent être touchés par la signification spirituelle de cet édifice où se célèbre le mystère d’un Dieu qui aime tout homme, et du Fils de Dieu venu pour le Salut de tous. Nous comprenons que Notre-Dame est, en notre monde, un de ces lieux privilégiés pour la rencontre avec le Seigneur vivant.
Nous n’avons pas de guerre à mener ; mais ce qui nous demande de nous asseoir aujourd’hui, c’est la façon dont notre Église à Paris demeure fidèle à sa tâche d’annoncer l’Évangile au milieu d’une société inquiète et dispersée. Cette situation ne doit pas nous affoler, elle est de tout temps, elle est clairement rapportée dans l’Évangile : « En débarquant, Jésus vit une grande foule. Il fut saisi de compassion envers eux, parce qu’ils étaient comme des brebis sans berger. Alors, il se mit à les enseigner longuement. » [5]
Jésus prend soin de son peuple en l’enseignant et il continue de le faire en le nourrissant ; il commence en le faisant asseoir paisiblement pour que chacun puisse recevoir ses bienfaits. C’est bien ce que nous avons à faire : permettre à chacun de trouver place et de vivre une fraternité autour de Lui. Quand je dis chacun, je pense à ceux qui sont déjà rassemblés et intégrés dans l’Église, les fidèles, mais aussi à ceux qui désirent s’en approcher pour entendre le Christ : ce sont les catéchumènes et les nouveaux baptisés, ceux que l’on appelle néophytes, d’un mot grec qui signifie nouvelle pousse !
Je saisis donc deux opportunités que nous avons de pratiquer ensemble dans les mois et les années qui viennent un discernement ecclésial.
Prospective : regarder un peu plus loin
Parmi les sujets que j’ai trouvés en arrivant à Paris il y a trois ans et demi, il existait une grande préoccupation – presque un défi – que vous m’aviez confiée et que j’ai considérée comme prioritaire, c’est celle d’une diminution importante et régulière de la population parisienne, environ cent cinquante mille habitants depuis dix ans, mais aussi une forte diminution de la pratique chrétienne régulière à Paris comme dans le reste de la France…
C’est pourquoi, après avoir souvent évoqué ce sujet en conseil épiscopal et en conseil presbytéral, j’avais demandé à l’un des vicaires généraux, Mgr François Gonon, de conduire, avec une équipe, une enquête et une réflexion sur des hypothèses et des scénarios en vue de soutenir et d’adapter notre organisation pastorale diocésaine et paroissiale. J’avais fixé à cette équipe l’objectif de me rendre un dossier de travail pour l’été 2025
Cette équipe s’est constituée d’une douzaine de personnes – prêtres, diacres, laïcs – sous le nom de « Prospective Paroisses Paris 2035 », en bref : 3P2035. Pourquoi 2035, pourquoi dix ans ? Il n’est pas raisonnable, à mon sens, de faire une telle prospective au-delà de dix ans. Dans ce laps de temps, nous savons déjà que l’effectif des prêtres du diocèse de Paris disponibles pour le service actif diminuera en moyenne de quatre prêtres par an. Cette vision n’est pas pessimiste, ni irréaliste : il faut huit à dix ans pour former un prêtre, nous connaissons déjà ceux qui sont en route et, approximativement, leur nombre.
Cette équipe a donc recueilli beaucoup de données sociologiques et démographiques, utiles à connaître le « terrain pastoral » de la Ville de Paris. Elle a réuni, au printemps dernier, trois assemblées territoriales d’une quarantaine de personnes chacune – une à l’ouest, l’autre au nord-est, la troisième au sud-est – pour prendre connaissance de ces données, les analyser et commencer à imaginer des propositions que l’on peut juger valables jusqu’à ce terme de 2035. Ce sont des hypothèses à approfondir maintenant.
Le dossier ainsi constitué m’a été remis en juin et a nourri ma propre réflexion pendant l’été. J’ai souhaité qu’il comporte aussi une méthode pour en rendre compte au clergé et au peuple chrétien, pour vous permettre d’y réfléchir et de faire vos suggestions. Et ceci, avant que je prenne quelque décision que ce soit qui permette de renouveler et d’entretenir le zèle missionnaire de chacune des paroisses, mouvements et services et de chacun d’entre nous, fidèles et ministres de l’Église.
C’est à cette étape que nous en sommes : je demande que chaque paroisse se saisisse des propositions et des enseignements précieux que l’équipe pilote a tiré de son travail et y apporte ses propres contributions. Je voudrais aussi solliciter votre avis, notamment ceux qui sont déjà bien engagés dans des conseils paroissiaux.
