« Si je n’ai pas la charité » : chronique hebdo #12 de Mgr de Sinety
« Il y a quelques mois, invité par une association d’une cité de la banlieue parisienne, je participais à une maraude nocturne, à la rencontre des consommateurs et des vendeurs de drogue. » Mgr Benoist de Sinety est vicaire général du diocèse de Paris.
Il y a quelques mois, invité par une association d’une cité de la banlieue parisienne, je participais à une maraude nocturne, à la rencontre des consommateurs et des vendeurs de drogue. L’objet de cette association n’est pas de porter un jugement ou même d’empêcher ce trafic, mais de chercher à aller à la rencontre de ceux qui en dépendent. Entre minuit et 4h du matin, j’ai assisté, effaré, à un commerce incessant : en permanence pendant plus de quatre heures, des acheteurs, descendants des tours voisines, mais aussi arrivant de l’ouest de Paris en voiture ou en scooter, viennent en pleine semaine s’approvisionner. Il y a même la queue !
Bien sûr cela peut paraître festif aux yeux de certains commentateurs. Mais quel symbole de voir ainsi cette petite foule qui se presse la nuit tombée, à l’ombre de ses tours, pour échanger rapidement quelques billets contre quelques sachets. Comment porter témoignage ? Quelle est cette profonde tristesse qui peut ainsi saisir le cœur d’un homme pour l’amener, de nuit, à acheter ces produits ? De la solitude aussi...
Et quel silence… Le plus frappant, au cours de cette nuit, c’était le silence. Personne ne se parle : à peine quelques indications données aux acheteurs par les guetteurs des revendeurs. Aller à cette tour, passer sa commande, attendre qu’elle soit livrée, payer et repartir. À peine un « salut », une fugitive poignée de main, et surtout le moins de regards possibles échangés. Comme si tous sentaient bien que ces moments-là étaient ceux des ténèbres. Ténèbres intérieures, ténèbres de notre monde… vers 4h du matin le commerce ralentissait. Un des derniers clients se présentât. Il m’aperçut un peu en retrait avec les deux bénévoles de l’association. Il s’approcha de moi, me tendit la main, il me dit « bonjour mon père, je voudrais vous parler ».
La lumière jaillit toujours des ténèbres. D’une manière inattendue. Ce garçon venait là toutes les semaines depuis près de deux ans, la mort dans l’âme et dans le corps, comme il me le disait En me voyant, et ceux qui étaient avec moi, il me confia quelques jours plus tard quand je le revis, qu’il avait ressenti comme une libération. Autour de lui personne ne savait qu’il fumait de la drogue, ou en tout cas, il pensait que personne ne le remarquait. Il avait été au catéchisme étant enfant, et s’il ne fréquentait plus guère les églises, il s’y rendait parfois pour y brûler un cierge. Il me dit : « je voudrais arrêter, mais je n’en ai pas la force ». Il fallut plusieurs semaines pour se résoudre à consulter un médecin, il va faire une cure.
Certes, il reste fragile, si fragile… mais il commence doucement à comprendre que cette force de vie qui peut le sauver, il n’a pas d’abord à la chercher en lui-même, dans son corps et son esprit exténués, mais qu’elle réside dans le cœur de Dieu. Et que cette force lui est communiquée à travers tous ceux que Dieu met sur sa route et qui deviennent alors le témoin de sa charité. Ce que nous sommes tous appelés à être les uns pour les autres.