« Si je n’ai pas la charité » : chronique hebdo #08 de Mgr de Sinety
« “Accueillir, protéger, promouvoir et intégrer les migrants et les réfugiés” : voici le thème de la Journée mondiale du Migrant célébrée le 14 janvier 2018 dans l’Église universelle. » Mgr Benoist de Sinety est vicaire général du diocèse de Paris.
« Accueillir, protéger, promouvoir et intégrer les migrants et les réfugiés » : voici le thème de la Journée mondiale du Migrant célébrée le 14 janvier 2018 dans l’Église universelle.
Deux enfants gambadent dans les jouets de la salle commune. Leur maman, toute de noir vêtue, au voile de sobre religieuse et visage de cire, rayonne de beauté et de bonté pour ses deux jeunes fils de trois ans. Son mari arrive, yeux bleus, barbe rousse, visage marqué de fatigue mais tellement expressif, empathique. Depuis deux jours, il a aidé tout le monde au port du Pirée où s’entassent des milliers de réfugiés… On m’a parlé de cet homme.
Il me parle, lui, avec chaleur et vivacité dans un anglais qui nous fait rire, nous rapproche. La différence des langues est une immense barrière à franchir. Il la saute et la bouscule avec impatience, joie. De là, nous passons aux passeports et aux papiers qu’il a ou n’a pas. Mon aide ? Mettre tous ces documents sous plastique. Dérisoire… Mais, il me remercie chaleureusement. Il hésite, puis glisse son doigt plusieurs fois sur l’écran de son portable et pointe sur un petit film qu’il tient à me montrer comme en cadeau et confidence : le récit d’une victoire, une surprise, une fête ! Le passeur turc qui pilotait leur bateau gonflable où ils étaient 41 adultes et 11 enfants a tout d’un coup disparu. Il a plongé dans la mer dix minutes après avoir quitté la côte turque en direction de l’île grecque de Lesbos. Le bateau sans pilote a commencé à tourner dangereusement en rond, moteur à fond. Le film saisi par un coéquipier le montre, lui, prenant en main la barre du moteur et fonçant droit devant dans la nuit. Il crie, il chante, fait rire tous les embarqués aux gilets orange qui reprennent après lui quelques vifs refrains provocants. « Autant d’adresses à la mer », me dit-il, débordant de joie. « Pour la maîtriser, la vaincre » et, deux heures et demie plus tard, conduire fièrement tout le monde à bon port.
Son geste mime la vague calme d’une rive enfin atteinte.
Qui suis-je devant ce géant ? Je n’ai rien vécu, je n’ai rien fait, n’ai rien donné… Ahmed pleure maintenant. En réalité, il fait semblant, ce grand vivant, il joue la comédie qu’il aime tant jouer et la magie réussit encore. Sa femme souriante fait remarquer la chose à ses deux enfants. Ils arrêtent de jouer, courent chacun vers leur papa et le couvrent de baisers… « Pleure, papa, pleure ! » et c’est un feu d’artifice de baisers !
L’ange syrien me confie : « Je ne dors pas, j’ai trop à vivre. »
« L’immigré qui réside avec vous sera parmi vous comme un compatriote et tu l’aimeras comme toi-même car vous-même avez été immigrés au pays d’Égypte. Je suis le Seigneur votre Dieu » (Lv 19,34)