Tribune de Mgr Laurent Ulrich : Pour construire la paix sociale, nous avons besoin de bienveillance

20 juillet 2023

« Vouloir construire [la] paix sociale exige avant tout un travail quotidien et de terrain, qui existe et dont nous sommes tous les témoins chaque jour. » Tribune parue dans Paris Notre-Dame.

Au sujet des émeutes récentes qui ont embrasé de nombreux quartiers de nos villes, et projeté dans une violence terrible des milliers de jeunes pilotés par des mots d’ordre surgis sur les réseaux sociaux, ce moment de retour au calme peut être pour nous tous une occasion de redécouvrir à quel point la paix et la justice ont partie liée dans la construction sociale.

Il est vrai de dire que, notamment à la suite des émeutes de 2005, des efforts importants, des investissements réels ont été accomplis pour la rénovation de nombreux quartiers en difficulté : diminution de la densité de population, disparition de barres d’immeubles, construction de nouveaux logements, prolongements de lignes de transports en commun, etc. Ce n’est pas parfait, mais cela indique une volonté.
Mais il manque une âme ! Des propos plus que maladroits et propagés à grande vitesse, répétés à l’envi, des jugements qui stigmatisent des personnes, des groupes sociaux et des quartiers ne font qu’ajouter aux murs qui s’édifient et séparent. Mobiliser des millions d’euros ne suffit pas.
Il manque une véritable amitié sociale, elle qui se construit patiemment : « la paix sociale est difficile à construire, elle est artisanale. » (Pape François, Fratelli tutti, n°217)

Chacun connaît des maires qui sillonnent les divers quartiers de leur commune, et nouent des liens avec tous les habitants. Peut-être ne les connaissons-nous pas assez ! J’imagine bien qu’ils ne le cherchent pas et préfèrent agir sur des terrains nécessaires, c’est pour eux le plus urgent, le plus quotidien. Et j’en connais.

Chacun connaît des professeurs, des éducateurs, des chefs d’établissement scolaire, du public et du privé, qui manifestent un dévouement pédagogique exemplaire et un inlassable engagement pour transmettre aux jeunes les clés d’un développement humain et relationnel harmonieux. Et j’en connais aussi.

Chacun connaît des travailleurs sociaux et des fonctionnaires qui mettent toute leur attention à écouter patiemment des demandes d’aide et de service. Parce qu’ils ont compris l’exaspération et la violence que produit le renvoi vers des sites internet qui, aussi intelligents qu’ils soient, ne seront jamais les interlocuteurs que chacun attend et recherche. Et j’en rencontre.

Chacun connaît des pompiers, des médecins, des policiers et des gendarmes entièrement dévoués à la protection des populations, qui s’acquittent de leur mission, partout sur notre territoire, avec intégrité et courage malgré les difficultés. Et j’en vois.

Chacun connaît des associations de quartier qui sont capables de développer à nouveau des activités sportives et culturelles pour recréer et entretenir – y compris d’ailleurs avec des subventions publiques bienvenues – ce lien social, cette amitié sociale qui unit les générations et les conditions sociales dans un même amour de tous mais aussi le respect des lieux et des équipements collectifs. On a entendu des parents protester de leurs efforts pour guider leurs enfants vers des comportements responsables et ne veulent pas être stigmatisés. Et j’en côtoie.

Chacun connaît des mosquées, des synagogues, des pagodes et des églises de quartier qui apprennent à lier relation au quotidien, et permettent à leurs membres de s’approcher respectueusement les uns des autres. Sachant qu’ils ne partagent pas les mêmes convictions religieuses, mais qu’en tout cas, ces convictions mêmes ne peuvent les séparer. Et je vois cela à l’œuvre très régulièrement en me rendant dans les quartiers de Paris.

Chacun connaît encore des prêtres, des communautés religieuses, des diacres, les chrétiens chargés de mission par leur évêque, leur curé, et tant de bénévoles qui n’ont pas peur d’aller à la rencontre des jeunes, des familles et de bien d’autres partenaires. Je les connais, les entends, les rencontre et les soutiens.

Tous ceux-ci sont bien des artisans de la paix sociale, cette paix qu’ils construisent patiemment, artisanalement donc, dans la diversité de leurs états de vie et de leurs missions.

Nous le savons : vouloir construire cette paix sociale n’exclut pas les efforts et les projets politiques, qui apportent de meilleures conditions de vie, ni ne gomme la nécessité de la justice sans laquelle le désespoir ne fait que s’accroître. Vouloir construire cette paix sociale exige avant tout un travail quotidien et de terrain, qui existe et dont nous sommes tous les témoins chaque jour. Il revient à chacun d’entre nous de soutenir vraiment, toujours davantage, ce travail de terrain, par la parole encourageante et le geste généreux, par la bienveillance. Cultiver la bienveillance, comme le dit le pape François, « n’est pas un détail mineur ni une attitude superficielle ou bourgeoise. Elle facilite la recherche du consensus et ouvre des chemins là où l’exaspération détruit tout pont. ». Ce n’est pas l’attitude angélique qui consiste à se congratuler d’un rien sans espérer de solution pérenne pour le tout. Au contraire, cultiver la bienveillance, c’est refuser d’alimenter la caricature facile qui ne résout rien. C’est reconnaître, encourager les efforts là où ils se trouvent, c’est-à-dire partout dans notre société, et rendre grâce pour ceux qui les portent.

Parue dans Paris Notre-Dame du 20 juillet 2023.

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