« Si je n’ai pas la charité » : chronique hebdo #10 de Mgr de Sinety
« Ce qui manque souvent le plus aux pauvres dans nos rues, ce sont nos paroles, nos sourires, et, surtout notre temps. N’est-ce pas la richesse la plus précieuse que nous possédons : ce temps qui ne cesse de passer et qui, comme le dit le poète, ne reviendra plus ? » Mgr Benoist de Sinety est vicaire général du diocèse de Paris.
Le vendredi 19 janvier dernier, au Collège des Bernardins, une assemblée joyeuse célébrait les 10 ans de l’initiative Hiver Solidaire. Aujourd’hui 27 paroisses de Paris accueillent des personnes vivant habituellement dans la rue, le temps de l’hiver,
Au cours de la soirée, un témoignage me frappa plus particulièrement : un homme jeune qui s’était engagé dans sa paroisse dès le début de l’aventure et qui, depuis, chaque année, y prenait part. Il racontait comment, il avait cherché à aller plus loin en accueillant chez lui un homme sans domicile, et la prise de conscience que cet accueil avait provoqué chez lui. Avec des mots simples, il témoigna de la manière dont il avait vécu une sorte de renversement intérieur. Et combien il avait pris conscience, le temps passant, que celui qu’il accueillait ne lui était pas d’abord reconnaissant du pain qu’il lui donnait, du lit, de la douche qu’il lui offrait, mais bien plus profondément, combien celui-ci se réjouissait et se nourrissait de l’amitié dont il lui témoignait. Comment ne pas penser à cette parole de l’Évangile dans laquelle Jésus, résistant à Satan, le chasse en lui disant « Que l’homme ne se nourrisse pas simplement de pain mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu » S’il est bien évidemment nécessaire de veiller au salut du corps, et d’empêcher le pauvre de mourir de faim ou de froid, nous ne sommes pas quittes pour autant lorsque nous agissons ainsi. Nous ne faisons alors que le minimum requis de tout être humain envers son semblable.
Qui y a t-il de si extraordinaire à donner du pain à celui qui a faim lorsque l’on est soi-même rassasié ? Qui y a t-il de si étonnant de chercher à abriter celui qui est sans toi, lorsqu’on a la chance d’en bénéficier ? N’est-ce pas la moindre des choses… Mais nous sommes appelés à davantage. Car ce qui manque souvent le plus aux pauvres dans nos rues, ce sont nos paroles, nos sourires, et, surtout notre temps. N’est-ce pas la richesse la plus précieuse que nous possédons : ce temps qui ne cesse de passer et qui, comme le dit le poète, ne reviendra plus ? Ne sommes-nous pas appelés à donner en partage l’essentiel de ce que nous possédons, ou plutôt de ce que nous sommes, et donc notre temps. Je sais bien que la vie parisienne est faite de courses et de frénésie.
Que pour beaucoup, entre le travail, la famille, et les multiples occupations domestiques, professionnelles, ou amicales, le temps est toujours compté. Mais, simplement, en sortant de chez soi, prendre quelques nouvelles de celui qui est là, lui manifester qu’il existe et qu’il n’est pas simplement un élément du paysage urbain, et se laisser ainsi progressivement entraîner à lui donner plus de place dans notre horizon, n’est-ce pas porter le témoignage du prix qu’il a aux yeux de Dieu, et de la manière dont l’esprit de charité travaille en nos cœurs ?