Qu’est-ce qu’un témoin ?
« Je ne mesure pas l’impact de mes actes ou de mes paroles, mais je sais qu’elles en ont, que ce soit dans un sens positif ou négatif. Si tant de reproches sont fait aux chrétiens concernant la justice ou la solidarité ou la sincérité, c’est que beaucoup ont une haute idée du message évangélique et en attendent des manifestations chez les chrétiens. » Chronique audio de Mgr Bruno Lefevre Pontalis.
Être “témoin” du Christ et de son message, c’est ce que Jésus a demandé à ses disciples avant de les quitter : “Vous serez mes témoins jusqu’aux extrémités de la terre”. C’est notre rôle, notre mission essentielle. Mais qu’est-ce qu’un témoin ? Au sens le plus courant, c’est un mot utilisé en justice pour désigner quelqu’un qui a vu un événement, une situation ou entendu quelque chose et qui peut le certifier, en attester la vérité devant un juge. Mais bien sûr, le mot a un sens plus large : il désigne quelqu’un dont la vie est telle que les autres en viennent à s’interroger et à questionner cette personne sur la source de sa singularité.
Pour nous chrétiens, cette “singularité” n’est pas dans l’originalité d’un habit, d’une mise à part du monde, mais dans l’effort pour vivre selon l’évangile en sachant que, bien souvent, cette fidélité nous fait déborder les frontières de l’opinion générale et donc étonne. Le chrétien vit dans le monde ; sa singularité n’est pas de se retrancher du monde, mais de faire de l’évangile sa référence et la priorité dans ses choix. Parmi les “singularités” qui peuvent poser question, signalons l’amour des ennemis, mais aussi le pardon, le sens du service au-delà de nos propres avantages, prendre la dernière place, quitter tout pour suivre le Christ, donner sa vie pour les autres... Ce sont tous les paradoxes de la vie évangélique qui, s’ils sont vécus en vérité, ne peuvent pas ne pas interpeller beaucoup de nos contemporains.
Certes, ces attitudes ne sont pas seulement vécues par les chrétiens, et heureusement, cependant elles ne sont pas tellement ordinaires qu’elles passeraient inaperçues, elles ne manquent pas d’interroger les personnes de bonne volonté.
Pour ne donner qu’un exemple, je pense à un chrétien qui me confiait avec beaucoup de modestie que, dans son travail professionnel, à la fois sa solidarité, sa douceur, son respect de tous, avaient provoqué des questions : pourquoi devant certaines façons d’agir d’un de ses chefs il ne voulait pas se venger, alors que l’occasion lui était offerte. Voilà un chrétien dont les attitudes interrogent ses collègues. Cela ne conduit pas nécessairement à la foi, mais ouvre un chemin par où l’Esprit Saint peut entrer.
On ne choisit pas d’être témoin. On ne le sait même pas. Nous découvrons que nous sommes témoins lorsque les autres nous interrogent c’est-à-dire manifestent la résonance qu’a eu notre vie sur eux. Nos vies “parlent”, d’où notre responsabilité. De fait nous vivons en société, nos paroles comme nos actes ont une répercussion plus ou moins importante sur les personnes qui nous entourent. Je ne sais pas la portée de ce que je vis, mais je sais que ce que je vis n’est pas neutre. Je ne mesure pas l’impact de mes actes ou de mes paroles, mais je sais qu’elles en ont, que ce soit dans un sens positif ou négatif.
Si tant de reproches sont fait aux chrétiens concernant la justice ou la solidarité ou la sincérité, c’est que beaucoup ont une haute idée du message évangélique et en attendent des manifestations chez les chrétiens. À la question de l’apôtre Philippe “Montre-nous le Père et cela nous suffit”, Jésus répond : “Je suis avec vous depuis si longtemps, et cependant, Philippe, tu ne m’as pas reconnu ! Celui qui m’a vu a vu le Père” Jn 14, 8-9. Si chaque chrétien pouvait dire : Celui qui me voit, voit le Christ, sans doute notre vie porterait-elle témoignage de Celui qui nous fait vivre.