Il s’agit de rendre plus visible notre Église, certes devenue minoritaire et désormais mélangée dans une société pluraliste, multiethnique et pluriculturelle. Il n’est pas bien difficile de voir que notre société est traversée de multiples courants religieux et philosophiques. Il s’agit de ne pas être décontenancés par une situation nouvelle, parfois difficile à comprendre, mais de devenir plus réactifs dans le dialogue avec les autres : « Honorez dans vos cœurs la sainteté du Seigneur, le Christ. Soyez prêts à tout moment à présenter une défense devant quiconque vous demande de rendre raison de l’espérance qui est en vous. » [6]
L’Église que nous voulons, fidèle à sa mission dans le temps qu’il nous est donné de vivre, c’est une Église où l’on vient ensemble et joyeusement se nourrir de la Parole du Seigneur et de sa vie donnée ; où l’on est capable d’aller à la rencontre des autres qui ne nous ressemblent pas ; où l’on sait que la charité, le pardon, la bonté sont les images les plus fortes que l’on puisse donner de la ressemblance avec le Christ qui nous entraîne.
L’Église de tous, ouverte à tous
C’est le moment de citer, comme un passage qui relie les deux sujets de cette lettre pastorale, le premier texte majeur du pape Léon, qui a pris à son compte et largement développé une exhortation que François avait commencé d’écrire sous le nom de Dilexi te – « Je t’ai aimé » – et qui parle de ceux qui sont accueillis dans l’Église, à commencer par les plus pauvres :
« Le chrétien ne peut pas considérer les pauvres seulement comme un problème social : ils sont une “question de famille” ; ils sont “des nôtres”. » [7] Et encore : « Nous ne sommes pas dans le domaine de la bienfaisance, mais dans celui de la Révélation : le contact avec ceux qui n’ont ni pouvoir ni grandeur est une manière fondamentale de rencontrer le Seigneur de l’histoire. À travers les pauvres, Il a encore quelque chose à nous dire. » [8]
Dès les premières pages de ce texte, le pape avait déjà écrit : « Le fait que l’exercice de la charité soit méprisé ou ridiculisé, comme s’il s’agissait d’une obsession de quelques-uns et non du cœur brûlant de la mission ecclésiale me fait penser qu’il faut toujours relire l’Évangile pour ne pas risquer de le remplacer par la mentalité mondaine. Il n’est pas possible d’oublier les pauvres si nous ne voulons pas sortir du courant vivant de l’Église qui jaillit de l’Évangile et féconde chaque moment de l’histoire. » [9] Et le pape Léon répète la formule si intense de François : « La pire discrimination dont souffrent les pauvres est le manque d’attention spirituelle. » [10]
Catéchumènes et néophytes
Et voici le second sujet que je relève, voici du nouveau qui monte et nous interroge ! Je parle des demandes nombreuses de baptême, de confirmation et de première eucharistie par des adultes. Je ne suis pas en train de dire que les courbes statistiques sont inversées : je dis simplement que ce qui apparaissait pour quelques unités il y a seulement quarante ans – dans les premières années de mon ministère de prêtre – est devenu, au début de mon épiscopat dans les années 2000, quelques dizaines dans chacun des diocèses de France, et aujourd’hui des centaines, jusqu’à un millier de baptisés adolescents et adultes dans le diocèse de Paris, auquel s’ajoute un autre millier d’adultes confirmés en 2025. Dans le monde matérialisé et consumériste, tant et tant de personnes ont le sentiment d’un « vide spirituel » – je cite textuellement de nombreuses lettres reçues – d’une vie presque sans goût. Et voilà qu’elles font des expériences que l’on doit qualifier de spirituelles : la force d’une présence, la douceur d’un amour qui les attire et désormais remplit leur vie. Cela nous interroge et nous demande de nous arrêter. Cette demande spirituelle de nombreux adultes, parmi les plus jeunes mais aussi des moins jeunes intrigués par ce mouvement, est un événement qu’il faut regarder émerveillés, qu’il faut sonder ensemble. C’est ce que veut faire le concile provincial que nous, les évêques d’Île-de-France, avons annoncé depuis quelques mois.
