« Si je n’ai pas la charité » : chronique hebdo #06 de Mgr de Sinety
« De toute la famille il est le seul encore en Irak. Et il me dit : "que faut-il que je fasse ? vous savez j’ai peur de rester ici et de mourir. Mais si je m’en vais, est-ce que je ne vais pas désobéir à Jésus ?" » Mgr Benoist de Sinety est vicaire général du diocèse de Paris.
« Accueillir, protéger, promouvoir et intégrer les migrants et les réfugiés » : voici le thème de la Journée mondiale du Migrant célébrée le 14 janvier prochain dans l’Église universelle.
Une plaine, à quelques kilomètres de Mossoul alors que la ville était encore aux mains de l’État islamique. C’était il y a deux ans. Les religieux qui nous recevaient désiraient nous montrer leur nouveau grand projet. Pour permettre aux milliers de réfugiés qui avaient afflué dans la région de subvenir en partie à leurs besoins, quoi de mieux que de les inviter à cultiver la terre. Et la terre est disponible, toujours, à condition de la fertiliser et de la cultiver.
Nous voici devant des champs vastes et riches, une terre lourde. Déjà quelques ingénieurs agronomes réfléchissent au loin avec de futurs agriculteurs. Ils délimitent les parcelles, décident des cultures.
En avançant vers eux, mon voisin de marche ralentit le pas, comme s’il voulait que je ralentisse moi aussi. Le groupe prend de l’avance, nous sommes maintenant hors de portée de voix et d’écoute. C’est un jeune religieux, ordonné prêtre il y a quelques années. Homme jeune, vigoureux, dans son habit de pauvreté. Je lui dit « ça va ? ». Il me répond : « non pas vraiment, je ne vais pas bien vous savez… ».
Puis il commence dans un anglais hésitant : ses parents sont partis il y a quelques mois en exil au Canada, ses frères et sœurs aussi avec leurs propres enfants. De toute la famille il est le seul encore en Irak. Et il me dit : « que faut-il que je fasse ? vous savez j’ai peur de rester ici et de mourir. Mais si je m’en vais, est-ce que je ne vais pas désobéir à Jésus ? ». Il me dit aussi : « en exil, il y a beaucoup de chrétiens de mon pays que je pourrais aider en m’exilant aussi… ». Que dire, quoi répondre ? sinon prier et supplier encore…
« L’immigré qui réside avec vous sera parmi vous comme un compatriote et tu l’aimeras comme toi-même car vous-même avez été immigrés au pays d’Égypte. Je suis le Seigneur votre Dieu » (Lv 19,34)