Un analyste de notre société publique, rencontré il y a quelques jours avec certains confrères, disait en substance ceci : mon sentiment à l’égard de l’Église aujourd’hui, c’est que d’une part on voit sa diminution à l’intérieur de notre société, sa moindre « performance », sa « perte d’influence » pour parler comme le monde ; mais dans le même temps, c’est incontestable qu’il y a, en elle, quelque chose de vibrant, de vivant, quelque chose qui la renouvelle. Moïse au désert aperçoit un buisson qui brûle sans se consumer, il en est étonné, il fait un détour pour observer et comprendre ce qui se passe. Et c’est le Seigneur qui se manifeste à lui, au coeur de ce buisson.
L’assemblée que nous allons réunir, de la fête de la Trinité 2026 – 31 mai – à l’automne 2027, c’est ce détour, ce « pas de côté » comme on dit aujourd’hui. Et vous allez être sollicités aussi pour réfléchir à ce phénomène de vous approcher de ce buisson ardent. Vous allez pouvoir répondre, personnellement ou, de préférence, en groupe, à une enquête que nous, les évêques d’Île-de-France, travaillons avec l’équipe interdiocésaine qui prépare cet événement. Vous : ce ne sont pas nécessairement les mêmes que ceux qui auront travaillé sur la vie paroissiale et son avenir à Paris !
Nous avons vraiment besoin de mener ces réflexions en même temps. Parce que la réalité dans laquelle nous vivons est multiple, peut-être même paradoxale, et si nous ne regardons que d’un côté, nous ne serons pas de bons observateurs des signes que le Seigneur veut nous faire. Nous avons besoin d’être lucides, généreux, et prêts à suivre le Christ sur les chemins où nous Le rencontrons.
Ce message que je vous adresse aujourd’hui est un appel qui nous prépare tous à chercher ensemble ce que nous avons à vivre, à travailler pour demeurer fidèles à Celui qui nous guide sur le chemin qui mène au Père et à son royaume de justice et de paix. Chercher notre chemin, suivre la lumière de l’Évangile, accueillir ce que Dieu nous demande.
Que le Seigneur nous trouve en cette disposition que décrivait il y a un peu plus de cent ans une jeune carmélite, aujourd’hui canonisée, sainte Élisabeth de la Trinité : « Pacifiez mon âme, faites-en votre ciel, votre demeure aimée et le lieu de votre repos. Que je ne vous y laisse jamais seul, mais que je sois là tout entière, tout éveillée en ma foi, toute adorante, toute livrée à votre Action créatrice. » [11]
Ce double appel que je vous adresse est complété par des documents que vous pourrez saisir pour les travailler avec d’autres, en paroisse ou autrement. Certes tous ne seront pas sollicités pour ces travaux, tous ne se sentiront pas forcément compétents pour donner des avis sur ces sujets. Mais chacun peut participer aussi par la prière à ces recherches : ensemble nous cherchons ce que le Seigneur veut nous dire, et la prière est le moyen de demeurer dans cette intention.
Unis dans la prière pour le concile provincial
Dieu notre Père qui prends soin du monde que tu aimes
Et qui conduis l’Église à travers l’histoire,
Tu lui envoies sans cesse
Des hommes et des femmes par qui
Tu la renouvelles.
Tu nous inspires de réunir
Un concile provincial en Île-de-France
Pour que d’un cœur unanime
Nous accueillions ceux que Tu as appelés
À suivre ton Fils :
Qu’ils trouvent leur place parmi nous !
Donne-nous ton Esprit Saint :
Qu’il mette en nous un souffle nouveau !
Par Jésus le Christ Notre Seigneur.
Amen
Que le Seigneur bénisse chacun de vous, lecteurs de ce message ! Qu’Il bénisse notre Église tout entière, à la recherche de Son désir ! Qu’Il bénisse notre Ville de Paris et tous ses habitants ! Qu’Il bénisse aussi toute notre région parisienne, dont les Églises s’unissent en ce concile provincial qui nous remplit déjà de beaucoup de joie à Le servir.
† Laurent Ulrich,
archevêque de Paris
[1] Qohélet 3, 1-8.
[2] Concile Vatican II, constitution sur l’Église, Lumen gentium 9.
[3] Il est toujours difficile de donner une référence précise dans les Pensées de Pascal, parce qu’elles ont été classées différemment selon plusieurs auteurs ; je cite l’édition Louis Lafuma, Seuil, 1963, Pensées 919.
[4] Lc 14, 28-33.
[5] Mc 6, 34.
[6] 1 P 3, 15.
[7] Dilexi te, 104.
[8] Ibid., 5.
[9] Ibid., 15.
[10] Ibid., 114, reprenant du pape François, La joie de l’Évangile, 2013.
[11] Dans sa célèbre prière du 21 novembre 1904 : Ô mon Dieu, Trinité que j’adore.